Détentions prolongées et lenteur de procédures judiciaires : ce qu’en dit Me Bernard Saa Dissi Milimouno, avocat à la Cour

Me Bernard Saa Dissi Milimouno, avocat à la Cour

Les détentions préventives prolongées et la lenteur des procédures judiciaires sont devenues monnaie courante en Guinée, au grand dam des justiciables. Cette situation préoccupe les défenseurs des droits humains, qui ont souvent sonné le tocsin dans un contexte d’indifférence généralisée. Pour mieux comprendre ces enjeux, un reporter de Guineematin.com a donné la parole à maître Bernard Saa Dissi Milimouno, avocat à la Cour. Dans cet entretien, l’avocat a fait ressortir le fait que « la détention est l’exception ; et la liberté, la règle ».

Guineematin.com : En ce qui concerne tout d’abord les questions générales sur la détention provisoire, peut-on avoir une vue d’ensemble sur la situation de la détention provisoire en Guinée ?

Me Bernard Saa Dissi Milimouno : Merci pour la question. Votre question est une question essentielle, une question capitale, une question qui est toujours d’actualité en Guinée. Vous savez, le principe, c’est la liberté. L’exception, c’est la détention. Mais, il se trouve que la réalité, c’est tout à fait le contraire. Compte-tenu du fait que quand vous prenez le nombre de dossiers dans lesquels les gens sont inculpés, si vous faites les statistiques, vous allez vous rendre en évidence que pour la majorité des cas, les personnes inculpées sont systématiquement placées en détention provisoire. Il n’y a que des situations très exceptionnelles où les mis en cause peuvent être mis en situation exceptionnelle, placés sous contrôle judiciaire ou rester tout simplement en liberté. Ça, c’est une situation préoccupante parce que pour le plus grand nombre, c’est la détention alors que ça devait être l’inverse. C’est une situation vraiment préoccupante. Je pense que si vous faites le tour des juridictions guinéennes, ça m’étonnerait que vous trouviez une juridiction où il y a un prévenu qui n’est pas en détention provisoire. Quasiment devant toutes les juridictions, dès que vous vous présentez le juge, vous verrez que dès l’inculpation est posée, aussitôt l’ordonnance de placement en détention qui est suivi d’un mandat de dépôt. Aussitôt vous êtes privés de votre liberté. Pourtant, au regard de la Loi, pour qu’il y ait une détention provisoire, il faut qu’il y ait des éléments précis et circonstanciés, émanent du dossier, c’est sur la base de la gravité des faits, sur la base de la complexité des investigations à la manifestation de la vérité, et là aussi il faut que cela soit dans le sens d’atteindre les objectifs qui sont visibles par la Loi, notamment la conservation des preuves, mettre fin aux troubles persistants, éviter qu’il y ait une sorte d’intelligence entre les personnes inculpées, éviter qu’il y ait la pression sur les témoins voir sur les victimes. Mais quasiment, vous trouverez dans beaucoup des cas qu’il n’y a aucun élément qui justifie la détention provisoire et surtout la Loi est précise, il faudrait que pour l’atteinte de ces objectifs-là, le contrôle judiciaire ne soit pas suffisant. Il faut qu’il y ait la détention provisoire. Donc, ça doit être l’unique moyen de pouvoir atteindre ces objectifs. Mais dès que la personne mise en cause est devant le juge d’instruction, il n’y a même pas à vérifier si toutes les conditions sont réunies ou non. Aussitôt, on la place en détention provisoire.

Quels sont les délais légaux pour la détection provisoire en Guinée 

En matière correctionnelle, le délai est de 4 mois. Mais, je pense que ce délai peut être prolongé jusqu’à 6 mois à l’exception de certaines infractions, telles que le détournement de deniers publics, le vol de bétail et autres. En matière criminelle, c’est 6 mois. Mais là aussi, il peut y avoir une prolongation, c’est légal ; mais, sans que ça ne puisse dépasser les 12 mois. Mais il se trouve qu’il y a beaucoup de situations où il y a un dépassement de la durée légale de la détention provisoire. Il faut aussi préciser que lorsqu’il s’agit de crimes internationaux tels les crimes de guerre, crimes d’agression, le cas du terrorisme, le trafic de stupéfiants, y compris la prolongation, la durée légale peut aller jusqu’à 24 mois. Vous trouverez beaucoup de situations dans lesquelles, des personnes mises en cause ont fait beaucoup d’années par exemple 3 ou 5 ans de détention provisoire. C’est énorme. Finalement, vous vous présentez devant le juge qui va vous condamner à une peine de prison inférieure peut être à la durée de votre détention.

Quels impacts psychologiques et sociaux peut-on avoir chez les détenus en raison de la détention prolongée ?

Les impacts sont énormes. Imaginez quelqu’un qui est en détention provisoire. Les délais légaux pour lesquels on peut être placé en détention sont déjà dépassés, vous êtes en détention provisoire, mais psychologiquement vous êtes abattu. Surtout que quelqu’un qui est en détention provisoire n’est pas une personne qui purge une peine. Vous n’êtes pas encore condamné, imaginez que vous soyez sûr dans votre conscience que vous êtes innocent, votre espoir c’est d’être jugé et vous pensez que lorsque que vous serez devant le juge, vous pouvez vous défendre et que vous êtes sûr qu’à l’issue de ce jugement, vous serez en liberté. Mis vous faites un mois, 6 mois, un an ou deux ans, vous n’êtes passé devant un juge pour être situé sur votre sort, mais vous êtes abattu psychologiquement. Il y a aussi une autre situation. C’est que beaucoup de perdent leur emploi en raison de cette détention provisoire assez prolongée. Ce n’est pas possible. Vous ne pouvez pas être en détention provisoire durant un an jusqu’à deux ans et pouvoir conserver votre emploi. Donc il y a un impact psychologique important mais il y a aussi un impact social important parce que si vous perdez votre emploi, votre famille va subir les effets de la perte de votre emploi. Étant en détention, on ne peut fournir sa prestation et donc certains employeurs peuvent suspendre le salaire et dans ce cas on ne peut percevoir son salaire.

Quelles les principales causes de la lenteur des procédures judiciaires au niveau des juridictions en Guinée ?

Je pense qu’il y a plusieurs causes de la lenteur des procédures devant les juridictions de notre pays. D’abord, il y a les procédures fantaisistes. Lorsque le juge a un dossier en main. Il sait très bien que la décision provisoire prise dans ce dossier contre la personne inculpée n’est qu’un moyen de pression pour l’amener à céder. Tant que la personne n’a pas cédé, le juge l’attend. Mais s’il n’y a pas de charges suffisantes pour décider du non-lieu, vous voulez décider du renvoi ou bien vous voulez rendre service à la partie civile, vous allez retarder la procédure. Ça, c’est une réalité. Ça c’est une chose. Autre chose aussi à signaler, il faut savoir que les cabinets d’instruction sont surchargés. Les cabinets d’instruction sont surchargés par qu’il y a trop de dossiers qui n’en valent pas la peine. Il y a beaucoup de dossiers pour lesquels les juges refusent d’instruire la procédure. Il y a beaucoup de dossiers qui doivent être classés sans suite. Je dois dire que l’inspection judiciaire doit jouer son rôle de veille et contrôle systématiquement, permanente pour éviter la lenteur des dossiers. Il ne faut confondre l’indépendance à la liberté d’agir comme on veut et même, au mépris des droits des autres. En plus de ça, je crois qu’il y a aussi le problème d’infrastructures. Il faut également qu’il y ait d’infrastructures dignes du nom, adaptées aux réalités. Je pense que pour administrer une bonne justice dans nos juridictions, il faut respecter les principes de droits.

Que rôle jouent les avocats dans la lutte contre la détention prolongée et la lenteur des procédures dans les différentes juridictions du pays ?

Si la détention est prolongée, il faut voir les deux angles. Le prolongement ou la prolongation de la détention préventive, c’est la loi qui la prévoit. Le rôle qu’un avocat a à jouer c’est d’exercer les recours prévus par la loi. A plusieurs reprises, les procédures des référées sont initiées. La chambre de contrôle de l’instruction est sollicitée pour intervenir en matière de liberté lorsque les avocats estiment que leur ou leurs clients sont illégalement détenus. Les avocats jouent plusieurs rôles. Maintenant, par rapport à la lenteur des procédures, parfois nous-mêmes avocats nous avons notre part dedans. C’est partagé entre avocats et magistrats. Parfois, c’est nous-mêmes qui demandons les renvois pour plusieurs raisons. Parfois aussi ce sont les juges eux-mêmes qui décident de renvoyer pour certaines raisons, soit l’absence d’un avocat ou autres raisons.

Propos recueillis par Mamadou Laafa Sow pour Guineematin.com

Tel: 622919225

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