Référendum au Mali sans la région de Kidal ? « Le projet de constitution ne sera pas validé », prévient Dr Ibrahima Sangho

Dr Ibrahima Sangho, président de l'observatoire pour les élections et la bonne gouvernance au Mali

L’un des acteurs majeurs de l’observation des élections en République du Mali depuis plusieurs années, Dr Ibrahima Sangho, prévient que le référendum du 18 juin 2023 pourrait ne pas être validé. Le refus de la région de Kidal d’abriter ce vote pour la nouvelle Constitution pourrait aboutir à l’annulation du vote. Dans un entretien accordé, le week-end dernier, à l’envoyé spécial de Guinéematin.com à Bamako, le président de l’Observatoire pour les élections et la bonne gouvernance au Mali a relevé des manquements qui pourraient entacher la crédibilité du référendum du 18 juin prochain. Ce spécialiste de questions électorales estime que pour avoir le consensus autour du texte soumis au vote des Maliens, il est important que le gouvernement se mette dans le débat avec les auteurs politiques et sociaux, et même les groupes armés du Nord pour trouver un consensus politique.

Guineematin.com : dans quelques jours, c’est le vote pour l’adoption du projet de nouvelle constitution en République du Mali. La campagne électorale est déjà en cours dans le pays. Vous, en tant que spécialiste de questions électorales, de quel œil vous observez tout cela ?

Dr Ibrahima Sangho : effectivement, la campagne a débuté le 1er juin et elle doit être close le 16 juin. Il y aura d’abord l’élection des forces de défense et de sécurité le 11 juin, après il y aura l’élection des civils le 18 juin. Ce que nous constatons sur le terrain, c’est qu’il y a la mobilisation, mais la mobilisation ne traduit pas le consensus politique. Aujourd’hui, il y a des entités importantes telles que les partis politiques, les organisations de la société civile qui ne sont pas d’accord avec le texte du référendum, qui ne sont pas d’accord avec la qualité de ceux qui sont en train de faire le nouveau texte pour la Constitution. Mais, il y a aussi des régions comme Kidal qui refusent qu’il y ait l’élection du référendum le 18 juin dans leur région. Donc, il y a deux possibilités à ce niveau : soit le 18 juin, on fait l’élection sans la région de Kidal, ce qui va invalider l’élection. Parce qu’en tant que l’élection ne se passe pas sur l’ensemble du territoire, elle ne sera pas validée par la Cour constitutionnelle. Soit, on repousse la date de l’élection. Aujourd’hui, pour avoir le consensus politique autour du texte de référendum, pour avoir la quiétude sur l’ensemble du territoire national, il est important que le gouvernement se mette dans le débat pour trouver le consensus politique.

Alors parlez-nous des textes de loi dont la manipulation par les autorités pose problème au sein de certaines formations politiques mais aussi de la société civile ?

Vous savez, nous appartenons à la CEDEAO. Et la CEDEAO a donné un texte qui s’appelle le protocole additionnel de la CEDEAO qui date de 2001. Et ce protocole conseille au gouvernement de mettre en place l’encadrement légal des élections 6 mois avant celles-ci. Nous avons connu au Mali la loi électorale qui a été promulguée en 2022 pour fixer les règles du jeu concernant les élections à venir. Mais en mars 2023, cette loi a été modifiée et en mai 2023 elle a été encore modifiée. Donc, cela n’augure pas une bonne préparation des élections. Pour bien préparer les élections, il faut une loi consensuelle, 6 mois avant les élections. Aujourd’hui au Mali, c’est 27% de la population qui est francophone. Tous les textes sont en français, la loi électorale en français. Donc, il faut donner le temps au 83% de s’approprier de la loi électorale et de se mobiliser pour les élections. Mais, cela n’a pas été fait. À un mois de l’élection, on change les règles du jeu et même au cours de ce mois de juin on est en train de changer les règles du jeu au niveau du CNT mais aussi du côté du gouvernement. Parce que le gouvernement prépare le projet de loi et envoie au CNT. En juin 2022, le conseil national de la transition a voté une loi, en mars 2023, il est revenu sur la même loi pour faire certaines modifications comme la carte d’identité biométrique et le vote des militaires. En mai 2023, le gouvernement, sans se référer au CNT, a pris une ordonnance pour revoir encore la loi électorale. Ça fait que si vous n’êtes pas vigilants, vous n’allez pas savoir quelle est la loi électorale en vigueur. Et donc, tout cela ne cadre pas avec des élections crédibles et transparentes. Aujourd’hui, une frange importante de la classe politique dit que les autorités actuelles n’ont pas la légitimité ni la légalité d’organiser les élections au Mali. Parce que dans la constitution de la République du Mali, il est dit que tout coup d’État est un putsch contre le peuple malien. Donc, ceux qui ont fait ce putsch ne peuvent pas doter le Mali d’une nouvelle constitution. Au regard de tout cela, il faut un consensus politique pour une sortie de crise.

On nous apprend aussi qu’il y a des régions du pays qui ont décidé de boycotter ce projet de référendum le 18 juin prochain. Dites-nous quelles sont ces régions et quelles seront les conséquences de leur non-participation à ce référendum ?

Ce qui est connu, c’est la région de Kidal qui est reconnue être la base de la rébellion au Mali, qui refuse d’aller à l’élection le 18 juin. Pour rappel, en 2013, pour que les élections présidentielles et législatives aient lieu en République du Mali, il a fallu les accords de Ouagadougou. Ces accords ont permis de tenir les élections sur l’ensemble du territoire national. Parce que quand on parle de l’élection présidentielle ou référendaire, tant que ce n’est pas sur l’ensemble du territoire, l’élection sera invalidée. Donc, aujourd’hui c’est les groupes armés qui sont à Kidal et qui ont signé l’accord de paix depuis 2015 qui disent que leurs préoccupations n’ont pas été prises en compte. Donc, ils demandent que l’élection soit reportée afin de prendre en compte leurs doléances dans le projet de nouvelle constitution.

Si le gouvernement insistait d’aller au référendum sans la région de Kidal, est-ce que le pays pourrait perdre le contrôle de cette partie du Nord ?

Si le gouvernement de la transition s’entête à aller au vote sans la région de Kidal, tout simplement le projet de constitution ne sera pas validé par la cour constitutionnelle. Donc, l’élection sera automatiquement invalidée.

Aujourd’hui, est-ce que le gouvernement est à mesure de financer tout seul cette élection ou il y a eu l’apport de la communauté internationale ?

Pour les élections, le gouvernement malien a financé parce que c’est une question de souveraineté. Le budget national a apporté sa contribution. Mais ça, ça ne suffit pas. Il y a des partenaires. Les partenaires sont regroupés au niveau de deux instances ; d’abord, il y a le PNUD qui a un panier commun, qui permet de recevoir les contre-gestions des pays donateurs et ces contributions des pays donateurs plus l’Union européenne ont eu 17 millions de dollars pour aider le Mali à organiser les élections. Il y a l’autre composante qui est la MINUSNA qui s’occupe de la stabilité du Mali, qui contribue aussi à travers son personnel et ses moyens, notamment les moyens aériens pour transporter le matériel électoral dans les régions du Nord. Donc, le gouvernement seul ne peut pas faire face aux dépenses électorales, il y a d’autres partenaires qui contribuent. Et cela a toujours été ainsi malgré les discours souverainistes. On a beau être souverainiste, on a besoin des autres.

Est-ce que vous êtes sûr à date que tout est mis en œuvre pour la bonne tenue de ce scrutin, notamment le déploiement des matériels de vote ?

Nous pensons que tout est prêt. Parce que la communication qui est faite par l’Autorité indépendante de la gestion des élections (AIGE), qui doit organiser les élections de concert avec le Ministère de l’administration du territoire est claire. Nous avons eu des rencontres avec eux et au cours desquelles rencontres, ils ont rassuré le déploiement des matériels partout ; et nos observateurs ont pu s’en rendre compte sur toute l’étendue du territoire national. La distribution des cartes d’électeurs continue incessamment et le jour du vote, les gens pourront voter tranquillement. À date, les cartes d’électeurs sont produites et on sait que c’est 8.400.000 des maliens qui doivent voter. Donc, ce sont ces cartes qui doivent servir de pièces dans les bureaux de vote. Ceux qui ne pourront pas retirer leurs cartes d’ici le jour du vote, pourront retrouver leurs cartes dans leurs bureaux de vote pour leur permettre de voter le jour-j.

Dr Ibrahima Sangho, président de l’observatoire pour les élections et la bonne gouvernance au Mali

Propos recueillis par Malick Diakité, envoyé spécial de Guineematin.com à Bamako (Mali)

Tél. : 626-66-29-27

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