Aminata Tounkara : « la façon de célébrer le 8 mars doit changer en Guinée »

Mme Aminata Tounkara, chargée du projet de renforcement des capacités électorales des médias et de la société civile à Search For Common Ground

Madame Aminata Tounkara, chargée du projet de renforcement des capacités électorales des médias et de la société civile à Search For Common Ground, désapprouve totalement la façon dont le 8 mars (Journée internationale des droits des femmes) est célébré aujourd’hui en Guinée. Elle estime que les femmes, avec l’aide des autorités guinéennes, sont en train de dévoyer le sens de cette journée pour en faire un moment festif, alors qu’en réalité, ça devait être une occasion de se pencher sur les problèmes qu’elles rencontrent au quotidien.

C’est pourquoi, dans un entretien qu’elle a accordé à Guineematin.com, cette ancienne journaliste a appelé à un changement profond dans la façon de célébrer cette journée en Guinée. Elle en a profité pour dénoncer certaines violences que les femmes subissent aujourd’hui en Guinée et qui sont passées sous silence, mais aussi pour prodiguer quelques conseils aux jeunes filles et à toute la couche féminine. Nous vous proposons de lire ci-dessous notre entretien avec cette brave dame, qui a su se frayer un chemin dans le monde professionnel.

Guineematin.com : pour commencer, parlez-nous brièvement de votre parcours professionnel.

Mme Aminata Tounkara, chargée du projet de renforcement des capacités électorales des médias et de la société civile à Search For Common Ground

Aminata Tounkara : j’ai commencé par la RTG. De 2002 à 2009, j’ai été journaliste-reporter, technicienne, présentatrice du journal parlé à la radio nationale, à la RGI, à la RKS. J’ai animé une émission intitulée « Esprit civique » à la radio nationale, avec feu Madiou Touré. Et depuis 2009, je suis à Search For Common Ground, où j’ai occupé les fonctions d’assistante-productrice, productrice, coordinatrice médias, chargée de projet médias, et aujourd’hui, je suis chargée du projet de renforcement des capacités électorales des médias et de la société civile. Je suis impliquée dans les élections et j’ai coordonné toutes les synergies des radios privées et publiques que la Guinée a connues depuis 2010.

Guineematin.com : de vos débuts à la RTG à aujourd’hui, ça fait pratiquement 20 ans de carrière. Comment avez-vous vécu ce riche parcours en tant que femme ?

Aminata Tounkara : ça n’a pas été facile quand même, il faut le reconnaître. Parce que quand j’étais à la RTG par exemple, j’étais la plus jeune à l’époque. Je suis venue trouver des gens qui ont fait 10 ans, 15 ans de stage, donc j’étais la nouvelle stagiaire. Je ne pourrai pas vous expliquer l’implication que cela avait ; mais personnellement, je n’ai pas de difficultés à sortir de ma coquille, parce que j’ai rencontré des personnes qui m’ont vraiment soutenue, qui m’ont aidée, encouragée et qui ont vu quelque chose en moi depuis très tôt. C’est l’occasion pour moi de les remercier. Et ce sont des gens qui m’ont toujours dit : tu iras de l’avant.

C’est vrai que par endroits, vous rencontrez aussi certaines personnes qui vous mettent les bâtons dans les roues, ça c’est la loi de la nature. Mais, en même temps, je me dis que ce sont des gens comme ça qui m’ont encouragée. Parce que si tu restes dans un milieu où il n’y a que des personnes qui te soutiennent, qui t’encouragent, tu ne peux pas avoir le courage d’aller de l’avant. Donc, moi, ce sont des gens aussi que je remercie aujourd’hui, ceux qui ont voulu peut-être m’empêcher d’aller de l’avant. Parce que ces gens-là aussi m’ont encouragée et ont fait de moi aujourd’hui ce que je suis. Donc, pour moi, un trajet n’est jamais facile. Pour se frayer un chemin, il suffit juste de savoir ce que tu veux dans la vie pour pouvoir avancer avec ta conviction, tes objectifs.

Guineematin.com : même s’il y en a beaucoup qui ont eu réussi aujourd’hui à avoir une carrière très enviable, les femmes sont encore loin d’être au même niveau que les hommes, alors qu’elles sont les plus nombreuses en Guinée. A votre avis, qu’est-ce qui explique cette situation ?

Aminata Tounkara : je pense que nous les femmes, nous sommes notre propre problème. Parce que nous-mêmes, faisons une analyse superficielle de nos problèmes, de nos difficultés. Pourquoi je le dis ? Parce que chaque 8 mars pratiquement, nous avons le même slogan, nous avons la même façon de fêter, la même façon de faire face à ce 8 mars. Pour moi, cela doit changer. Parce que si nous ne faisons pas une analyse profonde de ces difficultés, c’est ce qui va faire que nous serons obligées encore de parler de la même chose pour évoquer les mêmes sujets. Et cette année, j’ai été un peu choquée par rapport à la célébration du 8 mars.

Nombreuses sont les femmes qui ne comprennent pas trop le concept de cette journée. Parce qu’elles se disent que nous sommes en train de fêter, alors qu’en réalité, c’est une façon pour nous de réclamer nos droits. Mais, en réclamant nos droits, faudrait-il qu’on sache ce que nous sommes en train de fêter. Malheureusement, nous ne savons pas en réalité ce que nous réclamons. Nous allons au Palais avec nos uniformes, nous cherchons à coudre cela. Mais, ce que nous avons en nous comme problèmes, est-ce que nous sommes en train d’exposer cela ? En réalité non. Donc, nous les femmes, bous devons savoir ce qu’est le 8 mars.

Et les médias doivent s’investir, le ministère en charge de la promotion féminine doit s’investir pour faire comprendre à ces femmes ce qu’est le sens réel de ce 8 mars. Au-delà de cela, j’ai regretté aussi la non-participation des femmes rurales. Pour moi, c’est important. Je ne dirais pas qu’elles ne sont pas considérées, ce serait trop dire, mais pour moi, elles doivent être au cœur de la célébration de cette journée. Parce que ce sont ces femmes qui marchent des kilomètres et des kilomètres pour aller chercher à manger. Ici (à Conakry), nous avons des femmes qui prennent leurs sacs et qui entrent dans leurs  propres véhicules pour aller au travail. Donc, pour moi, elles ont moins de souffrance que celles qui sont l’intérieur du pays, qui portent un bébé au dos avec un fagot de bois sur la tête en plus, qui parcourent 10 à 15 kilomètres à pied avant d’arriver au champ.

Donc, pour moi, ces femmes doivent être au cœur de la célébration de cette journée, elles doivent être concernées. Et pourquoi ne pas décentraliser cette fête ? Parce que tout le temps, la fête se passe au Palais du peuple, mais qu’est-ce qui ressort de ces fêtes ? Ou alors, est-ce que le ministère ne peut pas déployer certaines personnes avant le 8 mars pour aller recueillir des informations, les avis de ces différentes femmes, les problèmes que ces femmes-là ont pour pouvoir mettre cela à la place publique une fois au Palais, parce que c’est devenu une coutume de célébrer le 8 mars seulement au Palais du peuple ?

Guineematin.com : ne pensez-vous pas que c’est une erreur de ne parler des droits des femmes que pendant le mois de mars ? Ne serait-il pas mieux de mener ce combat durant toute l’année ?

Aminata Tounkara : c’est vrai que le mois de mars est dédié à la femme guinéenne, donc c’est tout à fait normal d’en parler maintenant. Mais, nous ne devons pas attendre seulement le mois de mars pour pouvoir le faire, c’est pourquoi il y a un ministère chargé de la promotion féminine. Ce ministère devrait être capable, même pas à l’approche de la célébration du 8 mars, de nous mettre à disposition les problèmes que rencontrent les femmes. C’est une enquête qui doit être faite avant cette période. Donc, ça c’est au ministère et aux ONG partenaires de le faire pour que sachions ce que les femmes ont comme difficultés avant le 8 mars.

Comme ça, nous savons que c’est un travail concerté qui a été fait et voilà on nous présente un rapport dans lequel les femmes rurales sont prises en compte, les femmes urbaines sont prises en compte, pratiquement, tous les problèmes que nous avons en tant que femmes sont pris en compte. Comme ça, on saura qu’il y a un travail qui a été fait de façon unanime, que nous sommes en train aujourd’hui de recevoir. Ça peut être présenté le 8 mars, mais c’est un travail qui doit être fait au quotidien, parce que le ministère est là pour ça.

Guineematin.com : malgré toutes les dénonciations qui deviennent de plus en plus nombreuses, beaucoup de femmes et de jeunes filles continuent d’être victimes de violences de toutes sortes. A votre avis, que faut-il faire aujourd’hui pour rendre plus efficace la lutte contre ces violences ?

Mme Aminata Tounkara, chargée du projet de renforcement des capacités électorales des médias et de la société civile à Search For Common Ground

Aminata Tounkara : je dirais qu’il faut que nous soyons plus rigoureux au niveau de la justice. Que la justice soit vraiment faite et que ceux qui sont en train de commettre ces pratiques sachent que la justice est là. Les juger, les punir à la hauteur de leur forfaiture. Parce que nous rencontrons des gens qui font cela dans les quartiers, on les interpelle et on les détient pendant deux, trois jours, puis ils sont libérés. C’est qui est dommage. Mais, il y a aussi des familles qui ne dénoncent pas ces violences, qui préfèrent garder ça. Je connais beaucoup de familles ici où il y a eu des cas de viols par exemple sur mineur, mais ils ont préféré garder le silence. On dit : si vous parlez de ça, la presse sera informée, on sera exposés et c’est ce qui n’est pas bien.

Il y a deux pratiques qu’on n’a pas signalées cette année dont je voudrais parler, ce sont les violences sexistes et le harcèlement au niveau des différents  bureaux. Il y a assez de femmes qui sont victimes de harcèlement aujourd’hui, mais qui n’en parlent pas. Certaines vont jusqu’à à démissionner. Même si elles sont vraiment brillantes dans la boîte, elles préfèrent tout simplement quitter parce qu’elles sont harcelées par le chef ou par quelqu’un d’autre de la boîte. On n’en parle pas, mais ce sont des pratiques qui sont fréquentes dans les bureaux. Et il faut qu’on en parle, il faut qu’on punisse ces personnes-là. Et pour cela, chaque département doit avoir sa ligne de conduite, parce qu’aujourd’hui, au niveau des Nations unies, le harcèlement est interdit dans les différents bureaux.

Pourquoi le gouvernement guinéen n’en fait pas autant ? Cela permet aux femmes de s’épanouir et d’éviter la fuite des cerveaux. Parce que certaines femmes peuvent tout simplement quitter, parce qu’elles sont harcelées. Les violences sexistes aussi existent. Vous pouvez avoir un homme dans un bureau qui peut tapoter une femme, qui vient embrasser une femme, qui vient pour te dire que tu es sapée, ce n’est pas normal. Je sais qu’on est entre collègues, mais ce n’est pas normal, il faut que ces pratiques cessent. Et c’est des choses comme ça que nous devons être à même de dénoncer avant même le 8 mars, parce que ce n’est pas pendant cette journée qu’on pourra résoudre tous nos problèmes.

Guineematin.com : partant de votre parcours, de votre expérience, quels conseils pouvez-vous donner aux jeunes filles qui aspirent avoir une carrière réussie ?

Aminata Tounkara : je dirais d’abord aux femmes en général de savoir ce qu’elles veulent, c’est très important. Dans la vie, si tu sais ce que tu veux, tu vas toi-même te frayer un chemin. Nous ne sommes pas femmes, parce que nous ne pouvons pas faire ce que les hommes font. Nous sommes des femmes, parce que nous pouvons aussi faire ce que les hommes sont en train de faire. Nous sommes femmes, parce que nous savons ce que nous représentons pour la société. Nous sommes femmes parce que c’est nous qui sommes au niveau des foyers. Il y a un adage peul qui dit qu’il y a le propriétaire de la maison et la propriétaire du foyer.

Le propriétaire de la maison, c’est l’homme, et la propriétaire du foyer, c’est la femme. Donc, les deux choses sont différentes : la femme dans le foyer, réfléchit pour elle-même, elle réfléchit pour ses enfants, elle réfléchit pour le mari et elle réfléchit pour la société. Donc, nous femmes, nous devons savoir que nous avons notre place dans la société, dans la vie de la nation et agir comme tel. Parce que nous devons nous respecter et devons amener les autres à nous respecter. Mais ça, c’est si nous savons ce que nous sommes en train de faire. Si nous avons une conviction, nous avons un objectif, c’est très important.

Pour les jeunes filles, c’est de ne pas utiliser leur jeunesse pour penser qu’à travers ça, elles peuvent aller de l’avant, non. Elles ne sont pas jeunes pour faire tout ce qu’elles veulent, elles sont jeunes parce qu’elles doivent maintenant préparer leur avenir. Et quelqu’un d’autre ne le fera pas à leur place. C’est de s’adonner au travail, de prendre exemple sur de nombreuses femmes aujourd’hui qui ont réussi.

C’est de prêter une oreille attentive à tout ce qui se passe, parce que nous avons de braves femmes dans ce pays qui peuvent servir d’exemple, qui sont en train de sortir de leur coquille pour vraiment se hisser très haut. Donc ce sont des jeunes filles, qui peuvent vraiment aller très loin mais il faut qu’elles sachent ce qu’elles sont en train de faire et qu’elles prêtent une oreille attentive qui pourra leur permettre de comprendre les conseils qu’on va leur donner.

Entretien réalisé par Mamadou Yahya Petel Diallo pour Guineematin.com

Tél: 622 67 36 81

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