Lucien Beindou Guilao, ancien directeur général de l’Office national de formation et de perfectionnement professionnel (ONFPP), a comparu hier, mardi 28 février 2023, devant la chambre de discipline budgétaire et financière de la Cour des Comptes où il est poursuivi pour «fautes de gestion». Les faits qui lui sont reprochés portent sur des primes et autres gratifications qu’il a accordées à des anciens dirigeants de l’ONFPP entre 2017 et 2021. Le prévenu a reconnu avoir payé ces primes, mais il a réfuté leur caractère illégal. Et, pour sa défense, il a déclaré que ces primes ont été instaurées en 1989 par le ministre du budget de l’époque.
Et, à son arrivée à l’ONFPP en 2015, il a continué à les payer avec l’avale du Conseil d’administration dudit Office. Mais, au terme des débats, le parquet a requis sa « condamnation à l’amende », alors que son conseil a plaidé pour un « non-lieu », rapporte Guineematin.com à travers son équipe de reportage.
La Cour des Comptes contrôle a postériori la gestion des organismes publics de toutes les institutions publiques qui reçoivent un concours financier de l’Etat. Et, la présente procédure contre Lucien Beindou Guilao fait suite à un contrôle qui a abouti à un « rapport d’observation définitive » qui lui a été notifié par le greffe de la Cour des Comptes le 21 avril 2021. Ce contrôle a eu lieu entre 2015 et 2019. Et, à l’époque, le prévenu était encore le directeur général de l’ONFPP.
Une copie de ce rapport d’observation a été communiquée au parquet de la Cour des Comptes qui a finalement engagé des poursuites pour « fautes de gestion » sur la base des articles 67 à 70 et suivant de la loi du 18 janvier 2013 portant attributions, organisation et fonctionnement de la Cour des Comptes et le régime disciplinaire de ses membres. Un magistrat instructeur a été saisi pour une information de ce dossier. Et, c’est au cours de cette information judiciaire qu’une « vieille pratique illégale » a été découverte au sein de l’ONFPP. Cette pratique consiste à payer des primes et des gratifications à des anciens dirigeants dudit Office. Et, c’est cette pratique qui a été qualifiée de « fautes de gestion » par le parquet de la Cour des Comptes.
Dans ce dossier, Lucien Beindou Guilao était poursuivi avec Youssouf Camara (agent comptable) et une certaine Fatoumata Diakité. Mais, compte tenu du fait que certaines infractions de la procédure étaient prescrites, Fatoumata Diakité a été renvoyée des fins de la poursuite et les deux autres prévenus (Lucien Beindou Guilao et Youssouf Camara) ont été renvoyés devant la chambre de discipline budgétaire et financière de la Cour des Comptes pour y être jugés.
A la barre ce mardi, après la lecture de l’ordonnance qui l’a renvoyé devant cette juridiction, Lucien Beindou Guilao a réfuté les charges articulées contre lui. Il a reconnu avoir payé des primes et des gratifications à des anciens dirigeants de l’ONFPP, mais il a réfuté le caractère illégal que le ministère public colle à son action.
« Lorsque je suis arrivé en 2015, cette pratique existait déjà à l’ONFPP. Et, elle était validée par le Conseil d’Administration. Donc, je n’ai fait appliquer ce qui existait et qui avait été instauré depuis 1989 (soit 3 ans après la création de l’ONFPP en 1986) », a-t-il déclaré.
Abondant dans le même sens, son conseil, Me Faciné Soumah, s’est interrogé sur la capacité de l’Etat guinéen à poursuivre Lucien Beindou Guilao, d’autant plus que « c’est en 2019 seulement que l’Etat a accordé sa subvention à l’ONFPP ». Mais, à ces inquiétudes de la défense qui sonnent comme des exceptions, le ministère public (représenté par Mamadou Saliou Diallo, Commissaire général du gouvernement), a estimé que l’Etat guinéen est bien en droit de poursuivre Lucien Beindou Guilao, dans la mesure où ce dernier à au moins géré la subvention de 2019.
« Ce sont les cotisations d’entreprise privées au titre de leur contribution à la formation que l’ONFPP gérait. Et, ces ressources ne sont pas des ressources publiques… Je pense qu’on est en train de faire un mauvais procès à Lucien Guilao. Parce que cette pratique existe à l’ONFPP depuis 1989. Et, on ne peut pas dire que depuis 1989 l’ONFPP n’a pas été inspecté. Donc, cette pratique a un fondement légal. Parce que dans le budget de l’ONFPP qui est voté par le Conseil d’Administration, cette ligne est prévue. Ces primes constituent un usage de fait en droit », a répliqué l’avocat de la défense aux arguments du ministère public.
Mais, le Commissaire général du gouvernement (qui fait office de procureur) garde sa lucidité et revient à la charge contre le prévenu.
« Lucien Guilao tente de justifier l’injustifiable. Je comprends sa peine, mais ce n’est pas parce qu’on a trouvé une pratique en place que cette pratique est forcément bonne. Le fait d’octroyer des primes à des anciens dirigeants et administrateurs est une mauvaise pratique. Octroyer des primes à des anciens dirigeants est une pratique immodérée, injustifiée », a martelé le procureur Mamadou Saliou Diallo.
Après une dizaine de minutes sur la question de notification des faits poursuivis au prévenu, le président de la Cour, Mouctar Bah, a annoncé la clôture des débats et a ordonné les réquisitions et plaidoiries dans cette affaire. Et, c’est le ministère public qui a ouvert le bal. Le procureur Mamadou Saliou Diallo a demandé à la Cour de « liquider les montants échus (2 millions de francs guinéens par mois, pendant 5 ans), de mettre cela à la charge du prévenu et de le condamné à l’amende » pour ces fautes de gestion.
De son côté, l’avocat de la défense a plaidé pour un « non-lieu » en faveur de son client.
« Les arguments sont légers et je suis sûr qu’ils seront rejetés par la Cour. Le paiement de prime aux anciens DG, de 2017 à 2021, ne peut pas constituer une faute de gestion… Les faits poursuivis constituent un usage en droit, c’est une pratique constante et contraignante. L’ONFPP a été créé en 1986 ; et, en 1989, le ministre du budget a instauré cette pratique en faveur du premier directeur général de l’Office pour service rendu. C’est en 2015 que Lucien Beindou Guilao est arrivé à l’ONFPP et a trouvé ce droit acquis des anciens DG. Donc, il ne pouvait que continuer à payer. Ce n’est pas une faute de gestion, c’est un usage… Donc, nous vous demandons de ne pas condamner Lucien Beindou Guilao pour fautes de gestion. Je vous prie de rendre un arrêt de non-lieu », a plaidé Me Faciné Soumah.
Finalement, la Cour a mis le dossier en délibéré pour décision être rendue le 14 mars prochain à 11 heures.
Mamadou Baïlo Keïta, Mamadou Yahya Diallo et Ansou Baïlo Baldé pour Guineematin.com