Les mots et les maux du ministre

Habib Yembering DIALLO,

Cher ami,

C’est toujours avec un immense plaisir que je me mets à table pour t’écrire. Outre que je vais vider mon sac, je me replonge dans la nostalgie de mon adolescence et ma tendre jeunesse. Même si tu me diras que je ne suis pas encore vieux. Et pourtant quand on regarde ses parents on estime qu’on est jeune mais quand on voit ses enfants on se rend compte que la nature est en train de faire son implacable travail. Celui qui dit que l’homme nait, il grandit, vieillit et meurt.

Ce n’est point l’objet de cette lettre. Cet objet n’a d’autre objectif que de te décrire tout le calvaire de la vie ministérielle. Plus que quiconque, je suis en train de vivre l’adage selon lequel « tout ce qu’on aperçoit de loin est beau ». Si unanimement les gens pensent que c’est plutôt une consécration de devenir ministre, laisse-moi t’avouer que si tout le monde savait ce qu’il y dedans, peu de personnes auraient souhaité le devenir.

Cette fonction fait de son titulaire un véritable esclave. Moi qui étais libre comme poisson dans l’eau jusqu’au jour où le fameux décret a été rendu public, je ne suis plus maître de moi. Je n’ai plus de vie de famille et d’amis. Je ne sors plus quand je veux. Je ne rentre pas non plus quand je veux. A propos de sortie, je me lève désormais à 5h 30 pour me préparer à aller au bureau. Pour cela, je fais appel à mon téléphone pour me réveiller.

Comme tu me connais, je ne peux pas manger à cette heure-là. Je sors de la maison à 5h 30 pour donner le bon exemple au bureau. Mais quelle que soit l’heure à laquelle j’arrive, je trouve d’autres personnes sur place. Comme le secrétaire général sortant qui ne voulait évidemment pas sortir. Je suis gêné de leur demander de me donner à manger. Ce qui fait que, parfois, c’est quand je tremble de faim que j’appelle mon chauffeur pour aller m’acheter de quoi grignoter. Et tu sais, je le fais où ? Dans ma toilette. Parce que mon bureau n’est pas le mien tout seul. Le vieux planton est si agaçant que j’ai la phobie de lui adresser la parole.

Après avoir pris un petit déjeuner à la hâte, je fais face aux nombreux dossiers. Et pour te dire la vérité, j’ai du mal à m’approprier de tout le travail. En réalité, je suis en train d’apprendre. Malheureusement, lorsqu’un nouvel apprenti est conscient que celui qui doit le former lui tend plutôt des pièges à tout de champ, tu comprends l’atmosphère dans laquelle je travaille. Parfois je reviens plusieurs fois sur le même dossier, en oubliant que nous avions fait le point sur lui.

Je suis plus que gêné d’afficher souvent mon ignorance sans le savoir. Voyant ma gêne, le chef de cabinet m’a rassuré que tous ceux qui sont passés par là se sont heurtés aux mêmes difficultés au départ. Me réconfortant en disant « monsieur le ministre, dans quelques semaines vous connaitrez ces dossiers comme la paume de vos mains ». Tout à fait, lui dis-je pour ne pas donner l’impression d’être vaincu par son ironie.

Cher ami,

Quand on est confronté à une situation comme je suis en train de te le décrire, il va de soi qu’on a besoin de calme, de la tranquillité et de la compréhension des uns et des autres. Or ce n’est pas le cas pour moi. En particulier nos amis me rendent un mauvais service. Chacun veut m’appeler pour me parler de tout et de rien. Il arrive souvent que tous mes téléphones sonnent en même temps. Et bien évidemment je trie désormais les appels. Pour répondre à certains et ignorer d’autres. Mon chauffeur m’a dit qu’il faut faire comme mon prédécesseur : avoir un téléphone pour mes patrons, un autre pour les parents et un dernier pour les amis. Pour le moment ce sont ces derniers qui me rendent la vie impossible.

Je te prie donc de sensibiliser ceux d’entre eux que tu connais pour leur expliquer que si je ne prends pas leurs appels ce n’est nullement parce que mon statut social a changé. C’est parce que, justement ce changement implique une rupture avec le passé. Savent-ils combien fois leur compagnie me manque ? Savent-ils combien de fois il est pénible pour un homme qui sortait et rentrait quand il voulait et avec qui il le voulait, d’avoir en permanence un homme en uniforme derrière lui ?

Je pense que les gens doivent avoir de l’empathie pour moi au lieu de me critiquer en disant que je ne réponds plus à leurs appels. Pour réussir mon exaltante mission, j’ai besoin de la compréhension des miens. A la fois parents et amis. Car, contrairement à l’assertion de Georges Clemenceau, selon lequel « Les fonctionnaires sont comme les livres d’une bibliothèque : les plus haut placés sont ceux qui servent le moins », je n’ai pas le sentiment qu’un ministre sert moins qu’un autre fonctionnaire.

Bref, je ne peux pas te raconter tout le paradoxe auquel je suis confronté. Je vais devoir m’arrêter là dans l’espoir de te lire prochainement. Car c’est toujours un plaisir pour moi de te lire.

Ton cousin, le ministre Habib Yembering Diallo, joignable au 664 27 27 47.

Toute ressemblance entre cette histoire ministérielle et une autre n’est que pure coïncidence.

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