Prise du pouvoir par le CMRN en 1984 : « Lansana Conté était très intelligent, c’était comme un diable…»

Le 3 avril 1984, un groupe de militaires, à sa tête le Colonel Lansana Conté, annonce la prise du pouvoir en Guinée après la mort du président Ahmed Sékou Touré. Méconnu du grand public, Lansana Conté était un homme très discret dont les proches collaborateurs gardent de bons souvenirs. C’est le cas de Mansa Moussa Sidibé, ancien ministre de la pêche et de l’aquaculture, qui a longtemps servi auprès du Colonel Lansana Conté. Interrogé à ce sujet par un reporter de Guineematin.com ce mercredi, 03 avril 2024, il se souvient d’un homme intelligent…

« Parmi nous, à l’époque ( le 26 mars 1984), personne ne croyait que Sékou Touré était mort. Mon petit frère qui était avec moi, quand je suis sorti de mon lit en lui disant, on vient d’annoncer le décès d’Ahmed Sékou Touré, il a dit non, il ne peut pas mourir. Il a jeté sa radio. Ahmed Sékou Touré a été pour la Guinée un homme de l’Histoire. Quelque soit ce qu’on lui peut faire comme reproche. Les guinéens reconnaîtront toujours qu’il est là cause fondamentale de notre accession à l’indépendance nationale. Ahmed Sékou Touré a été cet homme là, qui par la volonté qu’il avait fait de son pays, de son peuple, un pays libre, transparent et se développant de ses propres efforts », a dit Mansa Moussa Sidibé, ancien ministre de la pêche et de l’aquaculture.
Par ailleurs, notre interlocuteur dit avoir été impressionné par le Colonel Lansana Conté par son premier discours où il découvre un homme intelligent, pour un militaire.
« Quand l’armée a pris le pouvoir, moi j’étais étonné, par ce que je connaissais parfaitement le Général Lansana Conté, il s’est marié presque dans le même village que moi. J’étais très étonné parce que je ne connaissais pas ses qualités en lui. Je l’ai connu comme un très bon militaire, mais pas un bon politicien. Ce qui m’a impressionné, lorsqu’il a pris le pouvoir, c’est d’abord son premier discours. Il a fait un discours, je ne pense pas qu’on ait encore enregistré un tel discours, où il a invité les guinéens à s’entendre, à s’accepter les uns les autres pour que nous puissions aller de l’avant. Il a dit une chose qui m’a également impressionné. J’étais fonctionnaire, mais il aimait dire je ne suis pas instruit. Voyez ce que vous sentez dans l’intérêt du pays, dans l’intérêt du peuple ; si c’est bon, je suis d’accord avec vous. Tel a été sa façon de voir les problèmes qu’on lui posait. Mais il y’en a qui en profitait pour l’induire en erreur. Mais, il était malin, quand tu choisis, il peut faire la différence, il était extrêmement intelligent, c’était un militaire extrêmement intelligent. Nous, nous disions à l’époque en Soussou « Gninnè ra mikhi nara », c’est-à-dire à dire qu’il est comme un diable », a indiqué Mansa Moussa Sidibé.
En outre, l’ancien ministre de la pêche a raconté une anecdote. « Je vais vous raconter une histoire, étant chef militaire à Boké, il supervisait les attaques en Guinée-Bissau. Il a eu un accident, son chauffeur est mort sur place, le véhicule a été détruit. Lui, il en est sorti indemne, personne ne sait comment. Ce que je retiens du 3 avril, c’est que nous ne nous attendions pas franchement à une prise de pouvoir militaire, personne ne s’attendait à ça. Et je crois que même les militaires ne s’entendaient pas tout de suite à ça. Mais ils ont vu des petites difficultés au sein des gouvernants, quand ils ont remarqué ça, ils en ont profité. C’est ainsi qu’ils ont choisi l’homme qu’ils ont considéré, pas comme le plus gradé, ni le plus instruit, mais le plus jovial, le plus humain, ils ont choisi en lui l’homme qui a une volonté humaine d’aider l’être humain. C’est pour cela que les militaires l’ont choisi. Ça a failli faire des quiproquos d’ailleurs entre eux, parce que certains pensaient à un autre. Finalement, ils se sont entendus, ils l’ont choisi, et quand ils l’ont choisi, sincèrement c’était un bon choix », estime-t-il.
Selon monsieur Sidibé, le président Lansana Conté a eu deux choses difficiles. « La première chose difficile qu’il a eu c’est sa maladie. La deuxième chose, c’est l’accumulation des femmes, il a eu 4 femmes. Je me rappelle un jour, je suis passé le voir, je lui ai dit que ça ne va pas entre ma sœur (Henriette) et sa coépouse, je voudrais savoir si je pouvais arranger entre elles, il m’a dit en Soussou « Itanan na kolon » qui veut dire, c’est toi qui sait çà. J’ai été voir ma sœur Henriette pourquoi je dis ma sœur Henriette est de la même région que moi, elle est amie à ma petite sœur. J’ai vu ma sœur, je lui ai dit que je n’apprécie pas bien que tu sois la première dame et que tu ne t’entends pas avec ta coépouse. Elle me dit, non mon frère, je n’ai pas de coépouse, et elle reste là. Donc, ça m’a empêché de bouger, et ça n’a pas été bon pour le président, sincèrement. Deuxièmement élément, c’est la maladie…»
A la question de savoir si la démocratie a progressé ou régressé en Guinée, Mansa Moussa Sidibé répond: « une démocratie, c’est celle qui permet au peuple de vivre bien, au pays de se développer. L’alternance, c’est l’expression de cette démocratie. Mais malheureusement, nous faisons mal cette alternance. A chaque fois qu’il y a alternance, il y a problème. La cause, c’est parce que nous avons perdu les véritables notions de démocratie. Si c’est la démocratie, tu finis le temps qui t’es imparti et tu t’en va, tu laisses un autre, c’est çà la démocratie. C’est nous créer des problèmes », martèle Mansa Moussa Sidibé.
Amadou Lama Diallo pour Guineematin.com 
Tél. : 669 681 561
Facebook Comments Box