Analyse croisée sur la Décision N° 015 de la HAC du 7 septembre 2015 et la Déclaration de l’URTEGUI

Mohamed Camara, consultant juridique, professeur d'Universités en Guinée, ConakryRemarques sur la forme :

  • Elle comporte 49 articles (trop pour une décision administrative connue sous le nom d’acte administratif unilatéral) ;
  • Elle a été prise avant même la date d’ouverture officielle de la campagne alors qu’elle prend effet à compter de sa date de signature. C’est précipité et elle a désobéi à la hiérarchie des normes étant donné qu’un Décret est de loin supérieur à une Décision en application de l’article 9 du Code Civil.

Remarques sur le fond :

  • Concernant les points positifs de la Décision :
  • C’est une alerte précoce pour en appeler à la responsabilité sociale des journalistes, d’où son approche par la prévention. Qu’il en soit vivement ainsi.
  • L’invite faite aux journalistes à plus de prudence et de retenue par rapport à la communication sur les résultats par voie de presse étant donné qu’on assiste présentement à la création d’un collectif de journalistes qui a ouvertement affirmé soutien à un candidat en lice (soit dit en passant).
  • Concernant les points négatifs de la Décision :
  • La Décision interdit toutes les émissions interactives sous prétexte qu’il y a des dérapages. Elle engage les médias qui ont voulu souscrire comme si elle n’a pas vocation à faire de la régulation pour ceux qui n’ont pas voulu souscrire. Certes, il y a quelques dérapages. Mais, le dérapage de quelques auditeurs ne justifie en rien que l’immense majorité des citoyens soient privés de cette forme de liberté d’expression. La HAC a dressé là un bon diagnostic tout en préconisant un mauvais remède. Elle se devait de monter des projets avec une levée de fonds auprès de l’Etat et des Partenaires Techniques et financiers. Accentuer l’ingénierie de la formation des animateurs pendant un mois, doter les stations de radio d’équipements pour les besoins de la cause.

Pourquoi prendre une Décision sur une campagne électorale alors que la Loi 002 du 22 juin 2010 portant Liberté de la Presse balise très bien cette période ?

  • Cette Décision peut nourrir la crainte d’un musèlement des citoyens à la base en laissant place aux quasi- monologues sur les programmes de société. Elle peut créer une uniformisation ou une homogénéité de l’information censée pourtant être plurielle.
  • Elle peut étouffer les initiatives de la Société Civile, relatives au développement du civisme en période électorale et post électorale par le biais d’émissions interactives.
  • Elle fait naître des risques d’opacité dans la gestion du processus électoral surtout par rapport à la communication des résultats. Il est vrai que c’est à la CENI de proclamer les résultats provisoires en vertu de l’article 163 de la Loi électorale et à la Cour Constitutionnelle de proclamer les résultats définitifs sur fondement de l’article 183 de la Loi électorale.

Que faire du rôle de la presse à communiquer bien sûr avec méthode, les résultats affichés au Bureau de vote en application de l’article 82 de la Loi électorale, pour plus de transparence ?

  • Cette Décision est de nature à restreindre également le champ d’action des Opérateurs Téléphoniques. Un candidat a tout à fait le droit de passer par un opérateur téléphonique pour communiquer sur son programme de société. Cette action sera génératrice d’argent à la Société et à l’Etat.

Il faut que « le pouvoir arrête le pouvoir » !

La Déclaration N° 1 de l’URTELGUI à la suite de la Décision N° 015 de la HAC : entre obéissance institutionnelle de charme et désobéissance civile en pratique.

Tel un dilemme cornélien.

  • Elle met en garde toute personne qui interpréterait mal la Décision de la HAC en s’attribuant de fait, le titre de porte parole de la HAC ;
  • Elle met en garde subrepticement la HAC contre toute velléité liberticide ;
  • Elle fait mine de ne pas se sentir concernée par la Décision de la HAC tout en optant pour une désobéissance civile. S’il est vrai que « nul n’est tenu d’exécuter un ordre manifestement illégal » en application de l’article 6 alinéa 4 de la Constitution, il n’en demeure pas moins d’explorer les voies de recours juridictionnelles pour faire cesser les effets d’un acte administratif unilatéral qui violerait le droit d’une personne ayant le droit, la qualité, la capacité et l’intérêt d’agir sur le fondement de l’article 9 du Code de Procédure Civile. C’est comme cela qu’on aide à construire un Etat de Droit.
  • Quand un acte administratif unilatéral est pris, il bénéficie du principe du privilège du préalable, c’est-à-dire qu’il produit ses effets jusqu’à ce que la Justice saisie, arrête ses effets en l’annulant par exemple pour cause d’illégalités (internes ou externes) ou pour cause d’excès de pouvoir. Ceci est d’autant plus important que l’URTELGUI accepte volontiers d’inviter ses membres à surseoir aux émissions interactives jusqu’à la proclamation des résultats. Décision perçue et dénoncée subrepticement en amont comme liberticide.

Vivement, pour plus de Démocratie et d’Etat de Droit.

Pour ce faire, chaque citoyen a le devoir de promouvoir les valeurs démocratiques en application de l’article 22, alinéa 2 de la Constitution.

Mohamed CAMARA, Chargé de Cours de Droit dans les Universités

 

 

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