Le site d’information et d’investigation Inquisiteur.net est de nouveau accessible aux Guinéens après douze jours de blocage, grâce à un site miroir créé par Reporters sans frontières (RSF). L’organisation dénonce une censure des médias dans le pays.
À partir du 1er septembre, il était devenu impossible pour les Guinéens de se connecter au site d’information et d’investigation indépendant Inquisiteur.net. De nouveau accessible dans la matinée du 5 septembre, le site a été suspendu trente minutes après la mise en ligne de trois articles, dont l’un posait la question du respect des engagements de la junte militaire après deux ans de gouvernance. Quarante-huit heures plus tard, on pouvait y accéder seulement avec un VPN.
Depuis le 12 septembre, le site est de nouveau opérationnel via un site miroir créé par RSF. Le même dispositif a été utilisé le 30 août pour rendre accessible le site Guinée Matin, également bloqué sans raison apparente.
La suspension de médias d’information sans explication ni communication préalable est extrêmement préoccupante pour la presse en Guinée. C’est la deuxième fois en moins de deux semaines que notre organisation débloque un site en créant une copie miroir. Si les autorités guinéennes nient toute implication dans ces actes de censure, elles ont la responsabilité de tout mettre en œuvre pour identifier les responsabilités et de s’assurer que le droit à l’information est respecté dans le pays.
Contacté par RSF, le porte-parole du gouvernement et ministre des Postes, des Télécommunications et de l’Économie numérique, Ousmane Gaoual Diallo, a décliné toute responsabilité de l’État dans le blocage des deux sites. “Au contraire, si les autorités sont saisies, nous ferons des investigations. Je ne vois pas pourquoi nous bloquerions ces sites.” Interrogé à ce sujet sur Espace TV mardi 12 septembre, celui qui était considéré comme un « ennemi de la presse guinéenne« , après la série de violations de la liberté de la presse survenue dans le pays en mai 2023, a affirmé : “Quand le gouvernement décide de bloquer un site, on ne peut même pas y accéder par VPN. Si on peut passer par des méthodes de contournement, c’est qu’on ne vous a pas bloqués.” Il a également indiqué s’être “réconcilié avec la presse”.
Selon l’administrateur général du site Inquisiteur.net, Mamoudou Babila Keita, également animateur à la radio Espace FM, le blocage provient des autorités guinéennes. “Bien qu’aucune notification officielle n’ait été faite sur les raisons de cette restriction, nous avons été préalablement avertis de cette fermeture sous forme de menaces. Il nous est reproché d’être un média critique vis-à-vis du pouvoir en place, notamment à travers nos enquêtes. »
En juillet dernier, après la publication d’un article intitulé « Les mensonges d’État du CNRD [Comité national du rassemblement pour le développement, nom de la junte au pouvoir] sur les performances économiques de la Guinée », le directeur de la communication et de l’information de la junte, Moussa Moïse Sylla, également ancien associé du site Inquisiteur.net, a demandé à Mamoudou Babila Keita, par l’intermédiaire de ses collègues, le retrait de l’article, qui aurait “irrité le président de la transition”. À la suite du refus de Mamoudou Babila Keita, Moussa Moïse Sylla a demandé à le rencontrer. Au cours de l’entrevue, l’homme politique a déclaré, selon l’administrateur du média, que le pouvoir avait “les moyens de fermer le site”. Pour le journaliste, cela ne fait aucun doute : “Cette menace a été mise à exécution.”
Inquisiteur.net est le deuxième site d’information bloqué sans aucune explication ces dernières semaines en Guinée. Le 30 août, RSF a débloqué l’accès de Guinée Matin, interrompu depuis mi-août, en créant une copie miroir. Ces déblocages s’inscrivent dans le cadre de l’opération Collateral Freedom. Lancée par l’organisation en 2015, elle permet de contourner la censure sur Internet grâce à un dispositif fondé sur la technique du « miroir », consistant à dupliquer les sites censurés et à en héberger des copies sur des serveurs internationaux appartenant à des « géants » du web.
Au mois de mai, RSF dénonçait la multiplication des coupures des réseaux sociaux, des restrictions de l’accès aux médias en ligne, des brouillages radio, voire des confiscations d’équipements et des intimidations de journalistes par le pouvoir en place, à un moment où le pays connaissait un important mouvement de contestation politique. Ces entraves à la liberté de la presse étaient inédites depuis l’arrivée au pouvoir de la junte militaire.