Allah Lé Kabon : Nanfo Ismaël Diaby raconte le début de ses prières en langue Maninka

Nanfo Ismaël Diaby, chroniqueur et promoteur de l'écriture N'ko

Pour la première fois, en 2019, les guinéens découvrent sur les réseaux sociaux la prière musulmane dans une autre langue que l’Arabe. Il s’agit d’une petite vidéo publiée sur Facebook dans laquelle on voit clairement des fidèles musulmans, priant derrière un imam qui utilise le Maninka dans la lecture des versets du saint Coran.  C’était lors de la prière surérogatoire nocturne pendant le mois de ramadan, dans une mosquée du quartier Bordo, dans la commune urbaine de Kankan. L’imam en question, jusque-là peu connu,  est Nanfo Ismaël Diaby, un chroniqueur et vulgarisateur de l’écriture N’ko, ainsi que guérisseur traditionnel. En conférence de presse ce mercredi à l’occasion de la journée internationale des langues maternelles, le controversé imam est revenu sur son aventure,  depuis le début de ce qui lui a valu des ennuis judiciaires, rapporte un des correspondants de Guineematin.com basé à Kankan.

Après des années de difficultés, entre les sanctions des autorités religieuses, de la notabilité de Kankan, des autorités judiciaires du pays et les attaques physiques contre sa personne, sa famille et ses collaborateurs, Nanfo Ismaël Diaby semble avoir courbé l’échine. Du moins publiquement, car il continue toujours d’officier les prières en langue Maninka.

Interrogé sur son odyssée, Nanfo est revenu sur l’historique de sa trouvaille. « On a traduit le Coran en N’ko, on l’a lu jusqu’à le maîtriser.  Puis en 1997, on a commencé à prier en Maninka. À l’époque, les gens ne nous considéraient pas, ils se moquaient même de nous, pensant que nous n’allions pas continuer. Mais malgré cela, je me rendais dans les mosquées, je faisais des sermons sans problème. Cependant, il y a eu un moment où cela devenait difficile de discuter avec les gens. C’est alors que j’ai écrit un livre sur la manière de prier, d’abord en Arabe, puis traduit en N’ko. Les gens disaient que celui qui prie en Maninka rédige des écrits en arabe. J’ai expliqué à l’époque que c’était normal, c’était pour aider les gens à comprendre la prière dans leur langue. Lorsque je discutais avec les gens sur la prière en Maninka, je voyais que cela créait des tensions. Alors, j’ai décidé de mettre un terme à la controverse. Lorsque des gens ont compris et adhéré à ce que nous faisions, nous avons rendu cela public en 2019. Si vous constatez que tout le monde en parle, c’est parce que c’est l’ère des réseaux sociaux, sinon cela a commencé il y a longtemps », a-t-il déclaré.

Par ailleurs, Nanfo explique que la vidéo qui l’a fait connaître a été publiée sur les réseaux sociaux à son insu. « Je ne savais pas que la vidéo avait été publiée. Nous avons un ami du nom de Lancinè, c’est lui qui l’a publiée, nous ne savions pas que cela allait poser problème. À l’époque, nous pensions que Facebook était juste pour s’amuser, mais nous ne savions pas que nous venions de commencer quelque chose de compliqué. Maintenant, les gens ont commencé à nous appeler, d’autres se moquaient de nous. Cependant, au fil du temps, ils ont compris que nous étions déterminés à aller jusqu’au bout. C’est dans ce contexte que nous avons été convoqués à la grande mosquée. Je jure que lorsque les sages ont parlé, nous avons promis de ne plus rendre publique notre prière en Maninka. Nous étions prêts parce qu’ils ne nous ont pas parlé du Coran ni des hadiths, mais plutôt ils ont dit que nous sommes leurs fils. Cependant, dans l’assemblée, il y avait des wahhabites, ceux qui soutiennent financièrement la notabilité et qui promeuvent également la langue et la culture arabe. Quand on leur a donné la parole, ils ont dit qu’ils n’étaient pas d’accord, que nous manquons de respect à la notabilité, affirmant que j’avais dit que la notabilité n’était pas instruite. Ils ont déclaré que s’il s’agissait d’une question de hadiths, ils en avaient beaucoup. Les maîtres enseignants de N’ko qui étaient avec nous ont également répliqué, car les gens pensaient que c’était une affaire de N’ko, uniquement liée à Nanfo. Pourtant, il y a des personnes plus instruites en N’ko que moi ici à Kankan. Il n’y a nulle part dans le Coran où Dieu a dit que pour m’adorer, il faut le faire dans une telle ou telle langue, cela n’existe pas. De plus, le fait de rendre publique la prière en Maninka a beaucoup contribué à l’épanouissement et à l’extension du N’ko. Un jour, quelqu’un m’a appelé de Russie pour me montrer à la télévision parlant de moi. Les Russes ont déclaré que les Noirs commencent aussi à comprendre la vie. C’est un privilège que Dieu nous a accordé, que nous ne refuserons pas », a-t-il conclu.

De Kankan, Abdoulaye N’koya SYLLA pour Guineematin.com

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