CEDEAO : le fossé s’élargit entre les chefs d’Etat et les citoyens

La communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest dépêche une unième mission à Bamako ce samedi. Mais, cette nouvelle mission se déroule dans un contexte radicalement différent de celui des précédentes. Hier, il s’agissait de négocier entre Ibrahima Boubacar Keïta et les forces politiques et sociales, regroupées au sein du M5 pour sauver le fauteuil d’IBK. Aujourd’hui, il s’agit de l’utopique retour au pouvoir de ce même IBK. Or, la première mission était de loin la plus facile. Il est moins difficile d’éviter la chute d’un président que de réinstaller au pouvoir un chef d’Etat déchu.

Le moins que l’on puisse écrire est que l’Organisation Ouest africaine est confrontée à la pire crise de son histoire. Avec la Gambie, la CEDEAO avait acquis ses lettres de noblesse. La fermeté de l’organisation avait permis le départ de Yahya Jammeh du pouvoir après qu’il a reconnu sa défaite électorale avant de se rétracter. Malgré quelques divergences entre les chefs d’Etat, le camp anti Jammeh avait pris le dessus. Permettant du coup à Adama Baro de s’installer au palais présidentiel à Banjul.

Dans la récente crise bissau-guinéenne, la CEDEAO avait du mal à parler d’une même voix. Il aura fallu la détermination d’Umar Sissoko M’Balo pour que les chefs d’Etat soient mis devant le fait accompli. Mais ,c’est la crise malienne qui a mis à nu l’incapacité notoire de l’organisation à régler les crises dans la sous-région.

Certes, il était difficile pour cette organisation de céder devant l’exigence du mouvement M5. Écourter un mandat présidentiel sous la pression de la rue aurait été un précédent. Mais, ce précédent aurait évité ce qui était désormais inimaginable sur le continent : un coup d’Etat militaire. Même si, à la différence de tristes coups d’Etat que nous avons connus en Afrique jusqu’au début des années 90, celui de ce mois d’août à Bamako a été non seulement sans effusion de sang mais aussi inspiré par une révolte populaire. En effet, il ne faut pas occulter le fait que si IBK conduisait correctement les affaires du Mali, ce qui vient de lui arriver ne serait jamais arriver.

Pour revenir à la CEDEAO, le fossé n’a jamais été aussi grand entre cette organisation et les citoyens de la sous-région. Lesquels parlent désormais de deux organisations : celle des chefs d’Etat et celle des citoyens. L’organisation a pris un sérieux coup. Il va lui falloir plusieurs années pour restaurer la confiance perdue. Encore une fois, si écourter un mandat était un précédent dangereux, creuser un fossé entre les gouvernants et les gouvernés au point où il est aujourd’hui n’est pas non plus le moindre mal. Malheureusement, la CEDEAO vient de se tirer une balle dans le pied. Il ne reste plus qu’à espérer que les chefs d’Etat pourront limiter les dégâts ce samedi, en abandonnant l’utopique idée de retour aux affaires de leur désormais ancien homologue.

Le décalage entre la volonté du peuple malien et l’obsession des chefs d’Etat Ouest africains suscite plus d’indignation dans certains pays que dans d’autres. La Guinée et la Côte d’Ivoire, confrontées à une remise en cause du contrat politique, suivent avec plus d’intérêt, voire d’anxiété, ce qui se passe au Mali. Les citoyens de ces deux pays accusent la CEDEAO de faire deux poids deux mesures. Estimant que la modification d’une constitution dont l’objectif est de permettre à un homme de rester au pouvoir à vie est aussi un coup d’Etat. D’autant plus que, paradoxalement, ces coups d’Etat subtilement perpétrés par des civils, font le plus souvent plus de victimes que les coups d’Etat militaires.

Nombre d’observateurs estiment que l’Organisation Ouest africaine n’a pas fait preuve de fermeté dans le cas guinéen. Ce qui conforte les citoyens dans leur conviction que toutes ces organisations ne sont rien d’autre qu’un syndicat de chefs d’Etat. Il est donc temps pour les rares démocrates à la tête de certains Etats membres de cette organisation de tout mettre en œuvre pour redorer le blason de la CEDEAO. Car, le seul rempart contre les coups d’Etat militaires est l’alternance. Si les citoyens savent qu’ils peuvent sanctionner leurs dirigeants par les urnes ils ne vont jamais prendre les armes.

Habib Yembering Diallo pour Guineematin.com

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