Quelle Banque Centrale pour la Guinée ? (Par Safayiou Diallo)

Mamadou Safayiou DIALLO, analyste Economique

L’objectif de cet article est de poser quelques questions jugées pertinentes, selon l’auteur, afin d’éclairer la lanterne des décideurs politiques et l’opinion publique sur les véritables enjeux des reformes à engager dans les domaines monétaire et financier.

Toutefois, il faut avoir le courage de reconnaître les résultats obtenus par la Banque Centrale de la République de Guinée(BCRG) dans ses domaines d’intervention réglementaire tels que : le contrôle de l’inflation via une bonne conduite de la politique monétaire, la gestion efficiente des réserves de change de la nation et la surveillance du système bancaire…

Quel type de Banque Centrale voulons-nous pour notre pays (indépendante ou dépendante de l’Etat) ? De cette question principale résulte un certain nombre de questions spécifiques :
Quel objectif pour la Banque Centrale dans la promotion d’un véritable développement socio-économique durable ? Quelle politique monétaire dit-elle conduire dans le cadre de l’atteinte de l’objectif de stabilité des prix ? Quelle politique de change promouvoir afin d’assurer la stabilité du taux de change ? Enfin, quel rôle pour la Banque Centrale dans la satisfaction des engagements pris par la Guinée dans le cadre de la Zone Monétaire Ouest Africaine (ZMAO) ?

Ces questions sont importantes car, diverses réformes menées en Guinée depuis l’indépendance à la fois par les Gouvernements successifs et par les partenaires au développement tels que le FMI et la Banque Mondiale ont échoué à cause d’un examen insuffisant de certains paramètres.

Par ailleurs, nous invitons le lecteur à pardonner l’absence d’une réponse exhaustive à chacune de ces questions soulevées ci-dessus, car comme le soulignait Badara Dioubaté (2004), un des principaux rôles de l’économiste est de savoir poser des questions qu’il juge pertinentes pour l’amélioration de la visibilité, sans pour autant prétendre apporter des solutions « miracles » qui n’existeraient pas dans l’absolu.

Pour revenir à la question principale soulevée, question qui nous parait extrêmement importante dans la mesure ou toute réforme de la Banque Centrale doit commencer par le choix d’un statut clair concernant son autonomie (qui peut être totale ou partielle) ou son absence d’autonomie (dépendance totale) vis-à-vis de l’Etat.

A ce niveau, le véritable problème ne réside pas dans le fait que la BCRG soit dépendante de l’Etat, car dans de nombreux pays dits développés et en développement, dont les Banques centrales sont dépendantes des Etats (Badara Dioubaté, 2007).

Aux Etats-Unis par exemple, la Banque Centrale est plus indépendante et plus démocratique qu’en Europe et que dans un certain nombre de pays. Deux fois par an, le responsable de la Banque Centrale doit faire un rapport d’activité devant le Congrès.

En dépit de tout cela, un ancien responsable de la Fed, dans un discours célèbre, dit à peu près : « le Congrès nous a créés, le Congrès peut nous détruire ». Autrement dit, bien qu’indépendante, la Fed a une certaine sensibilité politique beaucoup plus qu’un grand nombre de Banques Centrales, notamment la Banque Centrale Européenne (Joseph Stiglitz, 2004).

Dans le même sillage, il convient de souligner que cette question d’indépendance, porte également sur le mode de nomination des dirigeants de la Banque Centrale.

En observant, les statuts des reformes de 2009, on se rend compte que le mode de désignation du conseil d’administration viole le principe d’indépendance des dirigeants. En effet, lors des réunions du conseil, les positions exprimées par ces sept (7) membres désignés par de hauts responsables de l’administration pourraient, avec une forte probabilité, refléter celles de leurs départements respectifs, même si ces positions ne sont pas conformes aux textes des statuts.

Dans les statuts de 2009, le nombre de membres du conseil est ramené à sept (7), dont le Gouverneur (Président du CA) et les deux Vice-gouverneurs. Les quatre (4) autres membres sont nommés par décret du Président de la République sur proposition conjointe du Ministre en chargé de l’Economie et des Finances et du Gouverneur de la BCRG à raison de deux par institution. Cette restructuration a l’avantage de réduire les interférences éventuelles des autres structures de l’administration publique, tout en contribuant au renforcement de la coordination des politiques budgétaire et monétaire.

S’agissant de la question qui porte sur l’objectif de la Banque Centrale, la BCRG à l’image de la Banque Centrale Européenne (BCE), a pour mission de mettre l’accent sur la lutte contre l’inflation. Nonobstant, la lutte contre l’inflation ne constitue pas une fin en soi, elle n’est qu’un moyen permettant d’aller vers une croissance économique plus stable.

Aux Etats-Unis, la Fed, a pour mission de s’intéresser à l’inflation, mais aussi au chômage et à la croissance . Lorsque Stiglitz présidait le conseil économique du président Clinton, le sénateur de Floride, a proposé que l’on change la charte de la Fed. Il voulait que cette dernière ne s’intéresse uniquement qu’à l’inflation comme les Européens. Stiglitz a dit au président qu’ils allaient mettre ce projet dans la campagne, en demandant aux électeurs si le chômage est ou non intéressant ? Le peuple américain pense-t-il que la Fed ne doit s’intéresser qu’à l’inflation ou pense-t-il que l’emploi, le chômage sont importants aussi ?

Au finish le président s’est exprimé, et le sénateur de Floride a répliqué qu’il disait ça pour plaisanter. Evidemment, cette idée est tombée à l’eau très rapidement. Il n’y a pas eu de débat sérieux au Sénat quant à un amendement de la charte de la Fed.

En plus de l’objectif de stabilité la Banque Centrale de la République de Guinée devrait combattre véritablement le chômage, parce que si une personne perd son emploi, ça aura de conséquences néfastes pour elle, et sa famille toute entière.

Certes il faut mentionner que les économistes ont des points de vue différents sur cette question. Ceci est dû au fait que les responsabilités définissent dans une large mesure les points de vue des uns et des autres. Dans la plupart des cas, les travailleurs n’ont pas leur mot à dire sur la politique monétaire.

Pourtant un certain nombre de pays a tenu compte de cette limite. En Suède par exemple, un représentant des travailleurs fait partie du conseil de la Banque Centrale. On y entend ainsi une voix qui s’exprime en faveur de la lutte contre le chômage.

De plus, il faut bien voir une chose assez malheureuse, les banquiers centraux se sont drapés de compétences qui, en réalité, n’existent pas. Dans la plupart des pays, ce ne sont pas forcément les meilleurs économistes qui sont les mieux placés pour formuler des jugements en matière de macroéconomie (Joseph Stiglitz, 2004).

Le résultat de tout ça, c’est qu’un grand nombre de banques centrales ne produisent ni la stabilité ni la croissance. Si l’on regarde différents pays, on s’aperçoit que, pour la plupart, les banques centrales indépendantes qui mettent l’accent sur l’inflation ont réussi à réduire cette dernière. Mais la question est de savoir si la croissance s’est accélérée. Est-ce que les salaires ont augmenté ? Est-ce que le chômage a baissé ? Est-ce que la performance réelle est meilleure ?

Concernant la question relative à la conduite de la politique monétaire elle fera l’objet d’une prochaine communication. Pour dire quelques mots concernant les deux dernières questions sans pour autant abuser du temps du lecteur.

S’agissant du taux de change, en Guinée, le véritable problème au niveau de la politique de change est celui d’une insuffisance chronique des réserves de change de la BCRG afin de défendre sur les marchés monétaires, la valeur externe de notre monnaie (le taux de change). En effet, à l’image de divers pays depuis la fin effective du système de Bretton Woods en 1973 (accords de Washington), l’adoption du système de change flottant impur par la Guinée exige la détention de réserves de changes.

En Guinée, la restauration de la valeur extérieure de la monnaie guinéenne qui est le taux de change ne sera effective à moyen et long terme qu’en résolvant le problème de notre déficit commercial structurel. En effet, à l’image de divers pays les moins avancés(PMA), caractérisés par l’existence des déficits jumeaux (budgétaire et commercial) avec une absence ou faiblesse durable du taux de croissance économique (donc de la production), la pression exercée par la demande de devises des opérateurs économiques en contrepartie du Franc Guinéen en vue d’importations massives, fera toujours grimper le niveau du taux de change, en affaiblissant la monnaie nationale dont l’offre est abondante.

Revenant sur la dernière question soulevée, il est important que la Guinée que notre pays, à travers la BCRG, arrive à respecter les engagements pris. Cependant, comme l’universitaire est neutre, cela ne signifie en aucun cas une prise de position défensive de ma personne à l’égard du projet de la ZMAO; car, à mon humble avis il doit être publiquement discuté en vue d’une identification sérieuse des coûts d’opportunité futurs pour la Guinée sans pour autant commettre la même erreur que nos confrères de l’UEMOA et de la CEMAC car, on a quitté le franc français pour l’Euro sans qu’aucun Etat, aucun parlement ne soit prévenu alors qu’en France cela a fait l’objet d’un grand débat.En s’engageant dans un tel projet, les autorités monétaires renoncent à l’utilisation souveraine de la politique monétaire et de change dans la lutte contre les chocs exogènes.

En somme, l’analyse des statuts la BCRG révèlent que les textes juridiques ne suffisent pas pour asseoir les bases d’une indépendance sans leurs applications rigoureuses.

Pour mener à bien son activité, la Banque Centrale doit émettre des bons BCRG, afin de renforcer son indépendance opérationnelle en utilisant ses propres titres comme moyen de régulation de la liquidité bancaire en lieu et place des bons de trésor. Mais jusqu’à présent la BCRG n’a pas fait usage de ce nouvel instrument.

Comme instruments indirects de régulation de la liquidité la BCRG a opté pour le maniement des taux directeurs, l’open market et les réserves obligatoires. S’agissant du taux directeur, le niveau de 12,5 % fixé par la BCRG paraît particulièrement élevé, surtout dans un contexte de ralentissement de l’inflation. Une baisse sensible devrait être envisagée par la Banque Centrale en réduisant par exemple le taux directeur de moitié pour le porter à 6,2 % afin de favoriser la relance des activités économiques des PME.

Par ailleurs il est important dans le cadre de la politique monétaire de donner priorité aux financements des investissements productifs. En effet, l’économie ne trouvera des sentiers d’expansion forte dans des conditions de stabilité des prix sans un meilleur accès des entreprises nationales à des lignes substantielles de crédit pour faire face à leurs énormes besoins d’investissement. Tant il est vrai que la structure des crédits en Guinée montre la place de second rang réservée au financement des investissements productifs et à contrario l’importance des crédits à la consommation.

La Banque Centrale doit continuer à respecter le niveau statutaire des avances (20% des recettes fiscales de l’année t-1) qu’elle est habilitée à accorder au trésor public. Le respect de cette norme contribue à aligner la croissance de la masse monétaire à celle du PIB.

Ainsi, l’Etat doit poursuivre et généraliser le paiement des salaires des fonctionnaires par virement bancaire. La Banque Centrale et le gouvernement doivent s’assurer que les fonctionnaires disposent des comptes bancaires dans les conditions satisfaisantes mais surtout que les banques commerciales sont capables d’accueillir des nouveaux clients avec un nombre suffisant de distributeurs automatiques de billets afin d’éviter des paniques et des files d’attente interminables devant les banques.

 

Mamadou Safayiou DIALLO
Analyste Economique
Enseignant-Chercheur
Membre du Centre de Recherche en
Economie du Développement(CRED)

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