Déficit d’enseignants : les chiffres du ministre Guillaume Hawing sont faux, indique Pépé Balamou du SNE

Michel Pépé Balamou, secrétaire général du Syndicat National de l'Education

« Depuis 2019, il a été révélé au grand public l’inexistence de 19 292 enseignants dans les 114 000 écoles primaires publiques et les 740 écoles secondaires dont 85 lycées publics sur toute l’étendue du territoire national. Et, si aujourd’hui on nous parle de 15 801 de déficit d’enseignants, je pense qu’il y a une guerre de chiffres qui ne dit pas son nom. Et, cela décrédibilise davantage le travail qui est fait actuellement par rapport à la remontée des statistiques en termes de manque d’enseignants. De 2019 à 2022, combien d’enseignants sont admis à faire valoir leur droit à la retraite et qui n’ont pas été remplacés ? Combien d’enseignants sont décédés ? Combien d’enseignants ont bénéficié des décrets des présidents de la République ? Combien d’enseignants se trouvent dans les instances internationales ? Il y a combien de gens qui ne sont pas au pays, mais qui sont comptés dans le fichier général de l’administration au niveau de l’éducation ? Donc, nous pensons que le ministre [Guillaume Hawing] fait une fuite en avant en voulant dédramatiser le déficit d’enseignants », a notamment relevé Michel Pépé Balamou, secrétaire général du syndicat national de l’éducation (SNE).

En conférence de presse mardi dernier, 06 septembre 2022, le ministre de l’Enseignement pré-universitaire et de l’alphabétisation, Guillaume Hawing, a annoncé que 2 440 enseignants seront redéployés dans les salles de classe pour la rentrée scolaire 2022-2023. Ce redéploiement s’inscrit dans le cadre de la normalisation du personnel enseignant dans les établissements scolaires et les structures centrales et déconcentrées de l’éducation en Guinée. Il vise surtout à atténuer le manque criard d’enseignants au sein des établissements d’enseignement pré-universitaire du pays. Mais, pour Michel Pépé Balamou, ce redéploiement annoncé est « un leurre ». 

Joint au téléphone par un journaliste de Guineematin.com ce jeudi, 8 septembre 2022, le secrétaire général du syndicat national de l’éducation (SNE) a indiqué que ces 2 440 enseignants sur lesquels misent les autorités éducatives n’existent que sur le papier et ne reflètent pas la réalité du terrain. D’ailleurs, le syndicaliste assimile cette mesure à « de l’amateurisme, du populisme… ». Il invite donc les autorités à avoir l’honnêteté intellectuelle d’avouer leur échec dans la gestion du système éducatif guinéen.

Selon le ministre de l’Enseignement pré-universitaire et de l’alphabétisation, un travail technique effectué sur le terrain par des équipes de son département a permis d’évaluer dans les concessions scolaires « les besoins incompressibles en enseignants à 15 801 pour la rentrée scolaire 2022-2023 » en Guinée. Et, le même travail a aussi permis de connaître « un total redéployable de 2 440 enseignants dans les salles de classe » pour la prochaine rentrée scolaire dans le pays. Mais, pour le secrétaire général du SNE, cette communication du ministre Guillaume Hawing révèle tout d’abord « une guerre de chiffres » sur le déficit d’enseignants dans les écoles.

« Depuis 2019, il a été révélé au grand public l’inexistence de 19 292 enseignants dans les 114 000 écoles primaires publiques et les 740 écoles secondaires dont 85 lycées publics sur toute l’étendue du territoire national. Et, si aujourd’hui on nous parle de 15 801 de déficit d’enseignants, je pense qu’il y a une guerre de chiffres qui ne dit pas son nom. Et, cela décrédibilise davantage le travail qui est fait actuellement par rapport à la remontée des statistiques en termes de manque d’enseignants. De 2019 à 2022, combien d’enseignants sont admis à faire valoir leur droit à la retraite et qui n’ont pas été remplacés ? Combien d’enseignants sont décédés ? Combien d’enseignants ont bénéficié des décrets des présidents de la République ? Combien d’enseignants se trouvent dans les instances internationales ? Il y a combien de gens qui ne sont pas au pays, mais qui sont comptés dans le fichier général de l’administration au niveau de l’éducation ? Donc, nous pensons que le ministre [Guillaume Hawing] fait une fuite en avant en voulant dédramatiser le déficit d’enseignants », a déclaré Michel Pépé Balamou.

Pour le leader syndical, aucun recensement sérieux ne peut se faire au niveau de l’éducation en période de vacances. Et, les chiffres annoncés par le ministre de l’Enseignement pré-universitaire sont erronés.

« Le problème est que les chefs d’établissements, les DPE, les agents des ressources humaines, sont ceux-là qui sont complices des enseignants qui sont dans le fichier de l’éducation, mais qui travaillent ailleurs. Vous avez aujourd’hui beaucoup d’enseignants qui travaillent dans les mines, dans les sociétés industrielles, dans les banques, mais qui ont leurs noms avec les chefs d’établissements et les agents des ressources humaines qui viennent négocier pour leur donner soit un tiers de leur salaire ou pour leur trouver des assistants qui viennent enseigner à leur place pour sous-traitance. Alors, comment voulez-vous que ceux-là qui sont en sous-traitance, en complicité avec des gens qui sont au compte de l’éducation, mais qui travaillent ailleurs, puissent remonter dans un bref délai des statistiques fiables portant sur le nombre d’enseignants en situation de classe et le nombre d’enseignants en termes de déficit ? Ce n’est pas possible. Donc, les 2440 supposés être enseignants disponibles pour aller enseigner en classe n’existent que sur le papier. Parce qu’il n’y a pas eu d’appel nominatif, il n’y a pas eu d’appel physique pour dire que nous avons contrôlé et que nous avons vu ces 2440 enseignants qui sont aptes physiquement, didactiquement, pédagogiquement, académiquement à enseigner. Je pense qu’il ne faut pas tourner autour du pot », a dit Michel Pépé Balamou.

A en croire le secrétaire général du syndicat national de l’éducation, les autorités éducatives ont déjà à portée de main une solution pour atténuer, voire pallier le manque criard d’enseignants dans les écoles du pays. Mais, visiblement, elles préfèrent se tourner les pouces pour faire appel à des cadres qui n’existent pas physiquement.

« Nous avons 1 587 enseignants contractuels qui, depuis 2018, continuent d’enseigner dans les écoles de la république. Ils sont même des directeurs d’écoles, des principaux, des professeurs principaux. Mais, pourquoi ceux-là ne peuvent pas être utilisés, ne serait-ce que pour les contractualiser pour trois ans ? Parce que la meilleure façon de recruter un enseignant, c’est de le trouver en pratique de classe, le soumettre à des inspections sommatives, formatives et régulatrices. Et, au fur et à mesure, pendant les trois ans, on peut facilement connaître ceux qui sont vraiment compétents. Et, on les engage graduellement à la fonction publique… Mais, si on laisse tout cela pour se lancer dans la recherche de cadres qu’on n’a pas vu physiquement, dont les statistiques ont été remontés par les complices des enseignants supposés être fictifs, mais qui travaillent ailleurs et avec qui ils partagent leurs salaires, je pense que ceux-là ne peuvent pas remonter une liste fiable… Donc, je pense que ce travail n’est en rien un travail sérieux pour plusieurs raisons. La première, c’est que ce travail s’est fait pendant les vacances, les enseignants ne sont pas en poste. La meilleure façon de recenser est d’aller trouver les gens en classe.

La deuxième raison, c’est que ces 2440 enseignants n’ont pas été vus par appel nominatif, ni par regroupement physique.

La troisième raison, c’est que même si ces 2440 existent, ça fait longtemps qu’ils ont quitté la classe. Est-ce qu’on a organisé des formations en didactique, en pédagogie et en formation initiale pour leur permettre de se remémorer au moins les anciennes pratiques de classe qu’ils ont déjà oubliées ? Donc, vous ne pouvez pas prendre des gens dans les bureaux pour dire que vous allez les redéployer comme ça à deux semaines de la rentrée des classes », a indiqué Michel Pépé Balamou.

Selon le secrétaire général du SNE, le redéploiement d’enseignants annoncé par le ministre Guillaume Hawing est « un leurre » qui va rajouter de problèmes aux maux dont souffre le système éducatif guinéen.

« Je pense qu’au lieu que cette solution proposée par le ministre ne soit la solution au problème, c’est plutôt un problème rajouté aux problèmes que le système éducatif connait déjà. Et, cette année, je vous parie qu’il y aura une grande instabilité dans nos concessions scolaires au regard des frustrations des enseignants, la démotivation, le manque d’incitation et le manque de plan de carrière. Donc, je pense que la rentrée scolaire qui arrive semble être l’une des rentrées scolaires les plus agitées, des plus perturbées au regard de l’amateurisme, de la propagande et du populisme qui caractérisent tous les actes posés par les autorités du ministère de l’enseignement pré-universitaires et de l’alphabétisation… Je vous parie que ce redéploiement est un leurre, c’est de l’amateurisme, c’est de l’improvisation, c’est de la propagande, c’est du populisme pur et simple. L’éducation, c’est une gestion axée sur les résultats, on n’improvise pas… Ils (Guillaume Hawing et son équipe) sont là depuis bientôt un an. Mais, qu’est-ce qu’ils ont fait ? Ils ne diront pas qu’ils ne savaient pas que l’école de la république avait un manque de 20000 enseignants, même s’ils ne veulent pas reconnaître ça aujourd’hui. Nous, ça nous fait rire quand on les entend parler de 15 801. Maintenant, sur 20000 déficits d’enseignants, même si on trouvait 2440, cela ne nous permet pas de combler le gap en termes de déficit d’enseignants dans nos concessions scolaires. Lorsque nous voulons améliorer l’accès et la qualité de notre système éducatif, le premier travail est de doter nos écoles d’enseignants en quantité et en qualité. Vous ne pouvez pas former une équipe qui manque de cinq joueurs sur onze, l’envoyer dans une compétition, et espérer que cette équipe-là puisse gagner un match, à plus forte raison remporter la coupe. Aujourd’hui, on dit que les enseignants n’ont pas le niveau, que les élèves n’ont pas le niveau, mais on ne fait rien pour mettre à leur disposition suffisamment d’enseignants pour voir si ces enfants peuvent ne pas avoir de niveau », a indiqué Michel Pépé Balamou.

Ce leader syndical assure que ce sont les enseignants contractuels qui aident les écoles privées à faire de grands résultats. Et, aujourd’hui, les autorités devraient aussi prendre en compte ces enseignants pour qualifier les résultats dans les écoles publiques.

« Si vous avez des écoles où c’est un seul enseignant qui enseigne de la première à la sixième année, vous avez un seul professeur qui enseigne quatre matières, vous voulez quelle qualité dans les résultats ? Donc, je pense qu’il va falloir faire un examen de conscience, avoir l’honnêteté intellectuelle de dire qu’on a échoué, qu’on n’a pas pu recruter les enseignants. Il y a déjà des enseignants qui existent dans leurs mains. Ce sont les enseignants communautaires qui sont au nombre de 4 500 et qui sont payés au frais des communautés villageoises. Vous avez aussi les enseignants contractuels qui sont sortis des universités, des ENI et de l’ISSEG, qui ont enseigné pendant 5 ou 10 ans, qui sont censeurs, proviseurs dans les écoles privées et qui font de grands résultats. Tout le monde sait aujourd’hui comment les écoles privées ont fait de grands résultats ces dernières années ; et, ce sont ces enseignants contractuels qui enseignent aussi dans ces écoles privées », a dit Michel Pépé Balamou.

Mamadou Baïlo Keïta pour Guineematin.com

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