Pr Bano Barry décrypte la crise au Niger : « c’est une situation où il n’y a aucune bonne solution »

Pr. Alpha Amadou Bano Barry, sociologue, ancien ministre de l’Education nationale et de l’Alphabétisation

Trois semaines après le coup d’État au Niger, c’est toujours le statuquo ! N’ayant pas été rétabli dans ses fonctions comme l’exige la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique), le président Mohamed Bazoum est toujours retenu par la garde présidentielle qui l’a renversé et son sort risque même de s’aggraver avec la récente menace du Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP) de le poursuivre pour haute trahison. Autant dire que les injonctions de l’instance sous-régionale ne sont pour le moment pas prises en compte par la junte. Alors, elle pourrait mettre en exécution l’option militaire après la réunion des chefs d’état-major de ses pays membres prévue les 17 et 18 août prochain à Accra pour « activer et déployer la force d’attente » sans délai afin d’intervenir au Niger.

Mais, dans un entretien accordé à Guineematin.com ce mardi, 15 août 2023, le Professeur Alpha Amadou Bano Barry, sociologue, estime que le Niger se retrouve aujourd’hui dans une situation où aucune solution n’est la bonne. L’ancien ministre guinéen estime d’ailleurs qu’une intervention militaire serait difficile à mener au niveau de la coordination des armées qui seront déployées sur le terrain, mais également à cause des éventuelles victimes civiles que cela pourrait engendrer.

« Ce n’est pas évident de conduire une action militaire parce qu’il n’y a pas une armée de la CEDEAO, il y a des armées nationales. Pour une intervention, il faut que les militaires puissent avoir l’habitude de travailler ensemble en matière de commandement, de renseignements et tout ce qui s’ensuit. Malheureusement, il y a une armée nigériane qui est plus importante, qui est anglophone et il y a d’autres armées africaines qui sont francophones et qui n’ont pas l’habitude de travailler ensemble. Ce qui rend très compliqué une opération militaire parce que pour qu’il y ait une action militaire, il faut qu’il y ait une coordination des forces qui vont aller sur le terrain avec le risque que cela peut conduire à des morts militaires mais aussi du côté des populations civiles. Ce qui pourrait compliquer davantage les choses. Il n’est pas possible de valider la prise du pouvoir par la force, ce qui est le cas ; et, en même temps, il est très difficile d’intervenir militairement parce que ceux qui sont capables d’aider militairement à régler le problème ce sont les troupes étrangères qui sont dans le pays. C’est-à-dire les troupes françaises et américaines. C’est difficile pour elles de le faire compte tenu du fait que cela a des implications internationales et diplomatiques. Donc, on se retrouve dans une situation où en réalité il n’y a aucune bonne solution ! Les sanctions ne sont pas une bonne solution, l’intervention militaire n’est pas une bonne solution, ne pas intervenir militairement n’est pas une bonne solution, laisser la junte en place n’est pas une solution. En fait, rien n’est bon dans ça », a expliqué l’intellectuel guinéen.

Avant d’envisager l’option militaire, la CEDEAO a pris des sanctions économiques contre le Niger au lendemain du coup de force perpétré par le Général Abdourahamane Tchiani et ses hommes, ce qui a entraîné la fermeture des frontières des pays voisins. Ces sanctions se font ressentir sur les populations. À en croire le Pr Bano Barry, elles ne vont pas perdurer ; donc, cette option là aussi n’est pas viable. « Les sanctions économiques sont extrêmement dures pour les populations qui sont les plus touchées par elles. Elles ne pourront pas perdurer ; donc, il faudra à un mon donné les lever. Ce qui rend la situation extrêmement compliquée ».

Toutefois, la CEDEAO a dit à plusieurs reprises qu’elle souhaite régler la crise par la voie diplomatique. Mais, cela se passera par le rétablissement du président Bazoum au pouvoir, ce que ne souhaite pas le CNSP. Elle se retrouve donc dans une impasse.

À en croire l’ancien ministre guinéen de l’Education Nationale et de l’Alphabétisation, si la CEDEAO est confrontée aujourd’hui à cette crise dont l’issue est très incertaine, c’est parce qu’elle a laissé passer des changements inconstitutionnels. Or, il faut résoudre la crise nigérienne pour éviter un effet de contagion dans les autres pays.

« La CEDEAO elle-même s’est fragilisée par deux choses : le fait d’avoir accepté le 3ème mandat d’Alhassane Ouattara et le fait d’avoir accepté le coup d’État au Mali. Tout le reste que nous vivons là résulte de ces deux éléments. Maintenant, le problème est qu’à partir du moment où la boîte de Pandore est ouverte, personne ne peut plus savoir à quel moment le diable va sortir de la boîte. Aujourd’hui, le problème du Niger, c’est comment fermer le couvercle de la boîte de Pandore. Pour la fermer, il faut ramener Bazoum ! Or, pour ramener Bazoum, il n’y a que deux possibilités : soit du point de vue des pressions qu’elles soient telles que la junte elle-même arrive à la conclusion qu’elle ne peut pas tenir, il est préférable donc de rendre ; soit intervenir militairement. Et donc, ça complique considérablement la situation. Et pourtant, si le couvercle du Niger n’est pas fermé, si la boîte de Pandore au Niger n’est pas fermée, il y a des possibilités qu’il y en ait d’autres dans nos pays », a prévenu Pr Barry.

Entretien réalisé par Mamadou Yahya Petel Diallo pour Guineematin.com 

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