64 ans de la monnaie guinéenne : Dr Ansoumane Camara nous parle de l’historique, de l’évolution et de la santé du franc guinéen

La monnaie guinéenne a célébré le 64ème anniversaire de sa création ce vendredi 1er mars 2024. Du 1er mars 1960 à nos jours, cette monnaie a connu une trajectoire guinéenne ponctuée de diverses fluctuations. Selon nos informations, au cours des 2 dernières décennies, le taux d’inflation a chuté de 40% à 8%. Pour approfondir notre compréhension de l’historique, de l’évolution et de la stabilité de la monnaie guinéenne, des reporters de Guineematin.com ont donné la parole à Dr Ansoumane Camara, économiste et professeur chargé de cours à l’Université Koffi Annan de Guinée et à l’Université Général Lansana Conté de Sonfonia.

Guineematin.com : la Guinée célèbre le 64ème anniversaire de la création de sa monnaie ce vendredi. Pouvez-vous nous expliquer un peu l’historique du franc guinéen et de son évolution ?

Dr Ansoumane Camara : la création de la monnaie guinéenne est une longue histoire. La Guinée, avant 1960, utilisait comme plusieurs pays de l’Afrique de l’Ouest francophone ce qu’on appelle le Franc CFA. Quand la Guinée a accédé à l’indépendance en 1958, il s’est passé beaucoup de choses. Notamment ses relations avec la France qui se sont détériorées. Et la Guinée, après de nombreuses réflexions, a pris ses responsabilités le 1er mars 1960 en créant sa propre monnaie que nous avons appelé le Franc guinéen, et depuis cette date jusqu’à nos jours, la Guinée sur le plan monétaire est restée indépendante vis-à-vis des autres pays de l’Afrique de l’Ouest francophone qui sont dans une zone que nous appelons l’Union Économique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA).

Aujourd’hui, comment se porte la monnaie guinéenne ?

La santé de la monnaie guinéenne a évolué en dents de scie. Ce qu’on peut retenir principalement, c’est la grande crise de 2006-2007 où le franc guinéen s’est déprécié jusqu’à hauteur de 40%. Et depuis, les gouvernements successifs se sont investis pour améliorer la santé de la monnaie guinéenne. Aujourd’hui, il faut reconnaître que la santé de la monnaie guinéenne est plus ou moins bonne parce que nous sommes en moyenne entre 8.4 à 10% d’inflation. Ce qui n’est pas mal comparé au taux d’inflation de la sous-région et même à l’échelle internationale, étant donné la crise ukrainienne, beaucoup de pays, y compris ceux européens, connaissent aujourd’hui des taux d’inflation extrêmement élevés. Alors, quand on tient compte de ce contexte, il faut se réjouir de la santé de la monnaie guinéenne. Quand vous faites la lecture des politiques économiques, vous avez sur l’ensemble des fonds des politiques économiques, une politique que nous appelons communément la politique monétaire. Celle-là relève de la responsabilité exclusive de l’autorité monétaire, qui est la banque centrale, qui a pour objectif premier la stabilité des prix, ce qui signifie qu’il faut maîtriser le taux d’inflation.

Le combat des acteurs économiques et l’Etat porte sur l’équilibre entre l’inflation et la déflation. Est-ce des mesures adéquates sont entreprises dans ce sens ?

 Les banques centrales ont pour rôle premier de travailler pour qu’il y ait une stabilité parce que quand le prix s’élève constamment dans la durée, là nous parlons d’inflation. Et quand il baisse dans la durée, là nous parlons de déflation. Aussi bien l’augmentation dans la durée que la diminution dans la durée, ce sont de mauvaises choses pour une banque centrale, autant pour une monnaie. Donc, l’effort de la banque centrale consiste naturellement à ce qu’il y ait la stabilité des prix. Quand les prix sont trop élevés, ce n’est pas bien pour l’économie. Quand ils sont très faibles, ce n’est pas bien pour l’économie. Donc, l’objectif c’est de faire en sorte qu’il y ait une stabilité des prix qui est quand même un indicateur assez important dans le système. Si la monnaie n’est pas bien tenue, on peut aller au-delà des instruments conventionnels. Mais je crois que la Guinée est loin de cette situation parce que, comme je l’ai rappelé, beaucoup de fonds sont sortis au niveau de l’autorité monétaire, qui est la banque centrale de la République de Guinée, pour maintenir les prix à des niveaux quand même raisonnables, des niveaux acceptables comparativement aux autres pays de la sous-région, voire l’échelle internationale.

Depuis un bon bout de temps, les petites coupures ont disparu dans la circulation. En termes clairs, quelles en sont les causes et les conséquences ?

En fait, l’absence des petites coupures a un petit impact sur l’évolution des crises. Mais, il faut reconnaître que les études ont montré que cet impact reste très marginal au regard d’autres facteurs qui ont des influences beaucoup plus prononcées sur la santé de la monnaie. Je prends par exemple la production au niveau national. Vous savez, nous avons un appareil productif qui dépasse suffisamment celle-ci parce que jusqu’au moment où je vous parle, nos importations restent en termes de valeur beaucoup plus importantes que nos exportations ; cela est un premier facteur en ce qui concerne la santé de la monnaie.

Qu’est-ce qui fait qu’on n’aime plus les petites coupures au point de les faire disparaître de la circulation ?

Vous savez, la monnaie de manière générale, c’est d’abord la confiance. Ce n’est pas que la banque centrale ne fait pas d’efforts, mais quand la population n’a pas confiance en la petite coupure, il est évident que ces petites coupures vont finir par disparaître. Sinon, il y a un moment, vous vous rappelez, il y a eu des efforts pour mettre suffisamment de billets de 1 00 GNF, de 500 GNF dans la circulation, mais dans les taxis, la population n’acceptait pas tout simplement parce qu’il n’y avait pas de confiance en ces petites coupures. Et le résultat, c’est qu’aujourd’hui ces coupures disparaissent, mais encore une fois, je le répète, la disparition de ces coupures a un impact assez marginal sur la santé de la monnaie. Mais, la banque centrale a toujours la possibilité de revenir sur ces petites coupures ; mais d’une autre manière, pas forcément les coupures du genre 1 00 GNF, de 500 GNF. Mais, on peut aller au-delà avec des coupures de 2 000 ou 2 500 GNF, qui j’espère seront acceptées par la population.

Qu’en est-il de l’unicité des monnaies de la sous-région ?

L’unicité de la monnaie des pays de la sous-région est un débat qui reste encore ouvert au niveau des autorités de l’espace CEDEAO. Je voudrais pour rappel vous dire qu’au niveau de la CEDEAO, nous avons actuellement deux zones monétaires qui fonctionnent. Vous avez la zone UEMOA (Union Économique et Monétaire Ouest Africaine) qui regroupe huit pays de l’Afrique de l’Ouest francophones plus la Guinée-Bissau ; et parallèlement, il y a une autre zone qu’on appelle la ZMAO, qui regroupe la Guinée et les pays anglophones comme la Sierra Leone, le Nigéria, le Ghana… Donc, l’objectif de la CEDEAO était justement de laisser fonctionner ces deux zones monétaires jusqu’à l’échange de 2007. Il était prévu normalement que ces deux zones monétaires disparaissent au profit d’une zone monétaire unique. Alors, ceci suppose la conception, la mise en place des critères de convergence de premier et deuxième ordre ; ces critères ont été définis, malheureusement on a constaté que quand un pays améliore le niveau de critères les uns ou deux critères de convergence et il y a d’autres qui sont à un niveau zéro. Il a été difficile que les pays arrivent à respecter l’ensemble des critères de convergence en même temps. Cela a constitué des difficultés énormes. Alors, des économistes comme moi, qui ont demandé à un moment à ce que on revoie le niveau de critères, parce que l’objectif des critères de convergence, c’est d’harmoniser justement les économies de ces pays et tout ceci, pour éviter ce qu’on appelle les détournements de trafic parce que quand vous, vous êtes à un niveau de critère respecté différent de celui des autres pays, il est évident que les trafics vont être assez perturbés. Donc, la logique voudrait qu’on redéfinisse le niveau de ces critères de convergence de manière à ce que les pays puissent respecter très rapidement ces critères de convergence pour aller à la monnaie unique. Mais au moment où moi je vous parle, la question reste encore pour non-respect des critères de convergence. Naturellement, il y a d’autres aspects qui sont politiques, qui interviennent. Donc, l’existence des deux zones, c’était d’aller vers la mise en place d’une zone à monnaie unique. L’objectif reste toujours là parce qu’aujourd’hui, quand vous faites la lecture de l’économie mondiale, la tendance est à la régionalisation. Chaque région essaie de s’organiser en zone monétaire pour pouvoir constituer des marchés domestiques forts et c’est le cas de notre sous-région ouest-africaine. Nous avons intérêt à ce que la CEDEAO constitue un marché domestique extrêmement important. Cela suppose que nous devons faire la promotion des échanges à l’intérieur de la CEDEAO. Naturellement, les difficultés demeurent toujours et c’est le cas du Mali, du Burkina Faso et du Niger qui constituent actuellement de sérieux obstacles aux objectifs nobles de la CEDEAO. Nous espérons qu’avec le temps, tout ceci va être réglé pour que la CEDEAO puisse véritablement constituer un marché domestique avec la présence du Nigéria.

Est-ce qu’actuellement, la balance commerciale de la Guinée est déficitaire ?

La balance commerciale de la Guinée est déficitaire. Mais ce qu’il faut noter, c’est ce que cette balance s’améliore progressivement parce que depuis que les autorités guinéennes ont fait des efforts pour la fourniture de l’électricité, cela a eu un impact en termes de volume sur sa production et ceci a permis de réduire le déficit commercial ; même si nous sommes déficitaires commercialement, mais ce déficit diminue au fur et à mesure que la production en termes de volume augmente. Ça a un impact sur la maîtrise de l’inflation. Jusqu’à une date récente, on était autour de 8% et quand on sait que en 2006-2007 l’inflation était allée à 40% ; alors de 40% pour nous retrouver aujourd’hui à 8%, ça veut dire qu’il y a eu des efforts pour arriver à ce résultat. Je crois que c’est une situation assez confortable pour la Guinée et les efforts se poursuivent pour que nous ayons un taux d’inflation qui soit voisin de 0%.

Si le blanchiment d’argent est un phénomène réel dans notre pays, quel impact peut-il avoir sur l’économie guinéenne en général et en particulier la santé monétaire ?

Le blanchiment d’argent a toujours un effet négatif sur la santé de l’économie de manière générale et particulièrement sur la santé de la monnaie. Mais, il y a des problèmes beaucoup plus graves que tout ce que je suis en train de citer. C’est que, le blanchiment d’argent, ça s’est démontré par plusieurs experts qu’il constitue un facteur de pauvreté énorme en ce qui concerne les populations qui connaissent cette situation. Mais, concernant le cas de la monnaie, le blanchiment d’argent contribue à augmenter le taux d’inflation dans n’importe quel pays où cela se produit.

A date, où en est-on par rapport à l’unicité des prix dans notre pays ?

L’unicité des prix n’est pas tout à fait remarquable chez nous parce qu’il n’y a pas eu de travail en amont concernant la structure des coûts. Quand je parle de la structure des coûts, c’est aussi bien les biens domestiques qui sont produits que les biens qui font l’objet d’importation. C’est-à-dire même les prix à l’extérieur doivent être connus jusqu’au niveau du boutiquier. Si tout ceci est maîtrisé, il est évident que les prix vont baisser de manière assez importante.

Quels conseils avez-vous à donner à l’Etat guinéen et à tous les acteurs de la chaine pour la santé de la monnaie guinéenne ?

Le conseil que je vais donner pour la maîtrise de l’inflation sur la santé monétaire guinéenne, les instruments classiques que je viens de citer tout à l’heure, ces instruments sont très bien utilisés pour maintenir la santé monétaire. Mais, il y a d’autres facteurs qui échappent même aux autorités : c’est l’inflation générée par la structure d’ECO. On n’en parle pas assez, mais c’est extrêmement important parce que quand vous prenez les produits, il y a ce qu’on appelle une chaîne depuis la production jusqu’au niveau des marchands. Les autorités doivent se mettre ensemble pour définir ce qu’on appelle la structure des coûts. Un bien qu’on a utilisé pour produire ce qu’on appelle une structure de biens, cette structure de coûts doit permettre de définir des marchés qui soient acceptés de tous les acteurs qui interviennent. Malheureusement aujourd’hui, il y a un désordre à ce niveau parce que si nous prenons cette structure de coûts, personne ne sait exactement ce que c’est. Ce n’est pas chiffré et les grands distributeurs que nous appelons communément les supermarchés, affichent des prix qui ne correspondent pas aux marques qui soient acceptables par tout le monde. Cette situation échappe aux autorités et c’est une source importante d’inflation. S’ils s’y intéressent, il est sûr que les prix que nous voyons aujourd’hui ne seront pas les mêmes.

Propos recueillis par Mamadou Laafa Sow et Fatoumata Bah pour Guineematin.com

Tél. : 622919225

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