Collectif des organisations de la Société Civile pour la Défense des Droits des Communautés : Mémorandum

A : Parties prenantes du projet du SIMANDOU

De :  Collectif des organisations de la Société Civile pour la Défense des Droits des Communautés (CODEC)  

Date :  23 Septembre 2022 

Objet : Préoccupations autour du SIMANDOU

 

  1. NOTRE APPRECIATION DU PROJET

Le Gouvernement Guinéen, Rio Tinto-Simfer et Winning Consortium Simandou (WCS) ont signé le mercredi 27 juillet 2022 la Convention de Création de la Co-entreprise baptisée ”Compagnie du Transguinéen” (CTG) pour le co-développement des infrastructures du projet dont le coût de réalisation est estimé à 15 milliards de dollars. Le méga-projet intégré du Simandou prévoit la construction d’un chemin de fer dénommé “le Transguinéen” pour une longueur de plus de 600 kilomètres, allant de la préfecture de Kérouané au sud du pays aux côtes Guinéennes dans la préfecture de Forécariah où se situent les infrastructures portuaires du Projet. Ce gigantesque projet infrastructurel aura un effet d’entraînement global sur le développement local, l’industrialisation et l’économie Guinéenne.

 

L’accord trouvé entre les parties est une avancée significative dans la mise en œuvre du projet. Il constitue un espoir pour la Guinée de bénéficier davantage de retombées économiques du projet Simandou avec une participation gratuite de 15 % dans la CTG en plus des autres revenus prévus dans la mise en œuvre du projet minier en termes de redevances et de contenu local au bénéfice de l’économie nationale et des populations riveraines. Nous saluons surtout l’intention déclarée des parties prenantes de la CTG de codévelopper le projet conformément aux normes environnementales, sociales et de gouvernance internationalement reconnues. 

  1. NOS PREOCCUPATIONS

En dépit de l’enthousiasme et l’espoir que suscite le présent projet, il convient de souligner qu’il comporte cependant des enjeux et des risques auxquels une attention particulière et des actions conséquentes devront être portées par l’ensemble des parties. Nous sommes très préoccupés par les risques élevés que les normes internationales en matière sociale, environnementale et de gouvernance ne soient pas pleinement respectées ou mises en œuvre par toutes les parties.

 

Ces préoccupations s’expliquent par le caractère intégré du projet (Mine, chemin de fer, port et autres infrastructures connexes) qui touche plusieurs localités du pays. Mais également des zones de hautes valeurs écosystémiques et de diversité biologique singulières dont la mauvaise gestion pourrait avoir de graves répercussions aussi bien sur les composantes physiques, biologiques, humaines que sur le climat.

 

Il est à noter que des espaces agricoles, des zones de pâturages et de pêche, des habitats naturels, des habitations et des sites culturels des populations riveraines ainsi que des moyens de subsistances risquent d’être sérieusement impactés à différentes phases de la mise en œuvre du projet.  Le projet risque d’engendrer d’importants impacts sur le cadre de vie des populations et la biodiversité, notamment les espèces en danger à l’image des chimpanzés.

 

Les mesures d’atténuation en place, et celles à avenir appellent à une gestion en continu des entreprises, une surveillance gouvernementale rigoureuse et une vigilance citoyenne accrue tout au long du cycle de vie du présent projet.

 

Le CODEC est préoccupé par le vide juridique persistant en matière de compensation, d’indemnisation et de réinstallation des populations impactées par les projets miniers. L’absence d’une norme nationale contraignante en la matière constitue une réelle préoccupation qui risque d’affecter les droits des communautés impactées par le projet. Notre préoccupation réside également au niveau de la faiblesse  capacité des communautés locales impactées par le projet à gérer de façon efficace les revenus destinés au financement du développement local, tel que le FODEL.

 

L’analyse des conventions signées sur l’exploitation des gisements de fer de Simandou révèle des insuffisances qui constituent une préoccupation pour la société civile et les communautés impactées par le projet. Les dispositions relatives à la prévention et la protection de l’environnement, Par exemple, le classement de l’audit environnemental dans la rubrique « confidentialité » dans la convention de base entre Winning Consortium Simandou et l’état Guinéen est en contradiction avec les dispositions légales en vigueur ainsi que des normes de transparence. Les clauses de stabilisation dans la convention de base entre Rio Tinto et l’état Guinéen ont figé les exonérations fiscales trop généreuses accordées à l’entreprise ainsi que les standards environnementaux applicables au projet.

 

La non-disponibilité des études d’impacts sociales et environnementales (EIES) de Rio Tinto et les énormes émissions de carbone révélées par les EIES (dans un contexte de vide juridique relatif à la tarification des émissions de carbone) constituent également une préoccupation en termes d’impact sur le changement climatique.

          

  1. NOS RECOMMANDATIONS 

Le collectif des organisations de la société civile pour la défense des droits des communautés impactées conscient des enjeux économiques, juridiques, sociaux, environnementaux et climatiques associés au Projet Simandou et de la nécessité de protéger les droits des communautés impactées par le projet recommande aux parties les mesures suivantes :

 

Au gouvernement

 

Sur les conventions de bases

 

  • La proscription de toute disposition relative aux clauses de confidentialité et la réduction de la portée et de la durée des clauses de stabilisation dans les conventions de bases signées entre les entreprises minières et l’état.

 

  • La publication de l’accord-cadre signé entre les entreprises et le gouvernement conformément aux normes de transparence qui consistent à publier l’ensemble des contrats en vigueur dans le secteur minier en Guinée conformément aux dispositions de l’article 217 du code minier.

 

Les politiques publiques à renforcer

 

  • L’entrée en vigueur et l’application du « Référentiel national pour la compensation, l’indemnisation et la réinstallation des populations impactées par les projets » comme préalable au démarrage des activités du Simandou.

 

  • Le renforcement des dispositions sur la transparence, l’efficacité et la participation des communautés dans la gestion du Projet.

 

  • L’application d’une politique sur la tarification des émissions de carbone au projet Simandou et dans le secteur minier en Guinée.

 

Sur les questions environnementales et sociales

 

  • La mise en place des mesures permettant de veiller de façon rigoureuse et transparente à la réalisation des études d’impact environnemental et social (EIES) de l’ensemble des composantes du projet, ainsi que la mise en œuvre de leurs Plans de Gestion Environnemental et Social (PGES).

 

  • L’effectivité de la pleine participation libre, éclairée des personnes et communautés impactées par le projet dans la réalisation des EIES et le suivi de la mise en œuvre des Plan de Gestion Environnemental et Social (PGES).

 

  • La publication des rapports d’Études d’impacts social et environnemental validés du projet

 

  • Le respect des droits des communautés impactées par le projet, y compris les droits fonciers légitimes tels que définies par la FAO.

 

  • Le respect des obligations sociales et environnementales des entreprises du projet conformément aux conventions et aux cadres légal et réglementaire en vigueur (codes Minier, Environnement, Santé et Hygiène publique, Eau, Foncier, etc. et leurs textes d’application, et toutes autres normes applicables) et renforcement des services étatiques en charge de ce suivi.

 

Aux Entreprises

 

Sur les Conventions

 

 Le renoncement aux clauses contractuelles qui vont à l’encontre de la bonne gouvernance sociale et environnementale, notamment les clauses de stabilisation qui gèlent les standards environnementaux applicables au projet, les clauses de confidentialité des informations environnementales et les clauses d’exonérations fiscales trop généreuses.

 

Sur les relations avec les communautés 

 

 

  • L’application du principe de consentement libre, préalable et informé des communautés, à la prise des décisions liées au projet Simandou tel que prévu par le code minier communautaire de la CEDEAO[1] et la résolution de l’union Africaine concernant la gouvernance des ressources naturelles[2].

 

  • La préservation du patrimoine culturel (tangible et intangible) des populations riveraines identifiés lors des EIES ou pendant le développement du projet.

 

  • La consultation et l’implication de façon effective et permanente des communautés et des organisations de la société civile dans la mise en œuvre des mesures sociales et environnementales du projet en favorisant l’interaction avec les communautés et la société civile à travers la stratégie du suivi citoyen.

 

  • Une mise en œuvre responsable du projet à travers un respect stricte des normes de transparence, de consultation et participation publique au processus de décisions, de lutte contre toute forme de corruption.

 

Sur la Gestion Environnementale et Sociale

 

  • Le respect des principes et procédures fondamentaux applicables au processus de compensation, d’indemnisation et de réinstallation des populations impactées par les projets »

 

  • Une mise en œuvre effective des obligations légales et contractuelles relatives à l’environnement et aux droits humains, qu’elles s’engagent à respecter, surtout par le respect rigoureux des plans de gestion environnemental et social de leurs projets.

 

  • La mise en place des politiques, plans et mesures de prévention et de gestion des risques et problèmes environnementaux, climatiques, sociaux, en conformité avec les normes internationales requises et la mise en place d’équipes d’experts internes robustes pour assurer un suivi et une surveillance conséquents des impacts des opérations et des infrastructures minières.

 

  1. A PROPOS DU CODEC

Le Collectif des organisations de la société civile pour la défense des droits des communautés impactées par les projets de développement (CODEC) a rédigé ce Mémorandum.

Créé en 2018, le CODEC est un consortium de dix (10) organisations de la société civile guinéenne.[3] Il accompagne les communautés locales et les paysans guinéens en vue de la prise en compte de leurs préoccupations dans les politiques publiques et le respect de leurs droits fondamentaux et légitimes dans le cadre des réformes relatives à la gouvernance des ressources naturelles. Il apporte également un appui technique et stratégique à l’État à cet effet, à travers des analyses techniques et des recommandations. 

Contacts presse 

Fatoumata Kanté :  621175015 / [email protected]

Ousmane Camara : 625243919 / [email protected]

[1] Directive C/DIR 3/05/09 en date du 27 mai 2009 portant sur l’harmonisation des principes directeurs et des politiques dans le secteur minier

[2] Résolution CADHP/Rés.224 (LI) 2012 sur une approche de la gouvernance des ressources naturelles basée sur les droits de l’homme adoptée par la 51ème Session ordinaire.

[3] Voir https://coddc.org/ et les organisations membres du CODEC en annexe.

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