Manque de fonds et de considération, textes juridiques dépassés… Elhadj Boubacar Fofana dit tout sur l’artisanat en Guinée

Elhadj Boubacar Fofana, président de la FENAG

En République de Guinée, l’artisan est un acteur économique relégué au second plan par les autorités. Pourtant, de nombreux compatriotes l’exercent, créant de la richesse et permettant de vendre l’image du pays à l’étranger. Pour évoquer les difficultés du secteur et les perspectives, un reporter de Guineematin.com a donné la parole à Elhadj Boubacar Fofana, président de la Fédération nationale des artisans de Guinée (FENAG), ce jeudi 31 août 2023.

Décryptage !

Guineematin.com : dites-nous, comment se porte actuellement l’artisanat guinéen ?

Elhadj Boubacar Fofana : l’artisanat guinéen, force est de reconnaître que si hier, cet artisanat était considéré comme un secteur informel inconnu ; aujourd’hui, tout le monde reconnaît que l’artisanat a un impact positif dans le développement économique et social de la Guinée. C’est dans ce cadre que beaucoup de travaux sont en train d’être faits. Donc, si vous me demandez, je peux dire que l’artisanat se porte bien. Pour arriver à très bien, il y a plusieurs facteurs sur lesquels il faut discuter.

Guineematin.com : le CNRD a annoncé des réformes sectorielles en République de Guinée.  Depuis l’arrivée du ministre de la Culture, du Tourisme, de l’Hôtellerie et de l’Artisanat, avez-vous avez constaté des changements positifs dans ce secteur ?

Elhadj Boubacar Fofana :  Oui ! On peut dire que le CNRD n’a pas fait un recul dans le cadre de l’artisanat. Parce que tout ce qu’il a trouvé ou ce qu’il n’a pas trouvé, il a entamé réellement une avancée, surtout dans le cadre des textes et de la restructuration. De nos jours, il y a eu l’initiative de la création de la chambre des métiers et de l’artisanat en Guinée. Je sais que le document a connu des avancées. Il y a eu des consultants internationaux, régionaux, nationaux, qui ont travaillé avec nous pour sortir un document. La deuxième chose, ils ont eu à travailler sur la lettre de politique de l’artisanat guinéen. Ça aussi, le document a été travaillé, adopté avec l’implication des acteurs. La troisième, c’est la révision du code de l’artisanat qui définit réellement les métiers et les corps de métiers. Les corps de métiers ont été portés à 40, ils étaient à 8. Et les métiers sont allés jusqu’à 285, alors qu’ils étaient au nombre de 93. Donc, ce travail de code et la révision de tous les contenus de lois, des chapitres, des articles, pour que ça s’adapte à l’économie actuelle. Puisque c’est un code qui a été fait en 1998, il doit être adapté à l’économie réelle actuelle. Donc, cette réactualisation a été effective. Après, il y a eu la continuation de la construction du centre artisanale à Boké, Kindia, Lola, et tout dernièrement à Labé. A ce niveau, Conakry même a bénéficié d’un terrain de 4 hectares et demi pour la construction du village artisanal de Conakry. En plus, nous avons, avec l’accompagnement du CNRD, continué à mener la lutte contre la contrefaçon de tous genres pour la promotion du contenu local. Ce travail, même si ça marche à petits pas, mais c’est un acte salutaire pour que l’écoulement de nos produits soit assuré. Le 6ème point, c’est la création d’un cadre de dialogue entre les artisans à travers le Conseil national de la transition (CNT) et tous les autres départements intervenants dans le secteur de l’artisanat. Ça aussi, c’est pour impliquer réellement les organisations artisanales dans les débats d’orientation budgétaire. Pour le moment, ce sont ces acquis là qu’on peut tirer comme synthèse.

Guineematin.com : malgré tous ces acquis, on ne peut pas quand même rester sans avoir des difficultés. Qu’en est-il réellement ?

Elhadj Boubacar Fofana : nous pensons qu’il y a des insuffisances. Il y a eu le déguerpissement de 50 mille artisans. Des artisans qui étaient installés au bord de la route. Tout le monde est unanime, il faut ouvrir la voie. Mais chacun ne voit pas que l’artisan est un guinéen et il est un acteur économique de grande taille de toutes les économies émergentes. Mais les autorités ne voient pas clairement cette partie. On voit simplement un petit artiste, avec un menuisier, et on l’enlève. Après, on achète le meuble importé. Ce n’est pas comme ça. Les produits sont des devises… Et la valorisation de nos produits locaux fait la redistribution des ressources internes à 90% presque. Donc, ça va sauver beaucoup de familles. Le bureau que tu reçois ou le meuble que tu reçois sauve des familles. Cela lutte contre la pauvreté. Donc aujourd’hui, ces déguerpissements ont fait de graves problèmes.  Parce que ce n’est pas seulement l’outil qui est le fonds de commerce, ce n’est pas l’argent qui est le fonds de commerce, mais c’est l’emplacement et la clientèle qui sont le fonds de commerce. Tous ces 50 milles micros entreprises ont perdu leurs repères. Si c’était concerté, ensemble, on aurait trouvé la solution, les gens allaient être déplacé avant le déguerpissement. Comme insuffisance, il y a aussi l’isolement du secteur artisanal dans l’élaboration du code des impôts. Ils ne nous associent pas pour la définition de l’assiette fiscale sur l’artisanat. Ça, c’est un élément important. On fait le code des marchés à l’image des grandes PME dont le capital en grande partie est détenu par l’étranger. Donc, on le fait à l’image de ça et on oublie que tous les revenus des artisans, c’est pour les guinéens.  On ne nous associe pas à l’élaboration du code des marchés publics. Mais on nous fait subir les faits négatifs… Le ministre du Budget, ceux qui élaborent ça, personne n’a reconnu que le secteur informel en Guinée fait plus de 60% de l’effectif des entreprises économiques, surtout dans le secteur de la production et de la transformation. Donc, il y a ce problème sur lequel on doit attirer l’attention des autorités. C’est la collaboration qui peut nous faire avancer. Même les femmes savent que 42% de leurs activités relèvent de l’artisanat. Mais comme on ne peut pas avoir les fonds de l’Etat avec le nom, je suis artisan, elles forment des groupements pour dire, nous sommes ceci, nous sommes cela. Sinon, si l’artisanat est doté d’un fonds, ça peut réellement faire avancer toutes les initiatives… C’est dans ce cadre que nous pensons que l’anniversaire du 5 septembre 2023 doit être marqué par des colloques, des conférences, de grandes concertations d’orientation économique. Il faut refaire les choses. Il faut associer tous les acteurs pour qu’on en discute. Mais, si la chambre des métiers voit le jour maintenant, ça peut résoudre pas mal de problèmes parce qu’il y a un vide juridique au niveau l’artisanat. Nous nous retrouvons réellement à la chambre du commerce, mais tout le monde sait, si on dit aujourd’hui la contrefaçon, ce sont les commerçants qu’ils font faire venir. Mais, nous qui produisons localement, ils ne vont pas prendre ça… C’est pourquoi on lance un appel au gouvernement de diligenter cette chambre des métiers. Ça va beaucoup aider la population à se développer…

Propos recueillis par Saïdou Hady Diallo pour Guineematin.com

Tel : 620 589 527/664 413 227

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