Justice : « c’est quand l’avocat parle ou écrit que le magistrat voit la lumière », Me Mamoudou Sané

Mamoudou Sané, avocat au Barreau de Guinée
Suite à la sortie médiatique de Monsieur Eric Thiam, consécutive à la publication par le CNRD d’une ordonnance sur les conditions d’accession et d’exercice de la fonction de magistrat en Guinée, Maître Mamoudou Sané, avocat membre du barreau de Guinée, sort de sa réserve. Dans une tribune adressée à la rédaction de Guineematin.com, le jeune avocat rappelle au président de l’Association des magistrats de Guinée les relations étroites qui existent entre les avocats et les juges, qui forment tous les deux le corps de la magistrature.

Nous vous proposons, ci-dessous, cette tribune :

« J’ai lu le poste de Monsieur Eric Thiam suite à l’ordonnance du Président du CNRD lue à la RTG le 30 Novembre 2021 permettant désormais à un Avocat de devenir magistrat après 5 ans d’expériences.
Mais ce poste donne l’impression que pour devenir Avocat en Guinée on ne passe pas un concours national. Si pourtant, il existe bel et bien un concours très sélectif pour l’accès à la profession d’avocat. Ce concours s’appelle le Capa (Certificat d’aptitude à la profession d’avocat). Il a été institué par la loi 014 qui régit la profession d’avocat en Guinée. Je suis de la première promotion du Capa en Guinée (décembre 2009). A l’époque, sur 82 candidats, nous n’étions que 11 admis.
Et tout dernièrement (octobre 2021), sur 235 candidats, seulement 8 sont admis. C’est donc un concours très rigoureux.
Contrairement à ce que vous croyez M. Eric THIAM, beaucoup de candidats ont échoué (ou échouent) au Capa mais ils ont  réussi (ou réussissent) à l’examen d’entrée à la magistrature et vice versa.
Et pour être avocat, magistrat, notaire, huissier, commissaire priseur, il faut avoir une maitrise en droit. Tout simplement. Nous avons donc  le même diplôme, et pour la plus part sortis des mêmes universités. La différence entre le magistrat et l’avocat en Guinée est qu’après avoir réussi l’examen, le magistrat fait 9 mois de formation au Centre et un stage pratique de 9 mois dans les tribunaux, tandis que l’avocat guinéen fait 6 ans de stage dans un cabinet dont 3 ans avant le Capa et 3 ans de stage probatoire après le Capa.
Je suis d’accord avec vous M. Eric Thiam que c’est dans la pratique qu’on acquiert de d’expérience. Or 5 ans d’expérience suffisent pour un bon avocat de devenir un bon magistrat. Je suis aussi tout à fait d’accord avec vous que la Loi 014 soit révisée pour uniformiser le nombre d’années d’expérience requises pour intégrer dans l’une ou l’autre des professions (avocat et magistrat).
Mais je ne suis pas d’accord sur la préemption que le magistrat soit mieux formé que l’avocat. Heureusement que c’est une présomption. Sinon l’avocat aussi a la préemption  que c’est lui qui apporte toute la matière grise au magistrat qui ne fait que la synthèse.
Mais, voyez vous que toutes ces présomption sont discutables ?
Je connais beaucoup de magistrats qui ont intégré le barreau après leur retraite mais qui n’ont jamais pu s’imposer au barreau. Par contre, je connais beaucoup d’avocats qui ont intégré la magistrature et qui y brillent de mille feu. Cela s’explique par le fait que l’avocature est un art périlleux, un monde de concurrence sans pitié. Il faut être fort, compétent et persévérant pour devenir avocat. Par contre, un magistrat n’a pas besoin de faire beaucoup d’effort pour réussir, il a surtout besoin de conscience et de morale. Déjà il est payé par mois et par l’Etat. Il est plus facile pour un avocat de réussir dans la magistrature que le contraire.
Ne banalisez donc pas la profession d’avocat car l’avocat a la force, le pouvoir et la compétence de défendre tout le monde y compris le magistrat, et même lorsqu’un Etat a des problèmes en justice, il constitue un avocat pour le détendre. L’avocat a une compétence nationale (ou internationale) pendant que la compétence d’un magistrat est réduite à un territoire donné. La preuve que le magistrat ne connait pas mieux la loi que l’avocat est qu’à chaque fois que des décisions prises par des magistrats, elles sont infirmées ou cassées devant les cours.
Je pense plutôt que magistrat et avocat se complètent. Car, c’est quand l’avocat écrit ou parle que le magistrat voit la lumière.
Maitre Mamoudou SANE, Avocat au Barreau de Guinée
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