CRIEF : 10 personnes jugées en appel dans une affaire de détention et vente de médicaments

Poursuivis pour atteinte à la santé publique, usurpation de fonction, exercice illégal de la profession de pharmacien et complicité, Djibril Barry, Alpha Abdoulaye Diallo, Oumar Bobo Baldé, Ibrahima Sory Baldé, Abdouloaye Djibril Diallo, Mamadou Saliou Diallo, Thierno Mamadou Dramé, El Hadj Boubacar BAH, Bakary NABE et Amadou Sarah Dramé ont comparu hier, mardi 5 mars 2024, devant la chambre des appels de la Cour de Répression des Infractions Economiques et Financières (CRIEF). Ils avaient été déclarés coupables des faits mis à leur charge en instance par la chambre de jugement et ont été condamnés à 3 ans de prison dont 2 ans assortis de sursis et au paiement de 5 000 000 de francs guinéens d’amende, chacun. Mais, la défense qui n’était pas d’accord avec cette décision en a fait appel devant la chambre des appels. Ce mardi, l’audience a porté sur la lecture du rapport sur le jugement rendu en instance, l’exposé des motifs d’appel de la défense et la suite des débats, a constaté Guineematin.com à travers un de ses reporters.

Dans leur exposé des motifs, les avocats de la défense ont demandé l’annulation du jugement rendu par le premier juge et ont sollicité la mise en liberté provisoire de leurs clients.

« Nous estimons que le jugement rendu en instance a été rendu en violation des articles 664 du code de procédure pénale ; 678 et 880 du code pénal. Je précise que ce tribunal a été saisi par la voie de flagrant délit et l’article 464 est clair. La personne déférée en vertu de l’article 461 est avertie par le président qu’elle a le droit de réclamer un délai pour préparer sa défense et mention de l’avis donné par le président et de la réponse faite par le prévenu est faite dans le jugement. Vous noterez monsieur le président que le jugement déféré, si la demande du juge au prévenu de savoir s’il est prêt ou non à être jugé est mentionnée, je pense que la réponse donnée par le prévenu n’a été mentionnée. Et nous nous estimons que les lois de procédure étant des lois d’ordre public, leur violation entraîne la nullité de l’acte. Ça, c’est le premier motif. Le deuxième, c’est que le premier juge avait retenu nos clients dans les liens de prévention d’usurpation de fonction et d’atteinte à la santé publique. Nous estimons que ces infractions ne peuvent être commises par nos clients, en tout cas au regard des faits, tels qu’ils ont été narrés par le premier juge. Vous noterez également monsieur le président que le premier juge est entré en condamnation en donnant comme base légale de sa décision l’article 678 du code. Sauf que les dispositions de cet article ne peuvent être appliquées aux faits qui sont reprochés à nos clients. En ce que je sache, nos clients n’ont pas fait usage d’une fonction publique civile ou militaire pour exercer les faits qui leur sont reprochés. Donc, je crois qu’en rentrant condamnation de nos clients sur la base de cette disposition légale, le juge est passé outre de sa saisine. L’infraction est matériellement impossible. Moi je pense, pour la deuxième disposition, que nos clients sont renvoyés devant le juge d’instance pour exercice illégal de profession de pharmacien. Je pense qu’ils sont poursuivis pour avoir fait usage de la profession de pharmacien sans en avoir le titre. Mais pour cette infraction, le juge a renvoyé nos clients des fins de la poursuite pour délit constitué de fait d’exercice illégal de la profession de pharmacien, parce ce délai n’est pas puni. En tout cas si c’est par rapport l’exercice, la détention ou bien la vente de ces médicaments, peut-être c’est une usurpation de titre, mais pas de fonction. Pour l’atteinte à la santé publique, il a visé l’article 280 du code pénal. Là aussi, selon le législateur, ce qui est réprimé par le législateur, pas ce qui est dit par le juge dans la décision, c’est la vente et la détention des produits pharmaceutiques falsifiés ou altérés nuisibles à la santé. Maintenant, est-ce ces produits sont altérés ou falsifiés ? Je pense que non. Aucun rapport d’expertise n’a été versé au dossier. Donc nous, nous estimons que la décision rendue en instance manque de base légale ou les dispositions visées par le juge pour donner une base légale à sa décision ne sied pas. Nos clients n’ont pas usurpé une fonction civile ou militaire. On parle d’atteinte à la santé publique, sauf que pour les produits, il n’y a pas eu de rapport d’expertise pour dire qu’ils sont de nature à atteindre à la santé publique. Voilà succinctement nos motifs d’appel. Je tiens à rappeler que nos clients ont été maintenus 10 jours à la gendarmerie avant d’être déférés ici. Il n’y a aucune programmation de leur détermination. Et ensuite, quand ils sont venus ici, ce n’est pas le jour où ils ont été interrogés, ni le lendemain, qu’ils étaient jugés. Ils ont été jugés, je pense, 5 semaines après. C’est sur la base de toutes ces violations de leurs droits que nous avons demandé de les libérer pour mettre fin à cette détention illégale », a déclaré un des avocats de la défense.

Des motifs que le ministère public, représenté à cette audience par le procureur spécial Ali Touré, a demandé à la Cour de rejeter.

« On parle du droit pour les prévenus d’être demandés s’ils sont prêts à être jugés ou non, heureusement la défense a reconnu au moins que cette question a été posée aux prévenus et mention a été notée dans la décision. Les prévenus avaient également déclaré à la barre être prêts à être jugés. On dit que si la réponse du prévenu n’est pas mentionnée dans le jugement, c’est un motif de nullité. Qu’on me montre le démontre ici. Il n’y a pas de nullité sans texte. Montrez-moi où il est dit que si la réponse du prévenu n’est pas mentionnée, le jugement déféré est nul. Ces prévenus n’ont aucun papier qui les autorise à manipuler les produits pharmaceutiques. Certains parmi eux ici ne peuvent même pas parler français. Que le juge dise qu’ils ont usurpé une fonction pour s’immiscer dans l’exercice de la profession de pharmacien. Et sur cette base, il les condamne. Maintenant on vous dit : non, ce n’est pas une bonne décision, ce n’est pas un bon jugement. Ça, le juge a bien vu et c’est en bon droit qu’il a condamné. C’est pourquoi monsieur le président, nous nous estimons que les motifs d’appel invoqués ici par la défense ne prospéreront pas. Lorsque vous allez ouvrir les débats, vous comprendrez le bien-fondé du jugement qui a été déféré devant votre auguste Cour. C’est pourquoi le ministère public que nous représentons ici, n’a pas jugé utile de relever appel. Nous nous estimons que les effets dissuasifs de ce jugement pourront porter fruits. Vous allez comprendre, lorsque vous ouvrirez les débats, que le juge a bien appliqué la loi et que la décision rendue est une bonne décision », a magnifié Ali Touré.

Même point de vue du côté de la partie civile. Me Bernard Saa Dissi Millimouno qui soutient la position du ministère public voit mal la réussite de l’appel contre la décision du premier juge.

« Dans ce dossier, il y a eu appel, parce que tout simplement les gens ne veulent rester les bras croisés. Ils se battent parce que la vie est un combat. Mais, ce qui vient d’être exposé devant votre auguste Cour monsieur le président, c’est ce qu’on appelle espérer contre toute espérance. Il s’agit d’un dossier dont la procédure a été suivie de la manière la plus légale en présence de tous les conseils. L’exception que l’on vient de soulever n’a jamais été soulevée dans cette salle. Mais, ils étaient au contraire plus pressés dans le fond des débats. Dire est-ce que les prévenus ont demandé ou non s’ils étaient prêts ou non à être jugés, ça n’a été l’objet de débats dans cette salle concernant ce dossier. Toutes les procédures liées au délai ont été respectées de manière minutieuse monsieur le président. Toutes les exceptions qui n’ont pas été soulevées devant la chambre de jugement, c’est maintenant qu’elles vont être soulevées devant votre auguste Cour ? Ça ne marchera pas. Vous comprendrez monsieur le président qu’au sens de notre code de procédure pénale, pour que le jugement soit annulé, il faut qu’il y ait un non-respect ou une violation ou une omission d’une prescription prévue à peine de nullité. C’est pourquoi le représentant du ministère public disait tout à l’heure qu’il n’y a pas de nullité sans texte. S’agissant des éléments de fond, je pense qu’on doit aller dans les débats au fond. Dans cette affaire, il y a eu aveux du début à la fin en instance. Ça a été dans les débats. Quels sont les diplômes que les prévenus-là présentent ? Ils sont inscrits sur quel ordre de pharmacien ? Qui leur a donné l’autorisation d’ouvrir un lieu où il faut vendre des médicaments ? Ils ont exercé ce métier là où pour pouvoir pratiquer enfin le métier de pharmacien. Il n’y a rien qui puisse remettre en cause le jugement rendu par la chambre de jugement », a-t-il expliqué.

Au terme des débats sur les motifs d’appel invoqués par la défense, la Cour a immédiatement ordonné de passer aux débats au fond.

A la barre devant la chambre des appels, Djibril Barry et Amadou Sara Dramé ont reconnu les faits de détention et vente des produits pharmaceutiques et ont sollicité la clémence de la Cour.

« Je reconnais les faits. J’ai vendu des médicaments au marché de Madina. Ça fait dix ans que je suis dans ça. Parfois ce sont des pharmaciens qui nous vendent les produits pharmaceutiques. Parfois ce sont d’autres fournisseurs qui viennent tous nous demander si nous allons acheter, ils nous les livrent. Moi je vends dans un conteneur. Il n’y a pas de climatiseur. C’est un ventilateur que j’ai dans le conteneur. Pendant les dix ans, personne ne nous a dit que la vente des médicaments est interdite en Guinée, parce qu’on paie des taxes à l’État. Pour nous, si on paie des taxes, c’est que ce n’est pas interdit. C’est seulement en 2023 qu’on nous a dit que la vente des produits pharmaceutiques nous est interdite. Maintenant que je l’ai compris, je vous demande de me pardonner », a dit Djibril Barry.

A son tour à la barre, Amadou Sara Dramé dira la même chose en soutenant avoir lui aussi exercé cette activité pendant 10 ans.

Finalement, la Cour suspend l’audience, rejette la demande de mise en liberté provisoire formulée par la défense et renvoie l’affaire au 21 mars prochain pour la suite des débats.

Mamadou Laafa Sow pour Guineematin.com

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