Peut-on attaquer un décret pour une loi et vice-versa ? Dr Abdoulaye Sylla, juriste, donne des éclaircissements

Dr Abdoulaye Sylla, juriste et doyen de la facilité de recherche à l'université Général Lansana Conté de Sonfonia

L’interaction complexe entre les lois et les décrets constitue l’épine dorsale du fonctionnement d’un État de droit. Au cœur de cette dynamique se trouve la Constitution, l’acte fondamental qui redéfinit la répartition des pouvoirs au sein d’une nation. Cet article se penche sur cette relation fondamentale, éclairant les concepts clés qui relient les lois aux décrets. Pour en savoir plus, un reporter de Guineematin.com est allé à la rencontre de Dr Abdoulaye Sylla, juriste et doyen de la Faculté de recherche à l’Université de Sonfonia.

Décryptage !

Guineematin.com : La Constitution, en tant que pierre angulaire de toute nation, précise les attributions des organes politiques, que ce soit l’organe législatif ou l’exécutif. Elle crée une toile complexe de pouvoirs et d’autorités, définissant soigneusement le domaine de la loi et le domaine des règlements. Dans le domaine de la loi, la Constitution réserve certaines matières à la compétence de l’organe législatif, tandis que le reste relève du domaine réglementaire, relevant du pouvoir exécutif. Expliquez-nous un peu l’interaction qui pourrait exister entre le pouvoir exécutif et le législatif.

Dr Abdoulaye Sylla : Il y a un rapport entre les lois et les décrets. Il faut au prime abord préciser que la constitution procède à la redistribution des pouvoirs dans un État. C’est la constitution qui fixe les attributions de l’organe législatif de notre pays. C’est soit l’Assemblée nationale, soit le CNT, puisqu’on est en période de transition, et les attributions du pouvoir exécutif, c’est-à-dire les attributions du Président de la République et de son gouvernement. C’est la Constitution qui redistribue les pouvoirs entre ces deux organes politiques, à savoir : l’Assemblée nationale d’un côté et l’exécutif de l’autre. Maintenant, dans la Constitution, le plus souvent on prévoit le domaine de la loi et le domaine des règlements. Ça, c’est prévu par la loi même si la charte de la transition ne prévoit pas ça. La charte est silencieuse là-dessus. Mais, il faut savoir qu’en temps normal, les matières dans lesquelles une loi doit intervenir pour réglementer, ça c’est le domaine de la loi prévenu par la Constitution. Maintenant les autres domaines d’attribution à l’Assemblée nationale, tout ce qui n’est pas réservé à l’assemblée nationale, relève du domaine réglementaire. Donc ça relève du pouvoir du Président de la République et de son gouvernement. Ce sont les deux domaines que nous avons à ce niveau c’est-à-dire le domaine de la loi et le domaine des règlements qui sont prévus dans la Constitution.

Guieematin.com : quels sont les rapports entre les règlements et les lois ?

Dr Abdoulaye Sylla, juriste et doyen de la facilité de recherche à l’université Général Lansana Conté de Sonfonia

Dr Abdoulaye Sylla : les règlements sont par exemple les décrets, les arrêtés ministériels, ainsi de suite. C’est ce qu’on appelle les règlements. Maintenant la loi, ce sont les actes votés par les députés ou par les conseillers nationaux. A l’heure actuelle, comme on est en période de transition, c’est ce qu’on appelle les actes législatifs. Quels sont les rapports qui existent entre les règlements et les lois ? D’abord en matière de règlements, on en a deux types : il y a ce qu’on appelle les règlements d’application, une loi intervient par exemple pour réglementer dans un domaine conformément à la Constitution, mais la loi laisse la latitude au pouvoir exécutif de prendre un décret pour faciliter la mise en œuvre ou l’exécution de la loi en question. Mais ce décret-là ne doit pas contredire le contenu de la Loi. Ça doit plus aller dans le sens de faciliter l’exécution de la loi. Parce que la loi est supérieure au décret.

Le deuxième type de règlements, c’est ce qu’on appelle les règlements autonomes. C’est-à-dire que les actes pris par l’exécutif dans les domaines qui sont reconnus même s’il n’y a pas de loi qui est intervenue en amont. Maintenant restons dans le cadre des deux premiers c’est-à-dire les règlements d’application et la loi. Quels sont leurs rapports ? Le décret qui est un acte réglementaire doit se conformer à la loi qui est un acte supérieur au décret. Donc si un décret est pris en violation de la loi ou dans le domaine de la loi, en principe, ce décret-là est illégal. L’Assemblée nationale peut saisir en temps normal le juge constitutionnel pour violation de la constitution et le décret en question peut être traduit devant la Cour suprême pour illégalité. Donc ça, c’est la conséquence du respect de la loi par le secret.

Guineematin.com : Qu’en est-il de la loi qui intervient dans le domaine réglementaire ?

Dr Abdoulaye Sylla : c’est la même chose, c’est le même raisonnement. Le Président de la République, s’il pense que les députés sont interférés dans un domaine qui lui est reconnu ou réservé, il saisit le juge constitutionnel pour vérifier la conformité de la loi en question à la Constitution. Donc, si le juge constitutionnel voit qu’effectivement les députés sont intervenus dans un domaine hors des domaines qui leur sont réservés ou reconnus, on va déclarer la loi en question inconstitutionnelle. C’est-à-dire la loi a violé l’article qui prévoit la redistribution des pouvoirs entre l’Assemblée nationale et le Président de la République. La loi qui intervient dans le domaine des règlements est une loi inconstitutionnelle. Un décret qui interviendrait dans le domaine législatif, ce décret-là est inconstitutionnel et illégal à la fois. Actuellement comme on le sait tous, la constitution n’existe plus, elle est abrogée depuis le 5 septembre 2021, et la Charte qui l’a remplacée n’a pas prévu la répartition des pouvoirs entre le domaine de la loi et le domaine réglementaire. La Charte comporte des insuffisances. La Charte ne prévoit pas les matières dans lesquelles le CNT doit intervenir ou bien quelles sont les matières réservées au Président de la transition ? La Charte ne prévoit pas tout ça. Mais moi je comprends, nous sommes en période d’exception. Et vous savez, la Charte est une petite constitution qui réglemente le fonctionnement de l’Etat à minima. Donc, je comprends bien le contexte dans lequel c’est intervenu. Maintenant, qu’est-ce que je voulais préciser ? C’est qu’en temps normal, c’est la Constitution qui règle la question. Et toute autorité qui ça à l’encontre des dispositions constitutionnelles, son acte serait illégal et inconstitutionnel à la fois. Donc, la Constitution a été abrogée, deux cas de figure se présentent à nous : soit lorsque l’exécutif veut intervenir dans le domaine de la loi, dans ce cas l’exécutif prend une ordonnance. Les ordonnances sont appelées décret-loi. Et il y a une procédure en la matière, parce qu’il va demander l’avis du président du CNT ou du président de l’Assemblée nationale et les députés ou les conseillers peuvent régulariser la chose. Ça c’est une possibilité.

Guineematin.com : certains estiment que la Cour de répression des infractions économiques et financières (CRIEF), créée par un décret-loi, n’a la légalité et la légitimité pour pouvoir poursuivre des citoyens. Qu’en savez-vous ?

Dr Abdoulaye Sylla : Il y a une hypothèse que je veux d’abord soulever. C’est la coutume constitutionnelle. La coutume constitutionnelle consiste par exemple à rester par exemple dans les anciennes pratiques constitutionnelles en matière de compétences entre l’exécutif et le législatif. Comme ça la question est réglée. Textuellement, on va dire qu’il y a un vide juridique parce que ce n’est pas prévu par la Charte. Mais matériellement, on va dire qu’il y a une coutume constitutionnelle en la matière. Donc on se réfère aux anciennes lois ou aux anciennes pratiques qui montrent que telle matière et telle autre sont réservées à l’Assemblée nationale, donc le CNT se contente de ces matières-là, et le reste des matières revient aux activités réglementaires. Donc la question est réglée si le curseur est placé sous l’angle de la coutume constitutionnelle. Maintenant pour revenir à votre question, comme je disais tantôt, nous sommes dans un Etat de droit. Et dans un Etat de droit, il y a une échelle de normes qui sont superposées. Les normes inférieures doivent rester conformes aux normes supérieures. Quand vous prenez dans d’autres pays, la Constitution est supérieure à toutes les normes juridiques internes de l’Etat. Ensuite viennent les lois organiques. Les lois organiques à leur tour, sont supérieures aux lois ordinaires. Les lois ordinaires sont supérieures aux secrets. Donc ce qui veut dire que les lois organiques sont n’ont seulement supérieures à la loi ordinaire mais elles sont supérieures aux ordonnances qui sont en d’autres termes appelées les décrets lois.

Guineematin.com : merci Dr Abdoulaye Sylla de votre disponibilité.

Dr Abdoulaye Sylla : c’est moi qui vous remercie d’être venu.

Mamadou Laafa Sow pour Guineematin.com

Tél : 622919225

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