Guinée : « La torture a été pratiquée presque par tous les régimes… », dixit Me Foromo Loua

Me Foromo Frédéric Loua, avocat au barreau de Guinée et directeur exécutif de l'ONG Même Droit pour Tous

Depuis 1987, l’humanité célèbre le 26 juin de chaque année la journée internationale pour le soutien aux victimes de la torture. Une occasion de manifester une solidarité envers toutes les personnes qui sont victimes de mauvais traitements. La journée vise également à encourager la sensibilisation et des actions visant à éradiquer la torture. Pour parler de cette problématique, un reporter de Guineematin.com a donné la parole à maître Foromo Frédéric Loua, directeur exécutif de l’ONG les Mêmes Droits pour Tous (MDT). Selon cet avocat au barreau de Guinée, notre pays a connu et continue de connaître des pratiques de la torture, notamment par les forces de défense et de sécurité.

D’entrée, maître Foromo Frédéric Loua est revenu sur l’importance de cette journée internationale pour le soutien aux victimes de la torture. « C’est une importante journée. Ce n’est pas pour rien que la communauté internationale a jugé nécessaire d’instaurer cette journée en commémoration aux actes de tortures. La torture est une infraction gravissime, qui a des effets néfastes sur l’individu sur toute la vie. C’est une infraction qui chosifie l’être humain, qui te fait perdre en toi ta fierté d’être humain. Donc, c’est au regard de cette gravité que la communauté internationale a jugé nécessaire d’instaurer cette journée pour se souvenir de ces victimes », dit-il.

Parlant de la situation dans notre pays, l’avocat a déclaré que la Guinée est un pays qui a connu, et continue de connaître, la torture. « La Guinée, c’est un pays qui a connu la torture et qui continue à la connaître. La torture a été pratiquée presque par l’ensemble de tous les régimes qui se sont succédé à la tête de ce pays, depuis l’indépendance. Mais, en 2016 sous la poussée du travail des ONG, sous la pression de la communauté internationale, nous avons travaillé pour que la torture soit reconnue au plan interne comme une infraction autonome. Vous savez, la Guinée avait ratifié la convention des Nations-Unies interdisant la torture. Mais aucun exercice n’avait été fait pour que justement cette convention soit internalisée ; ce qui fait que la torture était considérée comme une circonstance aggravante d’une autre infraction, et ce qui était grave. Donc, le travail a été mené, surtout avec MDT avec d’autres partenaires. En 2016, à l’occasion de la réforme du droit pénal guinéen, une loi, une disposition a été insérée dans le code pénal. Disposition qui prévoit et imprime le crime de torture conformément à l’article 1er de la Convention des Nations-Unies contre la torture. Et le travail ne s’est pas arrêté là, nous sommes allés jusqu’à demander l’interdiction de la torture dans les textes nationaux. Mais je crois que ces demandes pour l’instant n’ont pas prospéré. Parce que la Guinée a pour le moment opté pour la tactique de l’omission. On a omis, je veux dire on a demandé à ce que la torture soit inscrite dans les textes fondateurs de la République, ce qui a été fait. Notamment la constitution de 2020, même la charte de la transition. Tous ces textes ont en leur sein des dispositions qui prévoient et interdisent clairement la torture. La torture à la date d’aujourd’hui, elle est une infraction autonome, gravissime. Et que les auteurs de torture sont rarement poursuivis, il y a assez de plaintes qui ont été portées, mais des plaintes aboutissant au compte-gouttes », révèle notre interlocuteur.

En outre, Me Foromo Frédéric Loua a apporté un éclairage sur les auteurs de tortures dans notre pays. « Il y a des services de sécurité ou de gendarmerie qui se sont révélés de façon notoire dans la pratique de la torture. Et contre ces services, il y a eu des plaintes régulières qui ont été portées, mais, malheureusement ces plaintes n’ont pas abouti. La situation est restée comme telle. Donc, la lutte continue pour que justement la Guinée, au de-là de prévoir des dispositions légales dans les textes, il faut que dans les mentalités, dans les comportements, cela soit banni et qu’il soit reconnu comme quoi, la torture est interdite en Guinée sous toutes ses formes… La torture elle est bannie, proscrite dans toute procédure pénale. Tout agent de police qui fait excès de zèle, qui soumet la personne interpellée à la torture pour l’amener à parler, commet une infraction qui n’a rien avoir avec l’infraction qu’il prétend poursuivre. Ils sont appelés à interpeller les citoyens de façon régulière, à les entendre sous procès-verbal et à les déférer devant les juridictions chargées de les juger. Ce sont souvent les forces de défense et de sécurité, nos officiers de police judiciaire, qui sont auteurs. Lorsqu’un citoyen est poursuivi pour des crimes gravissime, quelque fois, nos forces de défense et de sécurité, dans l’exercice de leurs prérogatives, ont tendance à faire excès de zèle, à faire avouer vaille que vaille la personne qui fait l’objet d’interpellation alors que ce n’est pas cela le droit. Je rappelle que la torture c’est l’œuvre de l’Etat, c’est l’Etat qui commet la torture, ou c’est à travers ses préposés (agent agissant à titre officiel et au nom de l’Etat) qui peut commettre la torture. Et ce sont les citoyens ou toutes personnes faisant l’objet de poursuite pénale (…) qui sont les victimes potentielles de la torture », enseigne maître Loua.

Pour finir, le directeur exécutif de l’ONG les Mêmes Droits pour Tous (MDT) lance un appel. « C’est de continuer la sensibilisation et aussi de faire en sorte que toute plainte portée en lien avec les actes de torture fasse l’objet de poursuites et de jugement. Et que les auteurs soient retranchés des rangs de nos forces de sécurité et punis conformément à la loi. C’est ce que nous demandons. Et aussi, en même temps de continuer les formations, les sensibilisations, la vulgarisation de l’ensemble de nos textes… »

Fatoumata Diouldé Diallo pour Guineematin.com

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