Défaillance du système éducatif : « Il faut redéfinir la connaissance en Guinée », conseille l’enseignant Emmanuel Lamine Touré

Emmanuel Lamine Touré, enseignant

Ces dernières années, la question liée à la qualification du système éducatif guinéen a suscité de nombreux débats. De nombreux observateurs, y compris les parents d’élèves, s’accordent à dire que la qualité de l’éducation en Guinée s’est effritée. On déplore même une baisse de niveau ahurissant. L’enseignant Emmanuel Lamine Touré ne partage pas entièrement cette pensée, mais il estime qu’il faut “redéfinir la connaissance en Guinée” pour aboutir à une certaine qualification de l’éducation dans le pays. Il souhaite notamment qu’on repense les programmes d’enseignants et le mode de recrutement des enseignants.

Dans un entretien accordé à Guineematin.com, Emmanuel Lamine Touré est d’abord revenu sur les difficultés auxquelles le système éducatif guinéen est confronté.

« Le système est un ensemble cohérent de principes et de théories qui forment un tout scientifique. Partant de cette définition, quand nous regardons le système éducatif de la Guinée, il y a une sorte de manquements, et c’est difficile de cerner la problématique tout d’un coup. Il y a beaucoup d’éléments comme l’abandon scolaire, le résultat des élèves, puis le financement elle-même et la répartition des budgets et autres. Donc, il faut partir de la répartition du budget de l’État alloué à l’éducation. Nous avons ici deux systèmes : un système étatique et privé. Le privé, c’est ceux-là qui ont des moyens pour financer les études des enfants. Et ce qui revient à l’Etat, c’est l’Etat qui finance. Et c’est aux écoles privées qu’on est censé avoir des enseignants bien payés, donc bien motivés. Par conséquent, ils apportent un peu plus sur leur travail, qui se reflète sur le résultat final. Pendant qu’au niveau public, il y a un délaissement total. D’ailleurs ça se remarque par l’existence des écoles-hangars et délabrées. Donc, l’infrastructure n’est pas respectée. Même au niveau salarial, j’aurais appris qu’il y a une différence remarquable entre le salaire des enseignants dans le privé et celui des enseignants dans le public. Cela veut dire que dans le public, il n’y a pas de facteurs qui motivent, ça c’est le côté pécule. Maintenant, côté formation, il y a deux à trois ans de cela, j’avais appris par l’ex défunt ministre de l’éducation nationale, Ibrahima Kalil Konaté alias (K²), que seulement 10% des enseignants de la République de Guinée sont formés par l’État. Donc, la question est de savoir d’où viennent les 90 % ? Cet état de fait que je viens de signaler montre le délaissement, c’est la cause même de ce manquement. Ainsi, il faut réglementer le système éducatif, il faut refaire tous les agréments et introduire même pour les écoles publiques comme un modèle standard auquel toutes les autres écoles privées vont se référer avec un contenu qui peut se comparer aux écoles standard de la sous-région, pourquoi pas dans le monde. Parce qu’il faut former l’enfant, le futur adulte-là, à pouvoir non seulement être opérationnel dans son propre pays, mais aussi s’il a la possibilité de sortir, qu’il ne soit pas derrière les autres, parce que le monde est universel aujourd’hui », a-t-il expliqué.

Poursuivant sur les causes de l’échec scolaire, cet enseignant a souligné un faible investissement de l’Etat guinéen dans le domaine éducatif.

« La part de budgets de l’éducation nationale est vraiment minimale. Pendant qu’au Sénégal à côté, le premier budget de l’État c’est l’éducation. Il n’y a pas assez d’écoles pour la population, on a laissé l’initiative privé prendre la relève et construire des écoles n’importe comment, et cela joue sur la qualité de la connaissance à acquérir et la qualité même de la société. Dans les autres pays, il y a des écoles privées, mais c’est vraiment bien encadré sous la direction de l’Etat. La responsabilité de l’État, c’est de faire en sorte que tous les enfants qui naissent sur le territoire aillent à l’école, qu’ils y restent pendant longtemps et dépassent les 6 premières années. Ce qui est recommandé d’ailleurs par l’UNESCO qui dit que tout enfant qui fait 6 années à l’école, il est de facto en dehors de la liste de ceux qui peuvent être considérés comme des pauvres, donc analphabètes. Je ne suis pas en train de dire que analphabète veut dire pauvres, mais il y a un petit lien », déclare-t-il.

Par ailleurs, Emmanuel Lamine Touré a affirmé qu’on ne peut pas parler d’une baisse de niveau en Guinée. A en croire cet enseignant, le problème de l’éducation vient du programme national lui-même.

« Quand on parle de niveau, c’est une question vraiment subjective. Parce que quand on dit baisse de niveau, c’est par rapport à quelque chose. Est-ce qu’on avait une base de données initiale où on avait un niveau, et plus tard on a remarqué que ça a baissé ? Non. Concernant la baisse de niveau, il faut des outils qui comparent le niveau des enfants dans la sous-région ou même à l’intérieur, dans les 4 régions du pays. Parce qu’il y a eu 15% à l’admission de l’examen, cela ne veut pas dire baisse de niveau. On ne peut pas dire que le niveau des enfants a baissé, non. Le programme national n’a pas changé, alors les gens ont appris selon l’exigence lié à ce programme-là », a-t-il fait savoir.

Pour adopter un bon système éducatif en République de Guinée, Emmanuel Lamine Touré a proposé des pistes de solutions.

« Il faut investir dans l’éducation, c’est absolument nécessaire. Il faut qu’on enlève aussi le mot direction dans les écoles et qu’on y mette le mot approprié : Académie. C’est réservé pour les universités, mais cette fois-ci cette académie a une fonction d’études à l’intérieure de l’école. C’est-à-dire que le recteur sera formé pour assurer la formation continue de proximité des enseignants. Donc, il va avoir la valeur scientifique pour ça. Ça permettra à l’Etat de contrôler tout le système éducatif du privé comme du public et cela sera exigé. Alors tous ceux qui étaient directeurs, qui deviendront recteurs, devront répartir encore à l’école. J’ai deux modules pour ça. Ce sont deux modèles qui ont fonctionné partout et qui peuvent fonctionner ici, parce que la qualification académique de la direction d’une école influence positivement même sur le résultat scolaire. Puisque là, le recteur ayant cette formation va continuer à réformer ceux qui viennent en bas, c’est-à-dire les enseignants. Après on va refaire le mode de recrutement des enseignants. Il faudrait également limiter ce fléau qui se passe. Aujourd’hui n’importe qui entre dans une salle de classe et se fait passer pour un enseignant ou un professeur que moi j’appelle des informateurs. A défaut, si on ne peut pas rayer ça, on peut tout de même introduire dans le système éducatif des matières qu’on appelle pédagogie. Après cela, on peut introduire des sommes incitatrices, une augmentation salariale pour booster, en ce moment l’enseignant fait carrière dans le système éducatif, il grandit dedans et possède la matière. Et comme ça, le résultat des enfants devient acceptable et que le résultat soit vu pas seulement aux résultats scolaires, mais dans la vie aussi. Il faut également contrôler et inspecter la connaissance à émettre. Il faut redéfinir la connaissance en Guinée », suggère-t-il.

Mariama Barry pour Guineematin.com

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