Plus de 84% d’échec au BEPC en Guinée : Pépé Balamou du SNE accuse les autorités d’être « coupables et comptables »

Michel Pépé Balamou, secrétaire général du SNE

Comme annoncé précédemment, le ministère de l’enseignement pré-universitaire et de l’alphabétisation (MEPU-A) a publié lundi dernier, 04 juillet 2022, les résultats du brevet d’études du premier cycle (BEPC) en Guinée. Ces résultats font état de 15,04% de réussite sur toute l’étendue du territoire national. Ce qui constitue une nette dégringolade du taux d’admission à cet examen, comparativement à l’année dernière où le taux de réussite était 35,08%.

Au sein de l’opinion, tout le monde s’interroge sur les causes d’un tel « échec national » au BEPC. Mais, dans un entretien accordé à Guineematin.com hier, mardi 05 juillet 2022, Michel Pépé Balamou, le secrétaire général du syndicat national de l’éducation (SNE), a attribué cet échec aux autorités en charge de l’enseignement pré-universitaire qu’il accuse d’être dans une logique de remise en cause des acquis du système éducatif guinéen.

« Les résultats du BEPC ont été proclamés dans la continuité de la programmation décroissante des taux de réussite des examens nationaux session 2022… Ce qui s’inscrit en droite ligne de la remise en cause des acquis de notre système éducatif depuis les 20 dernières années. Au lieu de capitaliser et renforcer ces acquis, on est en train de montrer à la face du monde que l’école guinéenne était absente ces 20 dernières années. C’est-à-dire que la formation est inexistante, les enseignants n’ont aucun niveau, les apprenants ne sont pas dignes de la formation qu’ils reçoivent, le système est caractérisé par une déliquescence et il faut remettre en cause tous les fondamentaux. Mais, laissez-moi vous dire aujourd’hui qu’on ne va plus réinventer la roue… Les maux de notre système éducatif sont connus, on n’a rien à réinventer. Il suffit juste de la volonté politique, de l’accompagnement financier, pour mettre en œuvre toutes les recommandations issues des différents travaux réalisés par les différents régimes sur les véritables problèmes de notre système éducatif. Maintenant, si on laisse tous ces documents et qu’on se lance dans une opération de charme au relent populiste et propagandiste qui n’a pour objectif que de remettre en cause tous les acquis du système éducatif, je pense que cela n’est pas de bonne foi », a indiqué Michel Pépé Balamou.

A en croire le secrétaire général du SNE, l’analyse des résultats du BEPC de cette année montre une réelle disparité entre les écoles privées et publiques d’une part ; et, Conakry et l’intérieur du pays, d’autre part.

« On dit 15,04% de taux d’admission. Et, aujourd’hui, vous avez des écoles privées qui affichent 100% d’admis. Ça donne l’impression qu’on n’est pas dans le même pays. Parce que le fossé est tellement océanique qu’on ne peut pas imaginer que dans de telle sévérité dans l’organisation des examens, dans ce climat psychologique de militarisation à outrance des centres d’examens, qu’une école puisse faire 100% et que la moyenne nationale soit à 15,04%. Ça pose un véritable problème de privatisation de l’enseignement en république de Guinée et de fort risque de disparition des écoles publiques. Parce que les gens seront obligés de scolariser leurs enfants dans les écoles privées. Mais, il y a aussi cette disparité entre Conakry et l’intérieur du pays. Vous avez 23210 admis au BEPC sur toute l’étendue du territoire ; et, parmi ces admis, Conakry seul 13469. Donc, c’est plus de la moitié des admis que Conakry a eu, alors que des préfectures comme Dinguiraye n’ont eu qu’un seul… Comment expliquer cette disparité, alors que ce sont les écoles de la même république ? Ça veut tout simplement dire qu’à l’intérieur du pays, il n’y a pas d’enseignants. Lorsque les gens y sont affectés, ils n’y vont pas ; et, l’Etat ne fait pas de la pression administrative pour que les gens regagnent leurs postes. Comment pouvez-vous attendre de bons résultats d’un enseignant qui dispense trois à quatre cours différents, par manque d’enseignants ? », a relevé Michel Pépé Balamou.

Pour ce leader syndical de l’éducation, l’organisation des examens de cette année a été marquée de « propagande, de tintamarre, de psychodrame ». Il assure que les élèves de cette année ne sont pas mauvais ; et, ceux qui les blâment aujourd’hui sont des gens qui ont eu leur BAC dans le « climat de pagaille, de fraude généralisée, de substitution de copies » entre 2000 et 2005.

« Quand vous prenez des policiers, des gendarmes, vous les placez par-ci, par-là, vous mettez la main des enseignants sur le Coran et la Bible sous les yeux des enfants, ça crée un psychodrame, un traumatisme psychologique et la peur chez l’enfant. Et, tout ça ne peut donner que de pareils résultats. Également, la formulation des sujets et leurs contenus, le temps que les surveillants ont eu pour recopier les sujets au tableau était décevant… Et, l’autre analyse que je vais faire, c’est par rapport à la qualification du système éducatif et ce que les uns disent. Ceux qui sont aujourd’hui ministres et directeurs, dans la plupart des cas, ce sont des gens qui ont eu leur BAC entre 2000 et 2005. Et, nous savons tous qu’entre 2000 et 2005, c’était la période de l’organisation des examens avec des fraudes à ciel ouvert. C’est en ce moment que les sujets ont tellement fuités qu’on les a retrouvés à Avaria (un marché de Conakry)… Je veux tout simplement dire que tous ceux qui sont en train de dénoncer et de faire la morale aux enfants aujourd’hui sont ceux-là qui ont eu le BAC dans ce climat de pagaille, de fraude généralisée, de substitution de copies. Donc, à force de vouloir saboter notre système d’enseignement, ils sont en train de remettre en cause leurs compétences, leur moralité et leurs diplômes. Les enfants de la session 2022 ne sont pas de mauvais élèves ; et, ces résultats sont ceux du ministère de l’enseignement pré-universitaire qui n’a rien fait pour qualifier la formation des enfants. Je pense qu’ils (le MEPU-A) doivent se sentir coupables et comptables de ces résultats-là avant d’accuser ceux qui sont venus avant eux », a indiqué Michel Pépé Balamou.

Par ailleurs, le secrétaire général du SNE a laissé entendre que le taux élevé d’échec aux examens nationaux auront d’énormes conséquences sur la prochaine année scolaire en Guinée.

« Ces résultats auront forcément des conséquences dramatiques sur la performance des enfants, mais aussi les enseignements et les apprentissages. Et, la première conséquence, c’est en termes d’enseignants… Parce que l’année prochaine, les classes vont doubler. Une école qui avait quatre classes de 10ème année va se retrouver avec 6 ou 8 classes de 10ème. Parce qu’il y a ceux qui quittent la 9ème année pour la 10ème et ceux qui ont redoublé la 10ème année. Cela va forcément engendrer un manque d’infrastructures scolaires. Donc, le problème de salles de classe va se poser dans certaines écoles. Il faut aussi s’attendre à l’abandon scolaire des enfants. Mais, au niveau des jeunes filles également, il faut s’attendre à des mariages précoces voire forcés à cause de ces échecs-là », a dit Michel Pépé Balamou.

Mamadou Baïlo Keïta pour Guineematin.com

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