Suppression des assises, corruption des juges… Voici ce qu’a fait le comité de réformes de la justice

Elhadj Alpha Saliou Barry est le président de la commission de réformes de la justice et directeur national des affaires civiles et du sceau
Elhadj Alpha Saliou Barry est le président de la commission de réformes de la justice et directeur national des affaires civiles et du sceau
Elhadj Alpha Saliou Barry, président de la commission de réformes de la justice et directeur national des affaires civiles et du sceau

Elhadj Alpha Saliou Barry est le président de la commission de réformes de la justice et directeur national des affaires civiles et du sceau. Guineematin.com l’a interrogé sur les principales innovations apportées dans les projets de code civil, pénal, de la procédure pénale et de justice militaire. C’était en marge d’un atelier d’imprégnation de ces textes, organisé les 16 et 17 mai 2016 à Kindia par le département de la justice avec l’appui du PNUD, en faveur des acteurs de la société civile guinéenne.

Décryptage !

Guineematin.com : Qu’est ce qu’on peut retenir du projet de code de la justice militaire, actuellement sur la table des députés pour examen ?

Elhadj Alpha Saliou Barry : Ma commission a proposé un avant-projet de code de justice militaire qui a été soumis au gouvernement, lequel s’en est approprié et a fait à son tour des observations avant de le soumettre le projet à l’Assemblée nationale pour adoption. Le gouvernement a fait des observations relativement à la compétence du Tribunal en estimant que celui-ci ne peut être compétent en matière d’infraction de droit commun, et qu’il ne devrait également l’être sur les questions concernant les civils assimilés aux militaires.

En d’autres termes, ce tribunal n’est compétent que pour les infractions d’ordre militaire ainsi que celles qui concernent la vente, l’importation, l’exportation des armes, munitions et autres explosifs.

Guineematin.com : Quelles sont les principales innovations contenues dans le projet de Code civil ?

Elhadj Alpha Saliou Barry : La principale innovation contenue dans le Code civil est la mise en œuvre de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard de la femme, c’est-à-dire que la commission s’est employée à exclure toutes les discriminations qui atteignaient les femmes à l’intérieur du Code. Il en est ainsi de l’acquisition de la nationalité, de la puissance paternelle, de la déclaration de naissance et tant d’autres qui n’étaient à la portée que des hommes mais il convient de savoir qu’au cas où la loi est adoptée les femmes auront les mêmes prérogatives que les hommes et toutes les discriminations disparaîtront définitivement du Code.

En ce qui concerne la polygamie, la commission a envoyé un avant projet au Gouvernement comportant la polygamie avec option, ce qui signifie que les époux avaient la possibilité de choisir soit la monogamie ou la polygamie et à l’intérieur de la polygamie, il y’avait option entre polygamie limité à deux ou trois épouses ou polygamie intégrale.

Mais le Gouvernement a estimé que cette façon de faire constituerait un recul et a  proposé la monogamie en admettant la possibilité de se remarier à une autre femme en présence de motifs médicalement établis.

Guineematin.com : Quelles sont les principales innovations à retenir du projet de code pénal ?

Elhadj Alpha Saliou Barry : La révision du code pénal et du code de procédure pénal étaient nécessaire pour la mise en œuvre des conventions et traités auxquels la Guinée est partie.

Les principales innovations du code pénal ont consisté d’abord à l’amélioration du quantum des  condamnations pécuniaires de 1998 qui sont devenues insignifiantes en 2016, ce que nous nous sommes employées à corriger en tenant compte du coût de la vie à ce jour.

S’agissant de la peine de mort, nous l’avons omise purement et simplement du projet sans toutefois l’abolir. Nous estimons en tant que membres de la commission, nous avions une obligation de cohérence.

Dès lors que nous avons internalisé les grands crimes que la Cour pénale internationale (crimes contre l’humanité, crime de génocide, crime de guerre et crime d’agression) qui ne sont pas sanctionnés par la peine de mort, il n’ya pas de raison que les autres crimes prévus dans notre droit interne et qui n’ont pas la même ampleur, continuent à être sanctionnés par la mort. C’est en fait une mise en cohérence. C’est par exemple le génocide qui est l’assassinat perpétré contre un groupe social. Il peut être fondé sur une race, une religion ou l’appartenance politique. Quand quelqu’un vient abattre tout ce groupe, il écope une peine de perpétuité.

Si l’assassinat d’une personne peut conduire à la peine de mort, nous estimons que par là, il ya une incohérence. Nous avons alors tenu à mettre de la cohérence. Puisque la suppression de la peine de mort ne relève pas de nos compétences. Nous avons proposé une codification sans peine de mort. Il appartient au législateur de prendre en compte et de décider de sa suppression. S’ils le décident, il va falloir dans ces conditions qu’ils votent une loi de suppression de peine de mort en République de Guinée. Et à partir de là, personne ne pourra plus envisager la peine de mort quelque soit les circonstances. Il vaut mieux aller vite. Mais, l’adoption du texte en l’état n’exclut pas l’application de la peine de mort si un jour pour des faits de ceci ou de cela, les députés peuvent voter la peine de mort. Il y a certes une subtilité juridique à ce niveau.

Guineematin.com : Quels sont les innovations du code de procédure pénale ?

Elhadj Alpha Saliou Barry : Le Code de procédure pénale (Cpp) en tant que l’ensemble des règles qui régissent le procès pénal a connu beaucoup d’innovations, car nul n’ignore que notre justice va mal et même très mal, d’aucuns disent à l’extrême qu’il vaut mieux l’éviter même si on a raison.

Il est qualifié de lent et de corrompu. C’est pourquoi nous nous sommes employés à rechercher les causes de sa lenteur et de sa corruption pour tenter de les corriger.

Au titre de sa lenteur, nous avons trouvé qu’en mettant le principe du double degré de jugement, qu’il fallait supprimer le double degré d’instruction au niveau de la chambre d’accusation qui ne sera plus qu’une chambre de contrôle de l’instruction.

Ensuite la cour d’assises qui ne réalisait pas le double degré de jugement a été supprimé dans le projet et les crimes sont jugés au niveau des tribunaux de première instance comme en matière correctionnelle, ce qui du coup diminue sensiblement le coût de la procédure pénale, car une session d’assises ordinaire coûte actuellement près de 700 millions de nos francs, si vous multipliez ça par 3 x 2, ça donne près de 4.200 millions, rien que pour le jugement des crimes.

En supprimant les assises, on rapproche la justice des justiciables et chaque tribunal aura pour vocation de juger les affaires commises dans son ressort avec moins de frais et moins de retard et chaque condamné criminel aura le droit d’interjeter appel de sa condamnation devant la chambre des appels en matière pénale.

Il était reproché à la justice de maintenir la justice de paix qui était une institution qui concentrait entre les mains d’un seul homme tous les pouvoirs de poursuite, d’instruction et de jugement, ce qui était grave si un quelconque démon venait à le dévier de sa mission de rendre la justice.

Des grandes innovations ont été apportées sur toutes les matières du code de procédure, car les règles concernant les autorités chargées de l’action publique ont été renforcées, la procédure d’enquête a été améliorée en tenant compte des nouvelles technologies de l’information, la procédure d’instruction judiciaire a été améliorées dans le sens du respect des droits humains, les procédures de jugement ont été revues et renforcées, les procédures particulières sont passées de 19 en 1998 à 35 dans le projet en 2016. Les procédures d’exécution sont passées de 16 à 19.

Guineematin.com : Quel appel vous lancez aux députés dans ces conditions ?

Elhadj Alpha Saliou Barry : L’appel que nous lançons aux députés est d’accepter d’adopter ces projets de codes qui ont été des instruments minutieusement étudiés par ces commissions qui ont véritablement travaillé. Soit depuis deux ans pour les trois codes et depuis 10 ans pour le 4ème, à savoir le code civil que nous sommes à l’œuvre pour rectifier, améliorer ou conforter. Nous savons que c’est un grand travail pour nos honorables députés d’adopter tous ces Codes en quelques jours, ce qui n’est pas une mince affaire.

Guineematin.com : Il y a t-il la polygamie dans ce projet de code civil ?

Elhadj Alpha Saliou Barry : Pour vous dire vrai, les commissions ont fait un avant projet de code comportant la polygamie avec option. Cela veut dire que la monogamie n’est pas interdite mais que la polygamie est acceptée. Mais qu’à l’avant-veille du mariage le couple peut se transporter devant l’officier d’état civil pour faire une option. Ce qui signifie que si on veut se marier sous l’empire de la monogamie, on signe un contrat à cet effet, si c’est sous l’empire de la polygamie limitée ou intégrale, on le signe également. Et le jour convenu, les époux viennent célébrer tranquillement leur mariage devant l’officier de l’état civil. Nous avons déposé le document au gouvernement qui s’en est approprié. Le gouvernement a demandé que la Guinée ne fasse pas un rétropédalage puisque depuis 1983, nous sommes sous l’empire de la monogamie et la polygamie est interdite. Il a souhaité qu’on ne descende pas de l’escalier, qu’on ne bouge pas de là.

C’est vrai, il y a des problèmes par rapport à nos us et coutumes qui font que beaucoup de personnes dans notre société sont polygames. Cela est incontestable. Le gouvernement souhaite un régime monogamique. Mais, ce n’est ni à la commission que nous sommes, ni au gouvernement que le dernier mot revient. Le dernier mot appartient aux élus du peuple. C’est à eux d’en débattre et de prendre la meilleure décision pour le peuple. C’est du moins notre souhait.

Guineematin.com : Craignez-vous que ce code ne soit pas adopté lors de cette session ?

Elhadj Alpha Saliou Barry : Oui, mais je ne suis pas le seul dans ce cas, beaucoup d’autres le pensent comme moi car cette problématique de la polygamie à empêché déjà une adoption de ce Code sous le règne du Président Conté. Je rappelle à juste titre que ce texte, préparé depuis dix ans, a fait deux navettes à l’Assemblée nationale sans être adopté. Et l’argument serait dû à l’interdiction de la polygamie. Cela étant, c’est à juste titre si certains de nos collègues s’inquiètent aujourd’hui d’un éventuel renvoi du texte pour relecture. Et c’est pourquoi nous attendons de vous tous, une implication efficace pour une action de plaidoyer dans l’intérêt supérieur de notre peuple.

Guineematin.com : Dans le projet de code de justice militaire, les corps paramilitaires ne sont pas concernés, peut-on savoir à quel régime pénal sont-ils soumis ?

Elhadj Alpha Saliou Barry : Les corps paramilitaires, policiers, douaniers et défenseurs de la nature et autres sont statutairement des corps civils. Ils sont soumis au régime du droit commun. S’ils ne sont pas soumis au droit spécial, il va sans dire qu’ils sont soumis au droit commun. Le code pénal et le code de procédure pénale vont régir les infractions dont ils se rendront coupables, indépendamment des fautes disciplinaires à eux reprochés. A ce moment, chaque corps a son régime disciplinaire. Mais s’ils commettent une infraction, l’infraction est du ressort du régime du droit commun et ils vont répondre.

Interview réalisée à Kindia par Abdallah Baldé pour Guineematin.com

Tél. : +224 089 945

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