Violences sexuelles en Guinée : les religieux, médecins, enseignants, forces de défense et de sécurité… parmi les auteurs (Amnesty International)

Samira Daoud, Fabien Offner et Khadidiatou Diaw

A l’occasion d’une conférence de presse organisée à Conakry ce mardi, 27 septembre 2022, Amnesty International a publié un rapport sur les violences sexuelles en Guinée. Dans ce rapport de 79 pages, fruit d’une enquête menée sur plusieurs mois (en 2021 et en 2022), cette ONG internationale de défense des droits humains a égrené les obstacles qui ralentissent les efforts sur la lutte contre les violences sexuelles en Guinée. Amnesty International désigne aussi les enseignants, les religieux, les médecins, les forces de défense et de sécurité (entre autres) comme les auteurs des viols souvent enregistrés dans le pays, rapporte un journaliste que Guineematin.com a dépêché sur place.

Le présent rapport d’Amnesty International sur la Guinée traite particulièrement de la manière dont l’Etat guinéen et les différentes structures et institutions en charge des questions de violences sexuelles répondent à ces questions pour permettre de garantir les droits des victimes et leur accès à la justice. Et, selon Samira Daoud, directrice régionale Afrique de l’ouest et du centre d’Amnesty International, ce rapport s’inscrit dans un partenariat avec la fédération internationale pour la planification familiale (IPPF) Afrique.

Samira Daoud, directrice régionale Afrique de l’ouest et du centre d’Amnesty International

« La question des violences sexuelles nous a paru être une question importante à aborder… Nous avons choisi cette date de sortie à Conakry comme une date symbolique et importante pour faire le lien avec les évènements du 28 septembre 2009. Puisque vous le savez, en plus des manifestants qui ont été tués au stade, il y a plus d’une centaine de femmes qui ont été violées. Donc, pour nous, c’était important de parler de cette problématique autour de cette date pour rappeler que le 28 septembre est aussi une date importante sur les questions de violences sexuelles et c’était jusqu’à encore très peu de temps un symbole de l’impunité sur les violences sexuelles… Donc, ce que je peux vous dire brièvement sur ce rapport en termes de méthodologie, c’est que c’est un travail d’enquêtes qui a été mené sur plusieurs mois en 2021 et en 2022… Près de 120 personnes ont été interrogées, à la fois des victimes et des familles de victimes, des acteurs de la société civile, mais aussi des différentes institutions qui travaillent ou traitent de ces questions-là… Ce qui ressort de cette enquête, c’est que s’il y a eu des efforts importants et des mesures significatives qui ont été menés par les différents gouvernements ces dernières années dans le sens d’une meilleure prise en compte de cette problématique (…), il y a malheureusement de très nombreux obstacles qui demeurent », a indiqué Samira Daoud.

A en croire Fabien Offner, chercheur à Amnesty International, les violences sexuelles sont récurrentes en Guinée. Mais, avoir des données chiffrées est extrêmement difficile. Et, cela dénote de la complexité de ces violences et du manque de coordination des différents acteurs qui interviennent dans le pays sur les violences sexuelles.

Fabien Offner, chercheur à Amnesty International

« Les données qui existent sont celles des enquêtes nationales qui sont des données statistiques qui sont faites de façon générale d’entretiens auprès de certains ménages. Il y a également les données judiciaires qui ne sont pas toujours exhaustives et pas précises. Mais, on se rend compte, en analysant certaines audiences criminelles dans certaines régions, que les viols représentent parfois plus de 50%… Qui sont les auteurs de viol ? La plupart du temps, ce qu’on a constaté, c’est la cellule familiale, le voisinage. On a également voulu s’attarder un peu sur les forces de défense et de sécurité, parce que le 28 septembre 2009 est la preuve que les forces de défense sont assez régulièrement impliquées dans ces questions de viol et violences sexuelles. On a noté tout ce qui concerne les enseignants et les religieux, puisqu’il y a des cas assez fréquents qui reviennent et qui sont rapportés par les médias. En fin, on a noté la question des médecins et des tradi-praticiens. La mort de M’mah Sylla a montré combien certaines hospitalisations pouvaient parfois entraîner des abus », a expliqué Fabien Offner.

Ce chercheur à Amnesty International relève aussi des « obstacles » qui freinent les efforts de lutte contre les violences sexuelles en Guinée.

« Il y a la question de signalement des violences sexuelles, il n’y a pas vraiment de numéro vert qui existe en Guinée. Il y a aussi la question de l’accès aux soins. Il n’y a pas de mécanismes qui permettent aux victimes de violences sexuelles d’avoir accès à des soins gratuits. Le manque d’appui psychologique. Il y a encore des obstacles assez importants au niveau du dépôt de plainte à la police et à la gendarmerie. Ce qu’on peut constater tout d’abord, c’est qu’il y a un problème assez grave avec la question du certificat médico-légal. Puisqu’au niveau de la police et de la gendarmerie, il est systématiquement demandé à la victime de présenter un certificat médico-légal. Or, ça, ce n’est pas une obligation légale. Il y a également le manque de médecins légistes. Il y en a très peu ; et, le peu de médecins légistes qui existe est essentiellement concentré à Conakry. Il y a aussi la question des interférences avec certains membres de la police et de la gendarmerie qui prennent parfois la place du juge en jugeant de la recevabilité ou pas d’une plainte. Certains qui demandent parfois de l’argent de façon illégale pour pouvoir mener des enquêtes. Et là encore, c’est quelque chose d’illégale », a indiqué Fabien Offner.

De son côté, Khadidiatou Diaw, chargée de campagne, est revenue sur certaines recommandations contenues dans ce rapport d’Amnesty International sur les violences sexuelles en Guinée.

Khadidiatou Diaw, chargée de campagne à Amnesty International

« On appelle les autorités guinéennes à adopter une loi générale qui va ériger en infraction toutes les violations sexuelles. On appelle à une modification de la définition du viol, notamment pour mettre au cœur la notion du consentement, au lieu de violence et contrainte qui sont actuellement dans la définition du viol. Pour la prévention, on appelle aussi les autorités à renforcer davantage le pouvoir judiciaire de la police, des travailleurs sociaux et de tous ceux qui participent à la prévention de la lutte contre les violences sexuelles. Au niveau de la justice, on préconise qu’une aide juridictionnelle soit adoptée pour faciliter aux victimes la prise en charge et pour leur permettre de porter plainte plus facilement et d’avoir un accès facile à la justice. On préconise aussi que les procédures judiciaires soient plus rapides et équitables… Au niveau de la santé, on voudrait qu’il y ait une prise en charge plus adéquate et que les soins soient plus accessibles aux victimes de viol. On encourage les médias, dans le traitement de l’information, à lutter contre les stéréotypes et les mythes qui sont associés au viol. Il y a aussi un appel à garantir plus l’anonymat des victimes et des personnes accusées, sauf si expressément elles demandent que leurs identités soient dévoilées », a dit Khadidiatou Diaw.

Mamadou Baïlo Keïta pour Guineematin.com

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