Procès du 28 septembre : « je suis là pour réclamer justice… qu’on me montre la tombe de mon mari »

Fatimatou Diallo, victime du massacre du 28 septembre

Comme annoncé précédemment, une nouvelle victime du massacre du 28 septembre, Fatimatou Diallo, a comparu à la barre du tribunal criminel de Dixinn, délocalisé à la Cour d’Appel de Conakry, dans la soirée de ce mercredi, 12 avril 2023. À la barre, la plaignante a dit avoir perdu son époux, El Hadj Mamadou Sow, lors du massacre perpétré contre les civiles au stade du 28 septembre de Conakry en 2009. Elle revenu longuement sur ce qui s’est passé, a constaté sur place Guineematin.com à travers un de ses reporters.

Selon Fatimatou Diallo, le 28 septembre 2009, son époux, Elhadj Mamadou Sow a quitté sa maison familiale pour se rendre au stade pour participer à la manifestation des forces vives. Une mobilisation qui a viré au drame et a coûté la vie à 157 personnes, dont son époux.

Guineematin.com vous propose ci-après l’intégralité de sa déposition dans laquelle elle réclame justice et la tombe de son mari :

Fatimatou Diallo, victime du massacre du 28 septembre

« Le matin du 28 septembre 2009, mon mari est sorti et m’a laissée à la maison, à Sonfonia. Il me dit qu’il va au stade pour participer au meeting des leaders politiques. Le matin il m’a dit qu’il doit sortir, j’ai dit d’accord. Il me dit, aides-moi à déjeuner avant que je ne sorte. Je lui ai offert le déjeuner et j’ai demandé est-ce qu’il va durer ou pas ? Il me dit non, je ne vais pas durer parce que je ne vais pas à Madina. Il est sorti, il a pris notre bébé d’un an 4 mois. Il est sorti avec le bébé hors de la cour. Devant la Cour, il a donné notre bébé à une fille et elle a ramené le bébé. Il est parti et il est arrivé jusqu’au niveau du marché de Koloma. À ce niveau, c’est lui qui m’a appelé pour me dire qu’il était à ce niveau. J’ai demandé pourquoi au marché Koloma ? Qu’il est en partance pour le stade et il est parti. Vers 10h, il m’a rappelé pour dire qu’il est au portail du stade. Il est rentré au stade. Quand il est rentré au stade, il m’a appelé encore en me disant Fatimatou si tu vois ici, c’est comme si personne n’était mort, tellement qu’il y a du monde. Je lui ai dit alors, sors tu viens à la maison. Après, il me dit qu’il n’y a pas de problème, nous allons rentrer tout de suite. Il était avec son jeune frère. C’est à 11h qu’on a échangé pour la dernière fois.

Dans notre dernière conversation, il m’a demandé s’il y a le courant. Quand j’ai su qu’il n’y avait pas de courant, (en larmes à la barre), c’est la dernière parole qu’on s’est dite. Je suis resté longtemps, il n’a pas appelé. Après, vers les 13h, ma belle-sœur m’a appelé, celle qui est à Lambanyi, en me demandant qu’elle a appris qu’ils ont tiré sur l’oncle Elhadj. J’ai dit quoi ? Quand elle a su que je n’étais pas au courant, elle a raccroché le téléphone. J’étais très inquiète, il n’y avait pas de route. Je l’ai appelé au téléphone, mais ça ne répondait plus. Je me suis rappelé qu’il a son frère à côté de lui. J’ai appelé ce dernier au téléphone, Koto Boubacar, paix à son âme aussi. Je lui ai dit va chez Hadja, on m’a dit qu’ils ont tiré sur Elhadj au stade pour avoir des renseignements. Lui, il me dit attends, je vais prier. Après la prière, tout ce qui va se passer, je vais t’informer. Moi aussi, j’ai fait des ablutions, j’ai prié. Dès que j’ai fini de prier, mon téléphone a sonné. J’ai décroché, c’est Boubacar qui dit au téléphone tu as raison, ils ont tiré sur Elhadj et il en est décédé. Sur place, j’ai piqué une crise ; mais en ce moment, il y avait beaucoup de personnes à l’intérieur de la cour parce que moi je n’étais pas au courant, mais beaucoup d’autres étaient informés. Son jeune frère aussi qui ne connaissait pas tellement la ville, on l’a appelé, mais on ne se comprenait pas trop au téléphone.

Donc, ce jour, il n’a pas pu revenir à la maison. Parce qu’en allant au stade, c’est au niveau de Bomboli qu’ils ont laissé le véhicule dans un parking. Donc, son jeune frère est venu passer la nuit dans le véhicule. Dans les va-et-vient, il s’est rencontré avec un jeune avec lequel mon mari travaille à Madina, nommé Malal. Lui, il a pris les clés du magasin de mon mari et il a donné au jeune frère de mon mari. En lui disant voilà les clés de ton frère, si vous cherchez votre frère, allez à la morgue. Il a dit, j’ai vu le grand couché, mais il y avait de la salive au niveau de sa bouche parce que ce sont eux qui ont aligné les corps au niveau de l’esplanade du stade. Donc, quand il a vu mon mari, il a pris mon mari pour le mettre en ligne avec les autres corps. Quand il l’a fouillé, ce qu’il a trouvé, c’était le permis de conduire et cette clé. Donc, il a pris ces objets pour les donner au jeune frère de mon mari. Lui il a attrapé la clé et il est parti dormir avec. Il n’a pas pu arriver à la maison ce jour. À chaque fois, on l’appelait mais il n’a pas accepté de nous dire la nouvelle que Malal lui a donnée. Parce qu’il avait l’intention d’aller voir lui-même à la morgue pour savoir si réellement ce que Malal a dit est vrai. Le lendemain, le mardi 29 septembre 2009, le matin à 6h, je suis sortie, j’étais avec le jeune frère de mon mari. Il me dit mais, tu vas où Fatimatou ? J’ai répondu que je ne peux rester ici, je ne vois pas mon mari, je ne vois pas son programme, je vais aller voir. Il me dit non, on va aller ensemble. Je ne peux pas te laisser comme ça. J’ai dit non, il faut rester avec les enfants. Il me dit comme ta petite sœur est là, elle va rester avec les enfants nous on va aller ensemble. Nous sommes partis jusqu’au niveau de la route.

On a eu difficilement le taxi. N’importe quel taxi que vous signalez, personne ne s’arrête parce que la ville était effrayante. Il n’y a pas de gens dans la rue. J’ai eu le taxi difficilement, j’ai dit que je vais à l’hôpital Donka. Le chauffeur de taxi a fixé son prix, j’ai dit qu’il n’y a pas de problèmes. Arrivée à la rentrée de l’hôpital de Donka, j’ai trouvé le jeune frère de mon mari qui n’avait pas encore eu accès à l’intérieur. Lui, il avait demandé à toute la famille de se rencontrer là-bas. Devant le portail de Donka, j’ai vu encore ce jeune-là, Malal. Il me dit que ce sont les clés qu’on a vues sur ton mari. Il me dit El Hadj est mort. Toute la famille s’est mise à pleurer. La famille a dit de me ramener à la maison et on m’a ramené à la maison. C’est ce que je connais sur l’affaire du 28 septembre.

Mais j’ai vu son image, là où ils ont aligné les corps. Son corps n’a pas été retrouvé. Le jour où son corps a été retrouvé, c’était un vendredi. La famille est venue, mais on n’a pas trouvé le corps de mon mari. Quand on ne l’a pas retrouvé, il était question de rentrer le samedi faire son sacrifice à Kindia parce que j’ai une coépouse aussi. De là-bas, nous sommes revenus à Conakry. Donc, je suis là pour réclamer justice et qu’on me montre là où se trouve le corps ou la tombe de mon mari », a dit Fatimatou Diallo.

Propos recueillis par Mohamed Guéasso DORÉ pour Guineematin.com

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