Procès du 28 septembre : Oury Baïlo Bah raconte le film de la disparition de son frère

Le procès du 28 septembre est entré dans une nouvelle phase ce mardi, 14 février 2023. Après la comparution de tous les accusés, c’est au tour des parties civiles de passer maintenant devant le tribunal criminel de Dixinn pour apporter leurs témoignages. Et c’est maître Oury Baïlo Bah, avocat, qui a été le premier plaignant à être entendu. Assis dans un fauteuil roulant, il est revenu longuement sur la situation de son jeune frère, Elhadj Hassane Bah, 36 ans, tué au stade du 28 septembre de Conakry, et dont le corps n’a jamais été retrouvé.

Guineematin.com vous propose ci-dessous son témoignage :

Oury Baïlo Bah, victime des massacre du 28 septembre

« Le 28 septembre, mon petit frère, Elhadj Hassane Bah, n’était pas sorti dans l’intention d’aller au stade. Il avait un programme avec l’un de ses amis pour assister à un baptême dans la belle-famille de ce dernier. Il est sorti l’attendre au bord de la route. Mais il a été emporté par la vague de mouvements de la foule, il a suivi les manifestants jusqu’au stade. Moi, j’habitais à ce moment-là à Kaloum, au quartier Sans-fil précisément. Lui, il habitait à Hamdallaye. Je l’ai appelé au téléphone aux environs de 9 heures pour lui demander où il était, parce que je savais qu’il y avait la manifestation, donc je l’ai appelé pour connaître sa position. Il m’a dit qu’il a suivi la foule et qu’il était en route pour le stade. Donc, son programme pour aller au baptême a été annulé.

Quelque temps après, je l’ai appelé pour lui demander où il était exactement, il m’a dit qu’il était aux alentours de l’esplanade du stade, mais qu’il y avait une foule énorme sur les lieux et que les gendarmes aussi étaient là-bas. Un instant après, il m’a informé aussi que les gendarmes ont tiré du gaz lacrymogène et qu’il y a deux personnes qui sont tombées sur l’esplanade, en présence de Tiegboro et ses hommes. C’est suite à ça que la foule et le groupe de gendarmes qui était présent se sont tous dirigés vers le portail du stade. Ils ont ouvert le portail, puis sont entrés tranquillement dans le stade. Lorsqu’on parlait, j’entendais les discours qui se tenaient, j’ai compris qu’il n’y avait aucun problème, donc j’ai raccroché. Mais on s’appelait chaque 5 ou 10 minutes.

Et lorsque je l’ai rappelé vers midi, il m’a dit que les bérets rouges sont entrés dans le stade et qu’ils tirent.

Moi-même, j’entendais au téléphone le crépitement des armes et les cris des gens. Je sentais aussi son essoufflement parce qu’il courait aussi. Je lui ai demandé de tout faire pour essayer de sauver sa peau. Il dit que c’est ce qu’il était en train de faire. Je lui ai dit alors de ne pas raccrocher, donc il a gardé la ligne en courant. Puis d’un coup, je ne sais pas si c’est le téléphone qui est tombé ou quoi, le téléphone était en marche mais je n’entendais plus sa voix. J’entendais des bruits, mais mon frère ne répondait plus. Après, j’allume la télévision, sur la chaîne France24, je vois en bande passante « Massacre au stade du 28 septembre, bilan provisoire 10 morts » », a-t-il expliqué dans une vive émotion. A partir de cet instant, l’inquiétude grandit davantage chez Oury Baïlo Bah et sa famille.

Oury Baïlo Bah, victime des massacre du 28 septembre

« Mes autres sœurs et frères cherchaient à m’appeler pour savoir si j’ai eu des nouvelles de lui. À 13 heures, certains de mes amis m’ont dit qu’ils ont commencé à transporter les blessés aux urgences, notamment à Donka et à Ignace Deen. Immédiatement, je me suis rendu à Ignace Deen, où on a fouillé partout sans retrouver mon frère. À 14 heures, avec deux de mes grandes sœurs et ma femme, je suis parti à l’hôpital Donka, où j’ai été témoin de certaines scènes. J’ai vu arriver certains corps qu’on a débarqués des ambulances, j’ai vu arriver aussi des blessés qu’on a débarqués de certains Magbana. Mais les urgences étaient tellement pleines qu’il y avait une véritable cacophonie, on ne pouvait rien comprendre. Il y avait aussi du sang qui coulait comme si on était dans une boucherie. On a fouillé là aussi, on n’a pas retrouvé mon frère.

Plus tard, aux environs de 16 heures, puisque les ambulances se dirigeaient vers la morgue, on cherchait toujours à le voir, mort ou vivant. Mais toutes nos recherches sont restées vaines. Entre 16 heures et 17 heures, les parents des victimes étaient nombreux à la morgue. Et à un moment donné, on a vu des bérets rouges arriver sur les lieux pour chasser tout le monde. Ils ont dit que l’accès à la morgue est interdit. C’est le ministre de la santé qui a annoncé que les bérets rouges étaient venus pour garder la morgue et que désormais, personne ne va voir un corps là-bas. On a tout fait mais on ne nous a pas permis de s’approcher des corps. A ce moment-là, du carrefour Donka jusqu’au carrefour du camp Camayenne, tout était bouclé, il n’y avait pas de passage.

Donc, nous sommes dans les environs jusqu’aux environs de 18 heures, lorsque j’ai reçu la triste nouvelle. Je reçois un coup de fil d’une personne qui était au stade, qui a d’abord commencé par me demander si on a retrouvé mon frère, j’ai dit que nous étions sur les recherches. Après, il m’a dit : « mon frère, sois courageux, j’ai vu Hassane parmi les morts. Il ajoute que pour être sûr et avoir une preuve qu’il est mort, « je me suis approché de son corps et j’ai fouillé sa poche, où il avait une clé et une somme de 7000 francs. Donc, j’ai pris ça en guise de preuve. Mais j’hésitais encore à te l’annoncer ». Je lui ai demandé où est-ce qu’il a mis la clé, il m’a dit qu’il partait remettre la clé à mon beau-frère. Et c’est ce qu’il a fait. Dès qu’il a envoyé la clé, mon beau-frère est parti ouvrir la porte de sa maison, il a trouvé que c’était effectivement sa clé.

Il a refermé tranquillement la maison et n’a pas eu le courage d’informer la famille, tout comme moi d’ailleurs. Après, j’ai dit aux autres : « rentrons à la maison puisqu’on ne le voit pas. On a informé quelques parents parce que mon papa et ma maman étaient à Pita à ce moment-là. Eux aussi étaient très inquiets, ils appelaient souvent pour savoir si on a pu avoir de ses nouvelles. Mais, j’avoue qu’on n’a pas donné la nouvelle de sa mort immédiatement. Le lendemain, mardi, on a continué les recherches. C’est-à-dire, on voulait d’abord voir soit son corps soit son vivant, mais qu’on sache ce qu’il est devenu réellement. Donc, nous avons été au camp parce qu’on avait des frères militaires. Ces frères nous ont dit qu’il y a des manifestants qui ont été envoyés au camp ici, mais nous, on ne peut rien faire vraiment.

Nous vous informons tout de même qu’il y des manifestants qui sont au camp, allez y voir chez Pivi et chez Tiegboro, peut-être que vous allez le voir là-bas. Deux de mes grandes sœurs et moi, nous sommes rendus au camp. Quand nous sommes arrivés, moi je suis resté dans la voiture, mes sœurs sont allées voir. On leur a demandé d’appeler les gens par leurs noms, s’ils sont là-bas, ils vont répondre. Elles ont appelé le nom de mon frère, mais il n’y a pas eu de réponse. Et chez Tiegboro et chez Pivi. Mais il y avait des gens qui disaient là-bas : « Au secours », « Aidez-nous ».  Je crois que c’est 5 jours après qu’ils ont organisé ce qu’ils ont appelé restitution des corps à la mosquée Fayçal. Nous y sommes allés, il y a des camions qui venaient débarquer les corps. Permettez-moi de vous dire que ces corps avaient commencé à pourrir.

Les visages commençaient à être vraiment méconnaissables et les corps dégageaient une mauvaise odeur. Certains étaient obligés d’enlever le linceul pour chercher une trace, un signe pour pouvoir reconnaître quelqu’un. Ce qui prouve qu’il y a eu vraiment un manque de dignité dans le traitement des corps. C’est une chose aussi qui nous a marqués. En plus, le nombre de corps qui avait été annoncé était supérieur au nombre de corps qui étaient là. Ils ont annoncé 57 corps, mais il n’y avait pas tous ces corps sur les lieux. N’ayant pas pu retrouver le corps de mon frère là-bas, nous étions obligés de partir au village à Pita pour retrouver les parents. Pourtant, le corps de mon frère avait été vu sur l’esplanade du stade avec d’autres corps alignés. J’en ai même une photo ici. Sur la photo, le corps de mon frère est en quatrième position en partant du bas en haut.

Donc, ce corps qui a été vu là-bas, photographié et filmé, a tout simplement disparu. Et il n’a plus été retrouvé parmi les corps qui ont été restitués. Les personnes qui l’ont vu m’ont dit qu’il a reçu un coup à la nuque. Donc, nous n’avons même pas une tombe où nous recueillir, monsieur le président. Ce qui nous reste de lui, ce sont les souvenirs. Donc je voudrais bien, monsieur le président, qu’on nous dise où se trouve le corps de mon frère », a-t-il lancé. Après les questions des différentes parties adressées à ce plaignant, le tribunal a renvoyé le procès à demain, mercredi, pour la comparution d’une autre partie civile.

 Mohamed Guéasso DORÉ pour Guineematin.com

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