Prof. Mory Fodé de Donka : « la Psychiatrie n’a ni infirmiers spécialistes, ni centre d’isolement»

professeur-morifode-de-donka« … il y a des gens qui prient beaucoup, ce n’est pas parce qu’ils sont pieux, ils sont malades. Il y a des gens qui ne peuvent pas parler en public,No n appelle cela, la folie sociale. Ça peut même les amener à la consommation de l’alcool ou de la drogue pour pouvoir tenir. Et, il y a des gens qui sont trop propres, même quand vous leur dites bonjour, ils sont obligés d’aller se laver les mains. Quand ils ferment la porte, ils sont obligés de nettoyer les poignets. Ce sont des problèmes de santé que les gens ne considèrent pas. Je connais des personnes qui ne peuvent pas regarder le ciel, parce qu’ils ont peur que les nuages tombent sur eux…. », a notamment expliqué à Guineematin.com le professeur Morifodé Doukouré, le chef du service psychiatrie de l’hôpital national Donka. 

Ces derniers temps, on constate que de nombreux citoyens, en majorité des jeunes, sont atteints de troubles mentaux. Pourtant, c’est une maladie dont on ne parle pas assez. Pour comprendre les causes réelles de ces troubles et leur mode de traitement, un reporter de Guineematin.com est allé à la rencontre du professeur Mory Fodé Doukouré, chef de service à la psychiatrie du CHU Donka.

Décryptage !

Guineematin.com : Bonjour Professeur et merci de nous recevoir chez vous. Combien de patients vous recevez par mois et par an ici à Donka ?

Professeur Doukouré Mory Fodé : bonjour et merci à vous. Nous recevons en moyenne de 1 200 à 1 500 nouvelles consultations par an. Mais, en ce qui concerne le nombre de consultations, c’est beaucoup plus. Parce qu’on peut voir le malade plusieurs fois dans le mois. Si nous comptons tout ça, nous sommes à plus de 25 000 consultations à peu près.

Guineematin.com: Quelle est la tranche d’âge de ces patients ?

Professeur Doukouré Mory Fodé : Vous savez que nous sommes dans un service de psychiatrie générale. On s’occupe non seulement des adultes, des personnes du troisième âge, des enfants, mais également des adolescents. Nous avons presque tous les âges ici. Nous voyons des enfants, des adolescents, des jeunes, des adultes, mais également des personnes du troisième âge. On a des patients de 80 jusqu’à 90 ans, qui présentent des pathologies particulières. A un âge avancé, il y a une pathologie particulière qu’on appelle la démence. Et, ces troubles s’accompagnent de gros problèmes de comportement. C’est devant ces comportements qu’ils viennent en psychiatrie.

Guineematin.com: Professeur, mais parmi ces tranches d’âge, il y a au moins une tranche d’âge qui prédomine ?

Professeur Doukouré Mory Fodé : En général, lorsqu’on fait des statistiques, les adolescents et les jeunes sont fréquemment vus en consultation. Pourquoi ? Parce que, c’est une période charnière de la vie de l’individu. C’est une période de grande fragilité où la plupart des pathologies psychiques commencent.

Guineematin.com: Qu’est ce qui occasionne cela ? Est-ce que c’est la drogue ?

Professeur Doukouré Mory Fodé : Comme je le dis souvent, l’adolescence est une période de folie. Il y a la curiosité, il y a beaucoup de changements qui s’opèrent, tels que des changements physiologiques, biologiques et psychologiques. Et, tous ces changements s’accompagnent d’angoisse. Ces différents changements peuvent faire le lit des pathologies. C’est pourquoi, c’est une période où le plus souvent, certains troubles psychiques commencent. Mais, pour le grand public, puisque ce sont des jeunes, c’est lié seulement à la drogue, ce qui n’est pas juste. C’est comme si on niait leurs souffrances. Il y a beaucoup qui sont là, qui n’ont jamais touché à la drogue. Mais, c’est une période où beaucoup de problèmes commencent malheureusement.

Guineematin.com : vous avez avancé des chiffres impressionnants. Dites-nous comment vous parvenez à gérer toutes ces personnes ?

Professeur Doukouré Mory Fodé : Peut-être que je vais venir sur certains termes comme le mot démence. Nous, nous considérons cela comme une seule pathologie qu’on rencontre sur des sujets d’un certain âge. Parce que la démence est un trouble qui porte sur la mémoire des troubles psychiques, de façon générale. Le fait qu’on ait beaucoup de consultations par an s’explique par le fait que c’est le seul service spécialisé pour la prise en charge des troubles mentaux et du comportement. Vous savez que nous sommes à peu près à plus de 10 millions d’habitants. Un seul service de psychiatrie, cela veut dire qu’on va faire beaucoup de consultations. Et, beaucoup ne viennent pas ici. Dans l’imagination collective, lorsque quelqu’un présente des troubles psychiques, c’est l’œuvre des mauvais sorts, des diables ou c’est le travail des démons. Je vous dis que l’être humain a deux grandes composantes : il y a le corps ou le somatique, qu’on voit et qu’on peut toucher ; mais, il y a une autre composante, qui est l’esprit, que nous appelons psychisme, qui a ses différentes parties comme l’autre corps. Tout comme le somatique, le psychisme peut aussi tomber malade. Et, en psychiatrie, il y a des centaines et des centaines de maladies. Il y a même des types de maladies que les gens ne considèrent pas comme étant une maladie. Si je prends un trouble obsessionnel convulsif, il y a des gens qui prient beaucoup, ce n’est pas parce qu’ils sont pieux, ils sont malades. Il y a des gens qui ne peuvent pas parler en public,No n appelle cela, la folie sociale. Ça peut même les amener à la consommation de l’alcool ou de la drogue pour pouvoir tenir. Et, il y a des gens qui sont trop propres, même quand vous leur dites bonjour, ils sont obligés d’aller se laver les mains. Quand ils ferment la porte, ils sont obligés de nettoyer les poignets. Ce sont des problèmes de santé que les gens ne considèrent pas. Je connais des personnes qui ne peuvent pas regarder le ciel, parce qu’ils ont peur que les nuages tombent sur eux. Donc, vous voyez, toutes ces personnes là ne viennent pas. On considère que ce sont des maladies de diables ou des gens protégés.

Guineematin.com: Combien coûte l’internement d’un malade ?

Professeur Doukouré Mory Fodé : Comme nous sommes dans un hôpital général, nous avons les mêmes frais d’hospitalisation que les autres services. Je crois que c’est 180 000 GNF par mois. L’ordonnance et les examens complémentaires sont à la charge de la famille. Mais, le problème que nous avons est que les psychotropes ne se trouvent pas dans l’hôpital, dans la pharmacie hospitalière. Même à la pharmacie centrale, je me demande s’ils exportent ces psychotropes. Et, les psychotropes, coûtent excessivement chers. Dans les autres pays, c’est subventionné par l’Etat.

Guineematin.com: Combien  ces produits coûtent dans notre pays ?

Professeur Doukouré Mory Fodé : Il y a plusieurs types de psychotropes. Je vais vous donner l’exemple de déropstacle, qui est un antidépresseur. Dans certaines pharmacies, il y a des boîtes de 14 comprimés. Le comprimé déjà est à 20 mg et la boîte de déropstacle est à 350 000 GNF avec un traitement de 14 jours, si on est à un comprimé par jour. Et ça, c’est la dose de départ. On peut être à 3 comprimés par jour. Vous voyez qu’une boîte ne fait pas alors 3 jours. Il y a d’autres médicaments, quand je prends la risteridole, la présentation de 4 mg de comprimés, la boîte peut coûter 750 000 GNF. Le dipresta à 140 euros, les boîtes de 28 comprimés de 10 mg.  Convertissez ce montant en francs guinéens…

Guineematin.com: Mais, finalement, est-ce que ce n’est pas cette cherté des produits qui fait que des malades se dirigent vers les tradipraticiens où autres ?

Professeur Doukouré Mory Fodé : Les gens vont généralement chez les tradithérapeutes par rapport à l’origine de la maladie mentale, parce que c’est culturel. Quand il y a de gros troubles de comportement, on ne peut pas gérer à la maison.  Mais, en général, le premier en Afrique, quand quelqu’un présente des troubles psychiatriques, c’est le guérisseur, c’est le tradithérapeute, c’est le marabout. En plus, la cherté des produits empêche certaines personnes de venir à l’hôpital, même si elles veulent venir. Parfois, nous sommes obligés de participer. Il y a eu des moments où des patients qui ont fait des années ici ont été accompagnés par nous-mêmes.

Guineematin.com: nous savons qu’il y a des degrés de psychisme.  Mais, est-ce qu’il y a des cas graves que vous n’avez pas pu traiter ?

Professeur Doukouré Mory Fodé : Non ! On ne peut pas le dire. Vous savez que cela dépend des types de maladies. Tout comme en maladie somatique, il y a des maladies dont le pronostic est réservé. Rarement les maladies mentales entraînent la mort de quelqu’un. A moins que la personne soit complètement abandonnée. Il y a aussi des types de maladies où les personnes peuvent chercher à se donner la mort. Sinon, en général, lorsque les gens viennent ici, on les aide. Mais, le plus souvent en psychiatrie, le traitement est long pour ne pas dire pour toute la vie.

Guineematin.com: en moyenne, combien de patients sortent guéris par mois ou par an de ce centre ?

Professeur Doukouré Mory Fodé : Généralement, tous les patients qui viennent chez nous sortent et sur les deux pieds. Il y a peu de décès comparativement aux autres services. Le problème, lorsque quelqu’un meurt ici, c’est qu’il y a souvent des problèmes somatiques associés et nous demandons toujours l’avis des autres collègues. Dans un hôpital, c’est le travail en chaîne. Lorsqu’on a du travail autour des maladies somatiques, les gens travaillent en chaîne. Nous demandons l’avis des autres, sinon les hospitalisations ne durent pas, le plus souvent. Et, il y a un fait, les gens pensent qu’il faut garder le malade le plus souvent pendant longtemps pour que le pronostic soit bon. Je suis contre, car plus on garde le malade longtemps, on participe à sa désocialisation. Il faut que la personne reprenne ses activités. Ce n’est pas tous les troubles psychiatriques qui entraînent une dépression du potentiel intellectuel. Non ! Les gens peuvent présenter des troubles, et puis après, cela devient une parenthèse. Et, ensuite, la personne continue ses activités. Je connais plein de patients que j’ai commencé à suivre. Ils n’avaient pas le brevet, ils ont aujourd’hui terminé les études universitaires. Ils se sont mariés et ont leurs familles. Peut-être, leur salaire mensuel est égal à mon salaire annuel.

Guineematin.com: Quelles sont les difficultés auxquelles vous êtes parfois confrontés ?

Professeur Doukouré Mory Fodé : Nous avons énormément de difficultés. Des difficultés communes à tous les services de santé en Guinée. Mais, nous, nous avons des difficultés particulières par rapport à l’image que les gens ont de la maladie mentale. Cela est une première difficulté. Deuxième difficulté, c’est le manque de moyens parce que, si vous regardez dans notre service, Imaginez-vous, depuis 1999, des lits que nous avons obtenus dans le cadre de la rénovation avec Africof, ce sont les mêmes lits que nous avons aujourd’hui. Il y a plus de demandes que de lits disponibles, parce que quel qu’en soit une infrastructure, si la demande est supérieure à l’offre, l’infrastructure ne peut pas supporter. Nous avons aussi des difficultés liées à la ressource humaine. Imaginez-vous une population de plus de 10 millions d’habitants, si vous n’avez que 5 psychiatres comme spécialistes. La psychiatrie est un service spécialisé ; ne peut pas être psychiatre qui le veut, il faut faire la formation. Nous n’avons pas d’infirmiers spécialistes. C’est un gros problème que nous avons. Sur le plan technique, regardez un hôpital de psychiatrie qui n’a pas de centre d’isolement. A cela s’ajoutent les problèmes de médicaments, parce qu’il ne s’agit pas de faire une ordonnance. Si le patient ne peut pas trouver le médicament, c’est très compliqué…

Guineematin.com : Merci Professeur Doukouré Mory Fodé d’avoir répondu à nos questions.

Professeur Doukouré Mory Fodé : Merci à vous également.

Entretien réalisé et décrypté par Ibrahima Sory Diallo pour Guineematin.com

Tél. : (0024) 621 09 08 18

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