Dr. Ndiouria sur les ravages de l’hépatite B : « 57,5% des malades que nous suivons portent ce virus »

La date du 28 juillet de chaque année est consacrée à la lutte contre l’hépatite, considérée par l’OMS comme l’une des 10 plus meurtrières de toutes les maladies infectieuses. Cette journée est destinée à faire connaitre les différentes formes d’hépatite au grand public et fournir des axes d’action. Malgré les ravages provoqués, les différentes hépatites sont en grande partie méconnues, elles ne sont souvent pas diagnostiquées ou traitées.

Pour parler de l’hépatite, de sa transmission, du diagnostic et de la prise en charge de la maladie dans notre pays, un reporter de Guineematin.com et allé à la rencontre du Dr. Abdourahamane Ndiouria Diallo. Plus connu sous le nom de Dr Ndiouria, ce médecin de renom est maitre de conférences, hépato-gastro-entérologue, chargé des cours de gastro-entérologie à la Faculté de Médecine de l’Université Gamal Abdel Nasser de Conakry depuis 1992. Dr Ndiouria est également président de l’association SOS Hépatites Guinée.

Guineematin.com : on parle souvent de l’hépatite mais sans que les gens ne sachent réellement de quoi il s’agit. Dites-nous c’est quoi l’hépatite ?

Dr Ndiouria Diallo : le terme hépatite désigne tout processus inflammatoire du foie pouvant conduire à la fibrose ou à la cirrhose. Donc, il s’agit d’une inflammation des cellules du foie par virus A, B, C, Delta, E. Le virus de l’Hépatite B par exemple est 100 fois plus infectieux que le VIH, 1ère cause de cancer en Afrique, 2ème cause de cancer dans le monde après le tabac, 4ème priorité de l’OMS

Guineematin.com : que peut-on dire de la situation générale de cette maladie, notamment de l’hépatite B dans notre pays ?

Dr Ndiouria Diallo : en fait, tous les facteurs des hépatites sont présents en Guinée. Entre 2001 et 2005, le centre national de transfusion sanguine avait trouvé une fréquence de l’antigène HBs de 14,65%. Là, on pense que le malade peut faire une hépatite et il faut faire des investigations pour savoir si le malade est porteur chronique ou s’il a la maladie, l’hépatite B. En 2016, le même centre retrouve 17,08 %. Ensuite, le premier laboratoire privé de Guinée (SOLABGUI), notre enquêteur, a trouvé que 19% de prélèvement de sang porte le virus de l’antigène HBs. Notre structure de prise en charge des hépatites ici, nous avons trouvé que 57,5% des malades que nous suivons portent ce virus. Là, ça pose un vrai problème qui est celui du diagnostic.

Guineematin.com : comment se fait ce diagnostic ?

Dr Ndiouria Diallo : pour poser le diagnostic de l’hépatite virale, il y a des normes. Il faut faire une ponction du foie, ce qui nécessite un centre spécialisé d’hépatologie. Il s’agit de prendre une aiguille spéciale, piquer le foie, prélever quelques morceaux, envoyer au laboratoire. Ensuite, le diagnostic peut se faire avec le fibroscanne. Mais, cet appareil n’existe pas en Guinée. Cet appareil mesure la densité ou l’élasticité du foie. A part la ponction du foie et le fibroscanne, il y a la charge virale. C’est l’examen là qui av vous dire que le virus dort, il faut le surveiller. Non, le virus commencé à se multiplier. Donc, la charge virale dira qu’il faut traiter. On a commencé la charge virale en Guinée en septembre 2016.

Guineematin.com : cette charge virale, depuis qu’elle existe, a donné quoi comme diagnostic dans votre centre ?

Dr Ndiouria Diallo : parmi les malades que nous suivons, la tranche 21-30 ans est très touchée. Ça, c’est la jeunesse, ce qui est très grave puisque c’est les bras-valides. Au-delà, de 30 à 50 ans, c’est 65%. Donc, les bras valides de la Guinée sont les plus touchés par l’hépatite B. Parmi les professions, on a 18% d’étudiants, 52% représentent la fréquence des gens à profession libérale. Nous avons un problème avec les hommes en tenue qui représentent 2% de nos statistiques et qui sont ségrégés dans les garnisons. Parmi les sexes, c’est celui mâle qui représente 65% de nos diagnostics. Donc, les hommes sont plus touchés, peut être qu’ils sont polygames ou qu’ils ont beaucoup de copines. Bref, sur les 824 patients que nous suivons ici par SOS Hépatites Guinée, 50% ont des changements ou des anomalies au niveau du foie. Donc, l’hépatite B touche 50% des 824 patients que nous suivons ici. Cela est un signe très grave. Nous avons des résultats très inquiétants. Parmi les malades, il y a presque 36% des cas où le virus est indétectable. Mais là, ça ne signifie pas qu’ils ne sont pas malades. Ils sont porteurs de l’antigène HBs avec une charge virale négative. Ça, c’est un cas à suivre, un cas spécial.

Guineematin.com : est-ce qu’il y a aujourd’hui un programme national de lutte contre les hépatites, à l’image du paludisme, de la tuberculose ou du SIDA ?

Dr Ndiouria Diallo : notre pays est l’un des rares pays qui n’avait pas de programme national de lutte contre les hépatites. Après la conférence de SOS Hépatites Guinée en juillet 2016, on a été appelé par le ministère de la santé, en l’occurrence le service national de lutte contre le VIH/SIDA. Des cadres ont été choisis pour élaborer un programme et SOS Hépatites Guinée était le maître, côté technique. Nous avons fait un atelier à Kindia avec un expert Béninois qui avait le même niveau de connaissance que moi sur les hépatites. L’atelier a été validé le 5 décembre 2016. Le jour qu’il va être mis en pratique, il va prendre en charge l’information, la formation, les médicaments, les structures, le fonctionnement… Un excellent programme, hormis qu’il soit sous la tutelle du Programme National de Lutte contre le VIH/SIDA. Ce qui est une anomalie qu’il faut absolument changer. Nous avons appris, avec le congrès mondial sur le SIDA, que l’Afrique Occidentale et Centrale souffre de financement. Si certains bailleurs se désengagent, pourquoi prendre un programme qui n’est pas encore née, pourquoi le mettre sous la tutelle programme vieillissant et sans financement ? C’est une grande erreur de maintenir ce programme national de lutte contre les hépatites, qui doit naître, sous la tutelle du programme de lutte contre le VIH/SIDA.

Guinematin.com : où en est-on avec le programme là ?

Dr Ndiouria Diallo : selon mes infirmations, ce programme validé depuis le 5 décembre 2016 à Kindia, à ce jour il reste bloqué. Où est-il bloqué ? Pourquoi est-il bloqué ? Il est bloqué par qui ? Moi, je ne saurais vous répondre. L’appel que je lance à toutes les personnes, à toutes les structures sanitaires et administratives de la Guinée est « prenez ce programme, mettez le à part et faits tout pour le mettre en pratique. Les malades sont là. Il y a des données très graves, car 50% des porteurs de l’antigène HBs sont porteurs de l’antigène chronique qui évolue vers la cirrhose et/ou le cancer ». C’est donc un SOS qu’il faut lancer. Et, toutes les localités de la Guinée sont touchées, particulièrement la Haute Guinée, le Fouta et la Basse Côte. Parce que le facteur qui aggrave, qui donne le cancer à l’hépatite B se trouve dans les greniers où on garde les arachides, le riz, le mil, le fonio. Dans ces greniers là se trouve l’aflatoxine B. L’équipe du Pr Boiro de l’Institut de recherche IRBAG de Kindia a retrouvé l’aflatoxine B à Kolenté. Donc, tout le monde est concerné.

Propos recueillis par Alpha Mamadou Diallo pour Guineematin.com

Tél. : 628 17 99 17

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