Massacre du 28 septembre 2009 : « j’ai vu des bérets rouges tirer à bout portant sur la foule »

Mamadou Saliou Diallo, victime

Comme annoncé précédemment, le procès du massacre du 28 septembre 2009 s’est poursuivi ce mercredi, 26 juillet 2023, devant le tribunal criminel de Dixinn (délocalisé à la Cour d’appel de Conakry). Et, ce sont les parties civiles qui défilent encore à la barre pour dire de quoi ils ont été victime dans cette affaire. Mamadou Saliou Diallo, un tailleur âgé de 53 ans, se plaint de fractures et de blessures. Il dit avoir été tabassé au stade du 28 septembre de Conakry par des bérets. Il déclare aussi avoir vu des bérets tirer à bout portant sur la foule qui se trouvait à l’intérieur du stade.

« J’ai rencontré un groupe de bérets rouges qui tirait à bout portant sur la foule (…), j’ai vu qu’ils ont tiré sur beaucoup de personnes. Du coup, j’ai rebroussé chemin pour retourner au stade. Nous avons croisé une grande foule qui quittait vers le terrain et essayait de se sauver aussi. C’est là que j’ai été victime de bousculade. Et, cela m’a causé une fracture au niveau de mon pied à deux endroits. Je suis tombé sur le côté gauche. Du coup, une autre femme grande de taille est venue tomber sur moi, mais celle-là était déjà morte. J’ai aperçu une fille qui venait vers moi se faire tirer de force par un béret rouge qui a déchiré les vêtements qu’elle portait. Elle est restée nue comme elle est venue au monde. Et, il s’est mis à la traîner à même le sol… Le béret rouge est venu vers moi, je me suis traîné par terre à l’arrière pour essayer de me sauver. Il m’a dit : fou le champ. Et, il m’a donné un coup de pied sur mon pied droit. J’ai dit : chef pardon. Il m’a encore donné un coup de crosse de fusil. C’est là-bas que j’ai perdu connaissance », a relaté Mamadou Saliou Diallo.

Guineematin.com vous propose ci-dessous un extrait de la déposition de Mamadou Saliou Diallo devant le tribunal criminel de Dixinn.

Mamadou Saliou Diallo, victime

« C’est aux environs de 8 heures que j’ai quitté la maison pour le stade. On a croisé le colonel Thieboro Camara et ses hommes, il nous a dit : quittez, il n’y a pas de meeting, rentrez chez vous. Mais, les gens ne l’ont pas écouté. Donc, il y a eu des tirs de gaz lacrymogènes et on s’est dispersés. Moi je suis allé à l’UFDG, nous sommes restés là-bas quelque temps. Après, une grande foule est venue nous trouver à l’UFDG et on a continué le chemin pour le stade. Arrivés à la terrasse, on a vu des jeunes qui se tenaient les mains et se tiraient jusqu’au niveau de la grande porte. Quand nous sommes arrivés à la rentrée, tous ceux qui avaient des feuillages dans les mains étaient obligés de le laisser dehors. Et, c’est ce que les gens ont fait pour entrer. Quand nous sommes entrés, j’ai pris place à la tribune, nous sommes restés jusqu’à 10 heures. Après, le président Jean Marie Doré est venu, et il a été très bien accueilli par la foule. Il a également pris place. Quelque temps après, ils ont jeté des gaz lacrymogènes vers Sahara. Et, ceux qui étaient en haut vers le Sahara sont descendus. Un autre gaz en provenance du côté de l’autoroute a été jeté sur le terrain. Donc, en ce moment, ceux qui sont sur la tribune et au Sahara se sont retrouvés sur les gazons en bas. Il y a eu une panique totale au niveau de la foule et chacun cherchait à se sauver la vie. J’ai pris la fuite, je suis venu vers le grand portail de la terrasse. Arrivé là-bas, je n’ai même pas fait plus d’un pas. J’ai rencontré un groupe de bérets rouges qui tirait à bout portant sur la foule. J’ai dit : si je prends le côté droit, ils vont me tirer dessus, le côté gauche aussi, pareil. Donc, j’ai essayé de me rabaisser, j’ai vu qu’ils ont tiré sur beaucoup de personnes. Du coup, j’ai rebroussé chemin pour retourner au stade. Nous avons croisé une grande foule qui quittait vers le terrain et essayait de se sauver aussi. C’est là que j’ai été victime de bousculade. Et, cela m’a causé une fracture au niveau de mon pied à deux endroits. Je suis tombé sur le côté gauche. Du coup, une autre femme grande de taille est venue tomber sur moi, mais celle-là était déjà morte. J’ai aperçu une fille qui venait vers moi, se faire tirer de force par un béret rouge qui a déchiré les vêtements qu’elle portait. Elle est restée nue comme elle est venue au monde. Et, il s’est mis à la traîner à même le sol. J’étais couché en bas en train de pleurer de douleur et crier au secours. Un homme âgé est venu enlever la femme sur moi et m’a tiré par la main droite. Mais, j’ai vu un béret rouge venir vers le vieux qui tentait de me sauver la vie. Du coup, le vieux m’a laissé et a pris la fuite. Mais, j’ai entendu des tirs dès après sa fuite. C’est sur le vieux qui est venu me sauver qu’il a tiré ou pas, je l’ignore. Le béret rouge est venu vers moi, je me suis traîné par terre à l’arrière pour essayer de me sauver. Il m’a dit fou le champ et m’a donné un coup de pied sur mon pied droit. J’ai dit : chef pardon. Il m’a encore donné un coup de crosse de fusil. C’est là-bas que j’ai perdu connaissance et ce que je voyais était flou. Je suis resté couché là-bas, avec une conscience instable jusqu’à la venue de la croix rouge… Lorsque la croix rouge est venue pour le secours, elle a trouvé que toutes ces personnes qui étaient couchées auprès de moi étaient toutes mortes. Un agent de la croix rouge est venu vers moi, là où je suis couché, puis il est passé. Par après, il est revenu me toucher et il remarqué que j’étais vivant, il a immédiatement alerté ses collègues. En disant : venez prendre celui-ci, il est vivant. C’est en ce moment que j’ai été transporté par la croix rouge dans une ambulance pour l’hôpital Donka. Arrivé aux urgences de Donka, j’ai été alité là-bas, le premier docteur à prendre soin de moi, c’était docteur Kaba. Il a vu que j’avais des fractures au pied et des blessures, il m’a donné les premiers soins avant de me faire monter à l’étage où j’ai été alité. Mais, j’avais une douleur atroce qui faisait que je pleurais. Suite à ça, ils sont venus me donner des injections pour alléger la douleur. Un peu plus tard, je me suis endormi. Je ne me suis réveillé qu’aux environs de 19 heures. Une connaissance qui avait une malade à l’hôpital m’a vu là-bas et m’a demandé si j’ai été victime des massacres du 28 septembre. Je lui ai dit : oui. Cette personne m’a aidé à informer ma femme, en appelant sur son téléphone. J’ai informé ma famille que je suis encore vivant. Le matin, ma famille est venue me rendre visite… Le président Dadis est venu nous rendre visite en sillonnant l’hôpital le 3ème jour, et il m’a dit de pardonner. Le lendemain de sa visite, des rumeurs ont circulé que le président allait venir nous chercher nous qui souffrons énormément pour nous envoyer dans un hôpital ou clinique adéquat. Mais, chacun y partait de ses spéculations et avait peur. C’est là que j’ai eu peur et j’ai demandé à la famille de m’aider à quitter l’hôpital. Je suis sorti de l’hôpital pour aller voir un tradi-praticien qui m’a fait un traitement. Mais, un parent nous a déconseillés de suivre ce traitement pour éviter d’endommager mon pied. Le parti de l’UFDG a demandé qu’on m’envoie à l’hôpital Mère et Enfant. Arrivé à mère et enfant, j’ai été plâtré et je suis resté avec pendant trois mois. Et après, j’ai fait une radio, mais il se trouvait que la blessure était intacte. C’est en ce moment qu’on a fait appel à docteur Sidibé qui, après son diagnostic, a dit que je dois subir une opération au pied si je veux me rétablir. C’est comme ça que j’ai été opérer et je suis resté avec ces fers pendant une année… Je tiens responsable Dadis Camara de tout ce qui m’est arrivé au stade. Qu’il demande pardon au peuple de la Guinée, car tout ce qui s’est passé ce jour s’est passé sous son régime », a longuement expliqué Mamadou Saliou Diallo.

Le procès a finalement été renvoyé au 31 juillet 2023 pour des raisons de santé d’un des membres du tribunal.

Fatoumata Diouldé Diallo et Thierno Hamidou Barry pour Guineematin.com

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