La Guinée frôlerait-elle une crise économique ?

Safayiou DIALLO, Citoyen
Nul besoin d’être un expert ou encore un diplômé en sciences économiques pour constater le ralentissement brusque de l’activité économique en Guinée. A date, la grande affluence que l’on connaissait autour des établissements financiers du pays notamment les banques pour des fins de dépôts commence à freiner. Pour preuve, elles (les banques) se vident dès la fin de la paie des fonctionnaires ou de la pension des retraités.
A notre entendement, cette situation résulterait de plusieurs facteurs explicatifs parmi lesquels nous pouvons citer entre autres : l’attentisme née de la transition, l’immigration de plusieurs jeunes avec un capital compris entre USD 5 000 et USD 10 000 vers Nicaragua, l’éviction du secteur privé avec l’émission répétitive des Obligations du Trésor (ODT), l’interdiction des exportations des produits locaux, l’investissement des fonds dans des projets non rentables à court et moyen termes ( cas des routes par exemple) etc.
De l’attentisme aux défis économiques :
De nos jours, si d’aucuns estiment que les coups d’État militaires sont de mauvais augure pour les processus démocratiques, ils sont toutefois applaudis par la population car la chute des dirigeants élus dans de nombreux pays africains trouve son explication parfois dans l’enrichissement illicite des dirigeants alors que la majeure partie de la population tire le diable par la queue.
Comme vous le savez bien, les périodes de transition sont généralement des périodes d’incertitudes au cours desquelles nait un attentisme sans précédent. Bon nombre d’investisseurs attendront forcément un retour à l’ordre constitutionnel avant de procéder à tout investissement en raison de l’incertitude qui règne et des risques d’inflation (facteur qui fausse la rentabilité escomptée).
Suivant nos recherches sur le sujet, la plupart des analystes s’accordent à dire que pour faire progresser la démocratie en Afrique, les politiques élus doivent d’abord prendre conscience des inégalités économiques.
De nombreux défis politiques de notre pays ont des fondements économiques tels que le contrôle des ressources naturelles. Tout ceci n’est possible que grâce à la mise en place des lois solides dont l’ application rigoureuse sera de règle.
De l’immigration des bras valides du pays :
A l’image des beaucoup de Guinéens, nous avons constaté avec regret la sortie massive de nos jeunes pour les Etats-Unis mais aussi pour l’Europe. Suivant un documentaire ayant circulé tout récemment sur les réseaux sociaux, en moyenne, 13 500 jeunes Guinéens auraient migrés vers Lampedusa entre janvier et juin 2023. A ceux-là s’ajouteraient 15 à 20 000 guinéens qui seraient partis vers Nicaragua selon des sources non officielles.
Si nous prenons le cas des jeunes qui ont émigrés vers Nicaragua et que nous les estimons à 3 500 personnes, c’est en moyenne près de 5 milliards qui ont échappé au circuit économique national si l’on part du principe que chacun d’entre eux n’a dépensé que 15 000 dollars US.
Soyez-en rassuré qu’il y en a qui ont dépensé plus de 15 000 pour faire face à toutes les étapes. Ce n’est pas pour rien si bon nombre de jeunes qui avaient un capital en moyenne compris entre GNF 50 et GNF 150 millions ont fini par revendre leur place pour emprunter le chemin de l’exil. Cela sans compter ceux qui sont sur le point de réunir les moyens disponibles ou de mûrir la réflexion sur le sujet. Ceci est un manque à gagner énorme pour notre économie mais aussi de surcroît un déterminant majeur de la fuite de nos capitaux. Cette même situation a créé une crise de confiance énorme entre les commerçants et leur employé à tel point que beaucoup d’entre eux ne se servent plus des jeunes pour effectuer des dépôts d’espèces auprès des banques. Car beaucoup d’entre eux ont été victimes de cette situation.
L’éviction du secteur privé avec l’émission répétitive des Obligations du Trésor (ODT) :
On parle d’effet d’éviction lorsqu’il y a l’extension des activités du secteur public au détriment du secteur privé. Or, dans les conditions normales, le secteur privé devrait bénéficier de plus d’accompagnement par rapport à celui public (c’était le cas fin septembre 2023 où les créances sur le secteur privé dépassent celles du secteur public de GNF 6 936 millions). Toutefois, à date, c’est l’Etat qui est en train de tirer l’économie vers là-haut à travers ces investissements massifs dans les Infrastructures Économique et Sociale (IES). Pour preuve, l’encours des ODT auprès du système bancaire est en hausse de de 417% passant de 1721 495 à fin août 2023 à 8 893 379 à fin octobre 2023 juste après l’émission des deux (2) titres dont la totalité faisait 5 000 milliards en septembre 2023.
Cette situation résulterait d’un constat qui est celui de la constitution oisive des ressources (cas des anciennes réserves obligatoires des banques auprès de la BCRG) mais aussi de la hausse de besoins de financement de l’Etat quoique les actifs émis soient plus crédibles que n’importe quel prêt dans ce pays. Cela est une conséquence de l’aversion au risque.
Nul besoin de rappeler que les excès d’un interventionnisme d’État qui entraverait, voire « évincerait » le secteur privé de certaines de ses possibilités d’action. Les économistes libéraux notamment utilisent cet argument pour critiquer les politiques budgétaires expansionnistes. Ce qui a eu à notre humble avis des lourdes conséquences sur le mode de fonctionnement de l’économie.
De l’interdiction des exportations des produits locaux :
Dans un article paru sur certains sites du pays, nous avions salué cette mesure mais, nous avions également estimé que cette décision devrait s’accompagner de beaucoup de tact et de pédagogie. Pour nous, cette mesure quoique discutable peut bel et bien réussir à atténuer la tension sur les prix à mesure qu’elle soit non seulement suivie mais aussi circonscrite dans le délai requis (maximum six (6) mois comme indiqué dans le communiqué)). Son utilisation dans l’extrême peut avoir des conséquences néfastes qui peuvent aller jusqu’à la baisse de la production et par ricochet le chômage.
A ce stade, bon nombre de producteurs concernés par cette mesure ont des difficultés à faire face à leur activité car ils n’arrivent pas à écouler leur production face à une demande qui n’existe pas. A notre humble avis, dans une économie aussi incertaine et où les perspectives de profits sont aléatoires en raison de l’émergence du secteur informel, il fallait restreindre cette mesure et la fixer à trois (3) mois. Il n’est jamais tard pour rectifier le tir.
De l’investissement de l’argent dans des projets non rentables à court et moyen termes : 
Comme beaucoup d’autres guinéens, nous saluons les efforts fournis par le CNRD dans le cadre des investissements massifs (routes, ponts, écoles etc.) comme le veut la tradition suivant les fonctions régaliennes de l’Etat.
Cependant, si nous prenons le cas des routes, leur construction doit répondre à un impératif économique car elles nécessitent non seulement d’importants coûts sociaux (impôts, taxes fiscale et parafiscale), mais aussi et surtout une période d’amortissement. Nonobstant, chaque décision d’investissement prise par l’Etat devrait être forcément accompagnée d’un calcul économique, sinon l’endettement (dette intérieure ou extérieure) opéré pour réaliser cette infrastructure aura des effets nuls, non avenus, sans fondement et pénalisera le pays dans sa perspective de croissance économique.
C’est pourquoi nous pensons qu’avant de mettre en place une route quelconque, l’Etat devrait se poser quelques questions dont entre autres : quel est le matériel roulant ? En quoi la route développe-t-elle les entreprises ? Quels sont les coûts sociaux de la route ? Quelle est sa rentabilité sociale ? De combien seront les montants des taxes qui seront perçus sur les entreprises et les personnes physiques qui prendront la route ? En combien d’années pourrais-je la rentabiliser ?
La réponse à ces questions devrait mieux nous édifier. Cela ne veut pas dire que nous sommes contre les investissements routiers. Nous sommes plutôt soucieux du ralentissement de l’activité économique en raison de ces investissements massifs alors que nous n’avons pas assez de rentrée d’argent en raison d’une conjoncture internationale et de la situation géopolitique plus contraignante quoi que beaucoup de citoyens qui liront ce passage nous diront que les financements de ces investissements étaient déjà acquis.
A ces éléments cités ci-dessus s’ajouterait l’instauration d’un climat de peur et de méfiance qui viendrait de naître surtout avec la descente musclée et récente des forces de l’ordre dans le grand marché de Madina. Ceci aurait entraîné une réorientation rapide vers d’autres activités et de la sortie des zones de confort de ces gens qui n’ont connu que cela. A date, Madina qui d’ordinaire grouillait de monde, baignerait quasiment dans un calme avec des magasins et boutiques ouvert avec la peur au ventre. D’autres auraient fermé par mesure de précaution et/ou se seraient retournés vers des boutiques dans les quartiers en attendant un retour à la normale.
Tous ces facteurs évoqués jusque-là auraient contribué à la baisse systématique des ressources des banques entre août et octobre 2023 où elles sont passées respectivement de GNF 39 252 Mds à 37 772 Mds soit une baisse de 3,7% (1 480 Mds). De même, l’épargne a pris un grand coup avec une baisse significative de 26%. Cette situation trouve son explication dans la baisse massive des ressources des PME de 12% en moyenne sur la période sous-revue contre seulement 3,3% pour les particuliers et 3,2% pour les grandes entreprises. Pendant ce temps, les engagements en souffrance sont en hausse de 14% sur la même période. En dépit de cette situation, les remplois sont en hausse de 3,4%. Cela dénote à suffisance la volonté des banques à satisfaire toujours leur clientèle variée.
Or, sans ressources, aucune banque ne peut prêter aux clients de l’argent dont ils ont besoin pour développer leur activité.  A cela s’ajoute la baisse systématique des remplois par signature suite à l’arrivée à échéance des engagements par signature avec la SONAP non renouvelée au niveau de certaines banques.
Pour ne pas abuser trop du temps du lecteur, nous nous limitons à ce stade tout en invitant l’Etat à plus de retenue. Avec un taux de bancarisation de 8,3% à fin octobre 2023 (1 089 254 clients sur une population totale de 13 201 798) et un secteur informel assez fort, il faut trouver le juste milieu pour ne pas étouffer notre économie. Nous devons sortir de la gestion de la conjoncture et nous projeter sur le long terme à travers des plans pluriannuels de développement dont l’exécution programmée des plans d’action dans le respect des échéances établies devront permettre à notre population de tirer les avantages de nos progrès. C’est la seule voie qui compte en matière de développement économique…
Par Safayiou Diallo, consultant économique 
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