Kouraba (Dara Labé) : comment Mamadou Saïdou Baldé a pu devenir un puissant fermier ?

Mamadou Saïdou Baldé

Kouraba est l’un des six districts de la commune rurale de Dara Labé, relevant de la préfecture de Labé. Autrefois, les gens se bousculaient pour visiter cette cité de marabouts pour chercher des bénédictions ou régler des problèmes. Mais, depuis peu, cette localité s’est muée en une cité respirant la modernité avec le développement d’importantes fermes agropastorales avec à la clé des champs de pomme de terre à perte de vue. Parmi les acteurs de ce changement, figure en bonne place Mamadou Saïdou Baldé, affectueusement appelé « développé » par ses concitoyens.

Pour en savoir plus sur son implication dans la transformation de ce village de religieux, Guineematin.com y a dépêché un de ses journalistes.

Mamadou Saïdou Baldé qui respire de pleins poumons dit être resté au village plus de 15 ans, sans venir à Conakry. Il est marié et père de trois enfants qu’il prend en charge sans problème. Pour montrer que tout va bien pour lui, notre interlocuteur se félicite d’avoir fini son premier bâtiment et s’active à achever une villa, plantée dans sa ferme. C’est là qu’il a expliqué comment et pourquoi, en sa qualité de mécanicien maintenancier, il est rentré au village se transformer en agronome attitré.

« Moi, j’ai commencé les études dans ce petit village de Kouraba. De là, j’ai poursuivi mes études du collège à Dara Labé avant d’aller à Conakry où j’ai fait mon Lycée à Kipé. En 1999, j’ai décidé de m’orienter à l’ENAM (école normale des arts et métiers). J’ai fait tout le cycle et je suis sorti comme maintenancier. J’ai tenté beaucoup de choses, j’ai fait plusieurs stages mais au finish, rien n’a véritablement réussi. Entre temps, mon grand frère qui était médecin est tombé malade, paralysé et mon père, l’imam du village, devenait de plus en plus vieux. Il ne pouvait plus veiller sur les biens de la famille et surtout les terres et le bétail. J’ai donc décidé de rentrer et lui venir au secours », a-t-il fait savoir.

Mais de retour au village, Mamadou Saïdou n’a pas attendu un don du ciel pour se mettre au travail, s’intégrer et créer de l’engouement dans la culture de la pomme de terre.

« Mes premières actions, une fois au village, c’était de trouver où faire ma ferme et de la sécuriser par une haie. Ensuite, comme c’est la culture de la pomme de terre, il fallait nécessairement un magasin de stockage. J’ai planté des arbres tout autour de la clôture. Je suis allé au marché acheter de la pomme de terre pour semer. Et puis, je suis allé rencontrer la Fédération paysanne du Foutah qui nous a beaucoup aidés », a fait savoir « Développé ».

« Lorsque nous avons adhéré à la fédération des paysans du Foutah, nous avons reçu la semence, les intrants agricoles et surtout les techniques culturales. Subitement, les choses ont commencé à bouger. Beaucoup de personnes, notamment les jeunes, ont quitté la capitale et d’autres villes pour revenir au village cultiver la pomme de terre. Malheureusement en 2016, nous avons eu une attaque. Des champignons ont détruit la quasi-totalité des cultures, faisant perdre des milliards aux paysans. Mais nous continuons de nous battre avec les moyens de bord pour sortir la tête de l’eau », a-t-il révélé.

Poursuivant sa narration, Saïdou « Développé » a fait savoir que la mobilisation des populations autour du programme de la culture de la pomme de terre n’a pas été facile.

« Comme je suis né ici, je suis allé toucher tout le monde. J’ai expliqué le bien fondé de nous mettre ensemble et l’intérêt que cela peut nous faire. Et puis, j’ai démarché auprès de la Fédération pour formaliser le groupement, organiser des visites de terrain et avoir les documents nécessaires pour le démarrage. Nous avons constitué une liste de 45 personnes dont 25 femmes et désigné un bureau que nous avons soumis à la fédération. Nous avons respecté tous les engagements pris de part et d’autre. A un moment donné, nous avons même racheté les récoltes de la fédération. Et cela nous a vraiment aidés. Cela a créé un boom chez les jeunes notamment », a expliqué Saïdou « Développé ».

La pomme de terre est pour le Foutah ce qu’est l’or pour la Haute Guinée et la bauxite pour la Basse Guinée, soutient Mamadou Saïdou Baldé.

Mamadou Saïdou Baldé

Très convaincu des possibilités de croissance et de revenus qui peuvent être tirés de la pomme de la culture de ce tubercule, ce membre de la Fédération paysanne du Foutah Djallon qualifie la pomme de terre comme l’or.

« Quand la pomme de terre marche, c’est comme l’or en Haute Guinée ou la bauxite en Basse Guinée. Il suffit juste de maîtriser les techniques culturales. Avec 50 kg de semence, tu peux récolter 1 tonne. C’est une culture qui peut enrichir et nourrir son promoteur. Et mieux, la pratique de cette culture enrichit le col. Tu peux avec cela semer le riz, le maïs, après la récolte de la pomme de terre. On peut acheter les semences au marché ou s’approvisionner auprès de la fédération. On peut également conserver une partie de notre récolte pour la semence », a-t-il expliqué.

Mamadou Saïdou Baldé ne regrette pas d’être revenu au village et de se donner à la culture de la pomme de terre.

« Je ne regrette pas de rentrer au village. Je suis fier de revenir et de m’adonner à la culture de la pomme de terre. Je me suis marié et je suis père de 3 enfants. J’ai construit une maison et je suis sur la seconde bâtisse. J’ai une moto, j’ai mes animaux (moutons, chèvres et vaches) et ma plantation entre autres. Mieux, j’ai eu beaucoup de contacts à travers le pays et même dans la sous-région. Le bâtiment que vous voyez là-bas, c’est une chambre froide construite par une ONG appelée DVV internationale basée à Bamako et c’est un certain Lamine Dembélé qui était le coordinateur régional en Afrique de l’Ouest. Ils nous ont aidés et moi j’ai été formé pour être facilitateur réflexe. Nous alphabétisons les populations et nous formons la main d’œuvre sur place », a révélé cet agriculteur modèle.

Des difficultés, Mamadou Saïdou Baldé et son équipe restent confrontés au manque d’équipements agricoles, de produits phytosanitaires et d’espace aménagé.

« Grâce au Directeur préfectoral de la jeunesse de Labé qui nous a connus comme une équipe dynamique, le gouvernement du Pr Alpha Condé nous a donné un motoculteur. Après cette machine, on n’a rien d’autre. Depuis qu’on a cette machine, nous n’avons bénéficié d’aucun accompagnement ni aucune formation de la part du département. Heureusement que je suis machiniste de formation. Je réussis à l’entretenir. Et lorsque nos cultures ont été attaquées en 2016, nous avons beaucoup perdu. Et jusqu’ici, nous n’avons pas les produits nécessaires pour lutter contre ce champignon ravageur de pomme de terre. Nous avons  », a regretté Saïdou Baldé.

Avec la culture de la pomme de terre, nous gagnons notre vie, affirme M. Baldé.

Cependant et malgré ces difficultés, cet agronome se dit fier de la culture de la pomme de terre dans ce petit village qui commence à enregistrer des progrès enviables.

« Vous voyez, avec un hectare de pomme de terre, selon les calibres, vous pouvez semer jusqu’à 900 kg et obtenir quelques 20 à 30 tonnes de pomme de terre. Les gros calibres c’est entre 1200 à 1300 kg pour un minimum de 20 tonnes au rendement à l’hectare. Cela nous permet d’avoir un minimum de cinq millions de francs la tonne. Pour 20 t, vous avez banalement 100 millions de francs par récolte », a-t-il souligné.

Mais une fois de plus, Mamadou Saïdou Baldé regrette le manque de subvention aux agriculteurs. Alors que pour une campagne de pomme de terre, il suffit juste 2 mois et 2 semaines (en saison des pluies) ou 3 mois (en saison sèche). Pour inverser la tendance, cet acteur de développement formule une suggestion.

« Si nous avons très tôt la semence, et les produits phytosanitaires, cela nous met à l’abri des maladies auxquelles on est confronté. Actuellement, nous faisons de la prévention. La fédération des paysans nous donne un produit qui coûte 900 mille francs pour un hectare. Ce qui est différent des produits vendus au marché et qui ne sont pas efficaces et pas certifiés », a expliqué M. Baldé.

Passer de 500 à 1000 t de pomme de terre à la récolte, c’est l’ambition de Mamadou Saidou Baldé.

Toujours ambitieux et disponible pour le développement de la pomme de terre, Mamadou Saïdou Baldé vise à agrandir sa ferme et souhaite un appui conséquent à son groupement agricole qui produit 500 tonnes à la récolte, pour passer à plus de 1000 tonnes.

« L’une des initiatives que nous avons initiées c’est cette clôture grillagée. Avant c’était une haie que chacun de nos parents faisait. Lorsque je suis arrivé, j’ai convaincu les gens à ce qu’on se mette ensemble pour faire une clôture grillagée. Ils ont accepté. Et grâce à l’appui de l’Association d’aide au pays francophone (APF) basée à Limoges en France, dont les responsables sont Marie Paul et Jean Pierre Le Bouteiller. Ils sont même prêts à nous aider à avoir un micro barrage pour l’irrigation afin de permettre de cultiver pendant toute l’année. Ce qui nous permettra de faire 3 à 4 récoltes par an. Mieux, vous voyez, à côté, je développe l’élevage qui complète l’agriculture. Vous voyez quelque part des crottins qui fertilisent le sol. Et le bétail broute de l’herbe. Pour nous, l’élevage et l’agriculture forment une chaîne unique », a expliqué Mamadou Saïdou Baldé, alias développement qui demande aux jeunes d’accepter de revenir aux villages s’installer, investir et contribuer au développement de la localité.

« Au lieu d’aller traverser l’Atlantique ou aller à l’occident, je demande à ce que les gens rentrent au village. Mais j’ai fait 15 ans au village sans aller à Conakry. Aujourd’hui, il y a des potentialités, des opportunités et des possibilités d’investir dans nos villages. Les gens doivent accepter de revenir dans les villages pour initier, travailler, créer de l’emploi et du revenu. J’ai appris la maintenance à l’ENAM, mais je suis devenu un bon agronome, connecté à beaucoup de réseaux de développement. Et sous peu, Kouraba qui est devenu une vitrine agricole de Labé, deviendra, à coup sûr, une locomotive économique de toute la préfecture. Avant, beaucoup de ministres de l’agriculture et d’autres acteurs viennent visiter les champs de Kouraba, prochainement, nous voulons recevoir le Président de la république pour montrer que dans les villages, la vie est possible. Il suffit juste que les dirigeants et les populations conjuguent les efforts », a-t-il conclu.

Propos recueillis et décryptés par Abdallah BALDE pour Guineematin.com

Tél. : 628 08 98 45

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