Guinée : au pays de perpétuel recommencement

Mory Mandiana DIAKITÉ

ET SI UN SYSTÈME DE PRÉSIDENCE TOURNANTE ÉTAIT FORCÉMENT UNE SOLUTION POUR UNE PAIX DURABLE DANS NOTRE PAYS ?

Par Mory Mandiana DIAKITÉ : De crise en crise, de crime en crime, de dialogue en dialogue, de médiation en médiation, d’assise en assise, voilà le quotidien des Guinéens depuis bientôt deux décennies. L’ennemi du patriotisme, c’est bien l’ethnocentrisme. Quand il se développe dans un pays, le patriotisme disparaît ou devient un slogan creux. Entre la nation et l’ethnie, chacun préfère instinctivement et insidieusement l’ethnie. C’est ce qui aveugle nous les Guinéens et nous fait éloigner de jour au jour de la raison.

L’ethnocentrisme a complètement dominé nos esprits. Une crise sociale complexe et profonde comme celle qui secoue notre pays depuis des décennies, doit être abordée avec beaucoup de sérieux et d’abnégation. Même l’application des recommandations des assises « nationales » récemment organisées ne suffira plus pour faire disparaitre ce fléau qu’est l’ethnocentrisme.

Dans un passé récent, avec une bonne gouvernance politique, sociale et économique, on aurait pu construire une nation réconciliée avec elle-même où il fait beau vivre. Hélas ! On a franchi la ligne rouge inconsciemment, en instrumentalisant l’ethnie. C’est-à-dire le point de non-retour. Il nous faut une nouvelle approche pour pouvoir faire disparaitre les tensions interethniques durablement. L’injustice s’est installée et le nombre de victimes de violences politiques qui se comptait par dizaine, se compte aujourd’hui par millier.

À cela s’ajoutent des crimes économiques. Même s’il faut sacrifier tout le pays, certains sont prêts aujourd’hui à le faire, pourvu qu’il n’y ait pas de justice sur ces décennies de malversations financières. La situation se complique davantage. Car, les nouveaux délinquants financiers qui naissent, risquent de coaliser avec leurs aînés pour faire bloc à la justice. Ils n’hésiteront même pas à comploter contre le Président et son ministre de la justice, au grand dam des défenseurs de la justice sur ce qui s’est réellement passé comme crimes économiques et crimes de sang. Sauf si ces derniers ferment les yeux sur les détournements et acceptent le jeu, l’antagonisme obligeant. Quel est ce Guinéen aujourd’hui qui fera l’unanimité et qui sera capable d’éradiquer l’ethnocentrisme devenu héréditaire pour rapprocher les positions ? Quoi qu’il fasse, il sera rejeté par une partie de la population. Il est temps d’arrêter de nier l’évidence, si on veut réellement vivre en paix et dans la concorde sociale. La réalité est que les Guinéens ne s’aiment plus entre eux. Ils deviennent de plus en plus méchants, corrompus et rusés. Le clivage socioculturel s’est approfondi avec l’ethnicisation excessive des débats d’idées. Ils se regardent désormais en chiens de faïence, comme Israéliens et Palestiniens. Certains se battent inlassablement pour garder jalousement le pouvoir, tandis que d’autres se battent férocement pour le conquérir ou reconquérir, quitte à sacrifier l’ethnie, voire le pays.

Même l’islam ni le voisinage ou la célébration des faits sociaux ensemble dans les quartiers, ne suffissent pas pour renforcer la cohésion sociale. La haine a eu raison de l’amour. Les intellectuels et analphabètes raisonnent de la même manière lorsqu’il s’agit de l’ethnie. Ceci étant, contrairement à beaucoup d’analystes politiques inféodés aux idéologies occidentales, moi je continue à croire que seul un système de présidence tournante entre les quatre régions naturelles du pays, pourra nous aider à ramener globalement la paix dans ce pays, gage d’un développement durable. Cela consistera à organiser des primaires au sein de la région hôte avec la participation de tous les partis politiques agréés, en vue d’élire deux candidats pour les prochaines élections présidentielles.

Selon le chronogramme électoral préétabli, les deux candidats venus en tête des élections primaires mèneront la campagne dans tout le pays. Et il revient au peuple de Guinée de choisir un parmi les deux pour présider les destinées de la nation pour une durée donnée. Tous les partis politiques existants peuvent participer à ces élections primaires organisées au sein de la région hôte. Ainsi, cela permettra, par exemple, au RPG ou à l’UFR d’être représentés aux élections présidentielles par un résident ou ressortissant de Fouta, qui peut ne pas être un Peulh. Évidemment, si c’est le Fouta qui est la région hôte de la présidence tournante. Et vice-versa.

Avec ce système, les considérations ethniques vont disparaitre insidieusement, car les partis politiques sont nationaux, bien que les primaires soient régionaux avec la participation des candidats éligibles. Chaque région aura une Commission Électorale Indépendante Régionale. Les gens, il faut le noter, se battent politiquement juste pour des intérêts personnels en entraînant leurs ethnies avec eux ou en les utilisant comme des boucliers. Donc, l’élection est d’abord régionale avec la participation des candidats localement éligibles, ensuite elle devient nationale. C’est juste un éclatement du système classique actuel en deux temps ou niveaux. On peut comprendre tout de même l’inquiétude de certains citoyens qui craignent une confiscation du pouvoir par une région au détriment des trois autres.

Pourtant, il peut avoir des garde-fous solides, afin de pallier à toute tentation de confiscation du pouvoir par une région. Les critères d’appartenance régionale et d’éligibilité des candidats au nom d’une région, ainsi que la durée de mandat et le mode de choix de la région hôte seront définis. Par contre, je ne crois pas que l’instauration d’un tel système démocratique décentralisé pourra conduire à la balkanisation de notre pays, comme prétendent certains. Il ne pourra non plus créer d’autres crises plus graves et complexes que nous n’avons pas encore connues. De la même manière les maires sont élus, c’est de la même que les deux présidentiels de la région hôte seront élus au suffrage universel. Le scrutin sera ouvert à tous ceux sui réclament d’une région donnée, peu importe de leur lieu de résidence ou ethnie. Je parle de la région et non de l’ethnie.

L’objectif ce n’est pas d’inventer une nouvelle démocratie. Les règles de la démocratie sont universelles. La Suisse et les USA ont un système démocratique différent, mais ces deux pays sont tous des modèles de la démocratie. Il ajouter que, même le bipartisme à lui ne suffira plus pour ramener la paix et la concorde sociale, tellement le clivage social s’est approfondi. Même la fixation de quota à récolter par région pour remporter les élections ne suffira pas pour rapprocher les positions.

Pour finir, je me dis que si ça ne tenait qu’à l’ancêtre des noirs, des Guinéens singulièrement, il n’aurait pas eu de vol d’avion dans l’espace et que l’homme ne mettrait jamais pieds sur la lune. C’est juste une façon de dire qu’on doit apprendre à réfléchir et élaborer de nouvelles approches pour trouver solution à nos problèmes par nous-mêmes. La confiance en soi. On doit avoir honte maintenant de cette perpétuelle médiation, qui est un business lucratif pour les pyromanes, des larbins de l’ancienne puissance coloniale. Au pays de perpétuel recommencement, c’est toujours le retour à la case départ. On n’avance pas, mais on s’embourbe. C’est toujours les mêmes têtes et les mêmes arguments. Décidément, même le putsch du 5 septembre 2021 n’aurait pas suffit pour renouveler la classe politique et pour repartir sur une nouvelle base. Chacun campe sur sa position, quitte au pays de se déchirer.

Le paradoxe est vraiment guinéen. Le monde avance si vite, nous on va si nonchalamment ! Sinon, Dieu a fait tout ce qu’Il pouvait faire pour la Guinée. Le reste revient aux Guinéens eux-mêmes. Ce qui reste clair, Dieu n’enverra pas des anges pour réfléchir à notre place pour nous-mêmes pour se développer et pour être heureux. On doit tout de même avoir honte de cette interminable négociation. Ce qui est vrai, on évolue, mais les problèmes demeurent. Ils disparaissent momentanément, avant de resurgir. On veut vraiment la paix maintenant, quelque soit le prix à payer.

Par Mory Mandiana DIAKITÉ, Enseignant-chercheur, Écrivain

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