Menaces contre les avocats : « certains d’entre nous sont suivis de la salle d’audience jusqu’à domicile », selon Me Amadou Oury Diallo 

L’évasion de Moussa Dadis Camara, Moussa Tiegboro Camara, Blaise Goumou et Claude Pivi de la maison centrale il y a dix jours a accentué l’inquiétude concernant la sécurité des avocats impliqués dans le procès du massacre du 28 septembre 2009. Et le fait que Claude Pivi soit toujours dehors n’arrange pas la situation pour ces hommes en robes. Au cours de l’audience de ce lundi 13 novembre 2023 au tribunal de Dixinn (délocalisé à Kaloum), plusieurs d’entre eux ont attiré l’attention de la juridiction sur les menaces qui pèsent sur eux.

Très facilement un commando est parvenu à sortir les prévenus susmentionnés de la plus grande prison de la Guinée située dans le centre administratif de Conakry. Après cette attaque, Me Lancinet Sylla, avocat de Aboubacar Toumba Diakité, se demande qui va assurer sa sécurité et celle de ses confrères des deux parties.

Me Lancinet Sylla, avocat de Toumba

« Si avec une telle facilité on a pu accéder à la Maison centrale, qu’est-ce qui garantit la sécurité des acteurs de ce procès, que sont les avocats M. le président ? Qu’est-ce qui garantit notre sécurité ? Nous sommes acteurs dans ce procès au même titre que vous, vos deux accessoires. Au même titre que le ministère public et ses substituts, au même titre que ces greffiers qui ont tous aujourd’hui des agents qui assurent leur sécurité. On en voit d’ailleurs derrière vous M.le président. Nous n’en avons pas nous les avocats de la défense et des parties civiles. Or cette question de sécurité se pose avec acuité. Quelles sont les dispositions qui sont prises pour la sérénité des débats dans ce procès ? Quelles sont les dispositions qui sont prises pour permettre à tous les avocats d’accomplir leur mission en toute sécurité ? La question est posée, je pense qu’elle mérite une réponse », a-t-il estimé.

À sa suite, Me Jean-Baptiste Jocamey Haba, avocat de Moussa Dadis Camara, croit que l’insécurité des avocats peut aller jusqu’à atteindre l’indépendance de la justice si rien n’est fait pour y remédier.

« Les avocats que nous sommes sont menacés. Les avocats que nous sommes sont dans une insécurité totale, certains voient tous les jours, toutes les nuits des véhicules autour de leurs domiciles, on ne sait pas pourquoi. Certains sont menacés d’enlèvement, chacun le sait. Or, si un avocat ne peut pas exercer son sacerdoce de manière libre, il n’est donc pas indépendant. Si l’avocat n’est pas indépendant, il n’y a aucun barreau indépendant. Si le barreau n’est pas indépendant lui-même n’est pas indépendant, nous parlons de l’indépendance de la justice, ce sera une chimère », a-t-il souligné.

Par ailleurs, l’avocat regrette le durcissement de la sécurité à la Maison centrale depuis l’évasion de son client et ses coaccusés, ce qui ne permet pas aux conseils d’accéder facilement à leurs clients, selon lui. Si la situation ne change pas, il menace tout simplement de suspendre sa participation au procès.

« Au-delà de cela, là c’est à l’attention du procureur de la République, les avocats n’ont pas accès à leurs clients. Nous commençons un procès aussi important, une phase aussi importante qui devrait nécessité que l’on prépare nos clients, mais les avocats n’ont pas accès à leurs clients qui sont détenus à la Maison centrale. Je le sais parce que j’y été le samedi passé où j’ai vu et je le dis publiquement des procureurs fouillés, à qui on a demandé de déposer les téléphones, ainsi que des enquêteurs. Si ceux-là ne sont pas épargnés, ça se complique. Alors les avocats empêchés, s’ils ne peuvent exercer librement il va être très compliqué que le procès se tienne sereinement…Nous attirons donc votre attention, nous attirons l’attention du parquet, nous attirons l’attention de l’opinion nationale et internationale devant les médias que nous sommes menacés et nous n’arrivons pas à travailler sereinement. Et si cela devait continuer, en tout cas en ce qui concerne la défense de Dadis, nous serons obligés de suspendre notre participation (au procès) si des mesures ne sont pas prises. Parce que nous voulons bien le défendre, oui, mais nous voulons le défendre en toute sérénité », a indiqué Me Haba.

De son côté, le parquet rappelle que son rôle est de faire en sorte que les audiences puissent continuer normalement. Et il trouve normal le renforcement de la sécurité à la Maison centrale.

« Notre travail consiste à faire des diligences pour que les audiences se poursuivent, mais il ne nous appartient pas de suivre individuellement chaque avocat partout où il se trouve. Par rapport au difficultés qu’ils rencontrent à la maison centrale, je pense que cette autre question ne doit pas être posée ici, on doit plutôt s’adresser à l’administration pénitentiaire…Je pense que si la sécurité est renforcée au niveau de cette maison carcérale, M. le président nous pensons que c’est tout à fait normal », a dit un des procureurs.

Pour sa part, Me Amadou oury Diallo, avocat des parties civiles, estime que ce sont eux qui sont les plus exposés dans cette affaire du fait de leur position.

« Je pense que ce sont les avocats de la partie civile qui doivent se plaindre aujourd’hui. C’est un accusé qui est dehors avec un commando efficace, nous avons martelé des faits graves contre cet accusé, c’est nous qui avons peur aujourd’hui pour notre sécurité. Ce n’est pas vous les avocats de la défense. C’est nous qui avons peur parce qu’on a pas manqué de signaler que parfois certains d’entre nous sont suivis de la salle d’audience jusqu’à domicile, et parfois jusqu’au cabinet », a-t-il fait savoir.

Mamadou Yahya Petel Diallo et Thierno Hamidou Barry pour Guineematin.com 

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