Retrait des agréments de certaines radios : Avocats sans frontières Guinée dénonce une décision politique

Maître Christophe Labilé, président de l'ONG avocats sans frontières

Les autorités guinéennes ont franchi le rubicon dans la dynamique enclenchée depuis plusieurs mois contre les médias indépendants. Le point de non-retour est atteint avec cette décision extrême prise par un arrêté du Ministère l’information et de la communication, qui retire les agréments des radios Espace FM et Sweet FM, du groupe Djoma médias,  et du Groupe Fréquence Medias, avec effet immédiat. La nouvelle suscite incompréhension et indignation dans notre pays. Interrogé à ce sujet par un reporter de Guineematin.com, maître Aimé Christophe Labilé Koné, président de l’ONG Avocats sans frontières Guinée, dénonce une régression qui ne dit pas son nom.
Selon Maître Koné Aimé Christophe Labilé, notre pays fait face à une situation inédite en ce moment. « Lorsque j’ai appris cette nouvelle, je dois vous avouer que je me suis senti mal en ce sens que nous avons amorcé une régression qui ne dit pas son nom, quand on sait tout le combat qui a été mené par les pionniers pour la libéralisation des ondes dans notre pays », commence par constater notre Maître Koné.

Pour cet avocat, inscrit au barreau de Guinée, la chasse aux médias indépendants a débuté depuis quelques temps. « Dans un passé très récent, l’année dernière précisément, nous avons d’abord assisté à la restriction de l’espace médiatique par le blocage de certains sites, ce qui n’était pas une bonne chose. Nous autres défenseurs des droits de l’homme, nous nous sommes levés pour dire que ce n’était pas normal. Et que si un journaliste ou un organe de presse a failli, il faut le soumettre à l’autorité de la loi, c’est-à-dire convoquer le journal ou le journaliste à la HAC ».

Pour ce qui est de l’arrêté signé du ministre de l’information Fana Soumah, le président de Avocats sans frontières Guinée dénonce le fond du document.

 « Parlant de l’arrêté qui a retiré les agréments de ces médias, je l’ai lu aussi dans la presse, c’est un arrêté muet. Parce qu’on n’a pas donné les raisons réelles, à mon sens, de ce retrait-là. On a juste une fuite en avant. Quand on dit par exemple qu’on retire parce que n’avez pas respecté le contenu du cahier de charge, c’est vague.  Et mieux, le retrait de l’agrément est la sanction suprême qu’on puisse appliquer à un média et avant d’en arriver là, il faut passer par un jugement, et en la matière, le juge, c’est la haute autorité de la communication ‘’HAC’’. Cette décision ne pourrait être prise qu’à la suite d’une décision rendue par la HAC pour demander le retrait de l’agrément. Quand vous vous voyez la litanie des ‘’Vu, Vu’’, vous ne voyez nulle part où cette autorité a pris une décision allant dans le sens du retrait, c’est une violation. Et la deuxième chose, comme je l’ai dit tantôt, on ne peut pas prendre une marre d’océan pour dire que vous avez violé ça. On aurait dû indiquer dans le cahier de charge la partie qui a été violée. Et mieux, il fallait interpeller ceux qui ont violé, à pouvoir corriger cet état de fait là dans un délai bien donné. Maintenant, s’ils ne s’y conformaient pas on pourrait aller une sanction suprême ».

En outre, maître Koné dénonce les violations des droits de l’homme en Guinée. « Priver les citoyens de leur droit à l’information, la liberté d’expression et le droit à un travail pour ces employés-là, ce sont atteintes aux droits humains. Ces médias employaient des centaines de personnes, ceux-ci sont au chômage aujourd’hui. Et autour de ceux-ci aussi, il y a des familles. Ces familles-là seront laissées pour compte parce que celui ou celle qui assurait leur subsistance, est sous le carreau ».

Concernant les voies de recours que ces médias peuvent exercer, maître Koné n’est pas très optimiste, parlant d’une décision politique.

« Ce qui est arrivé, c’est une décision politique. Si on avait respecté la forme, comme on le dit, la forme commande le fond, les médias pourraient exercer une voie de recours. Ici, ils peuvent saisir les autorités judiciaires ; mais moi, en tant que défenseur des droits de l’homme, sachant ce qui se passe dans ce pays-là, je peux déjà prédire que ce sera peine perdue. Parce qu’il n’y rien de normal dans cette situation. Et puisque c’est une décision politique qui a créé cette situation, seule une décision politique peut, à mon sens, corriger cet état de fait », pense maître Koné.

Pour finir, le président de l’ONG Avocats sans frontières Guinée déplore la régression grandissante que connait notre pays.

« Je dois vous dire, pour clore, que les autorités du CNRD sont en train de violer aujourd’hui les principes qu’eux-mêmes avaient mis en place. Vous n’êtes pas sans savoir qu’à leur arrivée, ils ont fait une charte de la transition et dans cette charte, les droits qu’ils sont en train de violer y sont consacrés. Ce qu’ils font est inqualifiable aujourd’hui. Parce qu’on ne peut pas imaginer que ‘’Les hommes du 05 septembre’’  avec tout l’engouement qu’ils avaient suscité, qu’ils puissent en l’espace de deux ans se comporter comme ils sont en train de le faire aujourd’hui. Comme je le disais à l’entame, les hommes de médias viennent de loin. Ils ont construit un empire qu’on est en train de démolir en un rien de temps. Jamais depuis que la libéralisation des ondes est intervenue en Guinée, il y a eu des moments difficiles avec les différents régimes qui se sont succédé, mais on n’est pas arrivé à une décision si extrême. Jamais on n’a procédé un massif retrait des agréments des médias. En plus, et comme pour dire que le crime n’est pas parfait, ils ont posé les charrues avant les bœufs en faisant retirer ces médias des bouquets Canal+ et Star Times sans pour autant qu’aucune faute ne leur soit reproché. Enfin, ce qui est en train de se passer pour le commun des mortels et pour nous autres défenseurs des droits l’homme, lorsqu’on analyse d’où l’on vient et quelle est l’évolution, on est en train de descendre véritablement dans l’enfer. Comme si on faisait dix pas en avant et cent pas en arrière. Non seulement, vous ne restez pas où vous étiez à l’état original, mais pire vous vous enfoncez davantage. Parce qu’à l’allure où vont les choses, aujourd’hui, ce sont les médias, mais demain ce sera à qui le tour. Puisque tous ceux qui disent haut et fort ce qu’ils pensent et dénoncent les violations dans l’exercice du pouvoir actuel, on comprend qu’on fait tout pour les faire taire. Demain, cela pourrait être le tour des acteurs politiques ou des défenseurs des droits de l’homme. Toujours est-il qu’il faut se demander, demain, ce sera à qui le tour », a lancé l’avocat.

Issaga Barry pour Guineematin.com

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