Guinée : les chemins tortueux d’une transition

Le moins que l’on puisse dire est que la transition guinéenne bat de l’aile. Elle multiplie les incongruités. Avec d’un côté, le Conseil national de la transition qui organise un forum sur le dialogue interreligieux et de l’autre les membres du gouvernement sommés de nettoyer la ville de Conakry. Deux événements qui attestent, s’il en était besoin, que les nouveaux maitres du pays ne savent plus où donner la tête.

Voyons plutôt. Si, dans des pays comme la France où il existe une méconnaissance voire une méfiance entre les religions, le dialogue interreligieux est une nécessité pour briser la frontière entre les différentes confessions religieuses, en Guinée rien ne justifie pour le moment un tel dialogue. Parce que, dans ce pays, non seulement les deux principales religions se connaissent mais elles s’acceptent et cohabitent en parfaite harmonie. Le conseil musulman et celui du christianisme partagent les mêmes bureaux au secrétariat général des affaires religieuse.

Il n’est jamais superflu de dialoguer, nous dira-t-on. Oui. Mais dans un pays sérieux, les tâches sont exécutée selon un ordre de priorité. Et par des structures appropriées. Par exemple, que le Conseil national des organisations de la société civile, auquel appartient le président du CNT, se lève demain pour organiser un tel forum, c’est pertinent, peut-être. C’est selon. Par contre, que le Conseil national de la transition, qui est loin de faire le travail pour lequel il a été mis en place, se mette à organiser un dialogue interreligieux, c’est à la fois inopportun et incongrue.

Si le CNT faisait appel aux sages, aux imams, aux sociologues et beaucoup d’autres couches de la société à se joindre aux juristes pour voir quel est le type de constitution qui est adapté à notre pays, ce serait pertinent. Mais encore une fois, quand on est incapable de faire son propre travail on n’a pas le droit de faire celui des autres.

Même un parlement élu et jouissant de toute sa légalité et de sa légitimité n’a pas pour vocation d’organiser ce gendre de forum. A plus forte raison un organe dont les membres sont nommés et d’autres cooptés. Le président Mamadi Doumbouya devrait, comme il l’a fait avec la commission composée en catimini pour la rédaction de la nouvelle constitution, réagir pour demander au CNT de s’atteler à l’essentiel.

L’autre incongruité

S’agissant du président de la transition lui-même, celui-ci vient de mettre le pied dans le plat en demandant, que dis-je, en sommant ses ministres d’aller assainir la capitale. Comme si cela relève d’un coup de baguette magique pour que Conakry devienne subitement propre. Si le fait de demander simplement à quelqu’un d’assainir la ville devait rendre celle-ci propre, notre capitale devait être la plus enviée de l’Afrique sous le règne de l’ancien président Alpha Condé. Lequel avait demandé à tous les citoyens de s’atteler à cette tâche, allant jusqu’à instituer le premier – ou le dernier- samedi de chaque mois une matinée d’assainissement. Le résultat on le connait. La mesure fut une épine dans nos pieds avec une ville paralysée, causant même de pertes en vie en raison de l’interdiction de circuler.

Pourquoi le CNRD répètera-t-il les erreurs du passé ? Un ministre n’est pas fait pour balayer la ville. Il y a des structures qui s’occupent de cela. Il suffit de leur donner les moyens nécessaires et de veiller à l’exécution correcte de leur mission. Le spectacle de ce jeudi est une mise en scène qui relève d’un populisme dont le CNRD est en passe de devenir maître. Or on ne le dira jamais assez, les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets. Devant la levée de boucliers suscitée par cette affaire, certains proches de la junte ont publié des images de Paul Kagame en action pour l’assainissement de Kigali. Malheureusement pour nous, la copie ne sera jamais l’original.

Si le gouvernement de la transition doit exécuter les tâches régaliennes de l’Etat, sa mission principale demeure cependant celle de doter le pays d’institutions démocratiques, crédibles et représentatives des citoyens. Tout le reste relève d’un agenda peu avouable. C’est bien beau d’assainir notre environnement. C’est encore beau d’organiser un dialogue interconfessionnel. Mais c’est un impératif de rendre public un chronogramme réaliste et se mettre immédiatement au travail afin que la Guinée redevienne fréquentable. Tout le reste est superflu.

Habib Yembering Diallo pour Guineematin.com

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