Procès du 28 septembre : Yayé Fatou Barry raconte l’enfer qu’elle a vécu le jour du massacre et les jours d’après

Yayé Fatou Barry, victime du massacre du 28 septembre 2009

Une nouvelle victime du massacre du stade du 28 septembre a été appelée à la barre ce lundi, 27 mars 2023. Il s’agit de dame Yayé Fatou Barry qui a fait sa déposition au tribunal criminel de Dixinn délocalisé à la Cour d’appel de Conakry. Elle est la quatrième victime, parmi celles qui ont voulu comparaître à visage découvert, à venir expliquer sa mésaventure à cette date fatidique du 28 septembre 2009. Se disant victime de coups et blessures, la dame est revenue sur ce qui lui est arrivé le jour du massacre et les difficultés pour quitter le pays en vue de se soigner à l’extérieur, a constaté sur place Guineematin.com à travers un de ses reporters.

Dame Yayé Fatou Barry a narré ce qu’elle a subi au stade avant de se faire tirer de griffes des militaires par un inconnu. Elle n’a pas occulté son évacuation pour des soins au lendemain de cette tragédie.

Guineematin.com vous propose ci-dessous l’intégralité de sa déposition à la barre :

Yayé Fatou Barry, victime du massacre du 28 septembre 2009

« Le jour du massacre, je suis sortie de chez moi à 6 heures du matin. Mes copines sont venues me chercher. J’ai demandé de sortir avec ma voiture ensemble avec elles. Elles ont dit d’accord, on va aller dans une seule voiture. J’ai dit, commençons chez Lounceny Fall (président du parti FUDEC, membre des Forces Vives de l’époque, ndlr) pour aller déjeuner d’abord. Nous sommes partis, nous avons pris le déjeuner avec Lounceny Fall. Il a fait des omelettes pour nous et nous avons bien déjeuné. Nous sommes sortis en groupe, on était très nombreux, hommes comme femmes. On s’était convenu qu’une fois au stade, d’aller s’abriter chez Kaba. Nous sommes partis loger chez Kaba. Nous sommes restés jusqu’à l’heure ils nous ont dit d’aller au bord de la route en face de l’université Gamal. Nous nous sommes regroupés là-bas. On était nombreux. Le rang pouvait aller jusqu’à Donka. Nous sommes restés dans ça, il y a une femme qui m’a dit, Madame vient on va tenir le drapeau ensemble, je ne peux pas le tenir seule. Quand je suis partie, je lui demandé son adresse, elle m’a dit qu’elle est à Matoto. Nous sommes restés dans ça, Tiégboro est arrivé avec son groupe. Il a dit, qu’est-ce que vous faites ici ? On a répondu que nous nous sommes venus pour faire la fête. Il a dit non, vous ne rentrerez pas. En réplique, on a dit qu’on va rentrer au stade. Et au moment où on partait en rang, le portail du stade était fermé. Parce que nous avons passé par la devanture du stade. Là où on était, en face de l’université, on a fait 2 heures parce qu’il était question d’attendre les autres leaders pour bouger. Les leaders qui étaient parmi nous ont dit qu’il y a Jean Marie Doré qui doit se voir avec des leaders religieux islamiques et d’attendre Jean Marie.

Nous sommes restés dans l’attente, Jean Marie n’est pas venu et nous avons bougé. Il y avait des leaders parmi nous. Moi, j’étais arrêté avec la femme, on détenait le drapeau il y avait les leaders derrière. Nous sommes venus jusqu’au niveau du stade. La porte était ouverte. Nous sommes rentrés au stade tout le monde était dans l’ambiance. D’autres chantaient et d’autres priaient sur le gazon. Nous sommes partis jusqu’à monter sur la tribune, les leaders nous suivaient. Ils ont commencé leur discours. Toujours on était arrêté. Nous sommes restés dans ça. On a entendu des cris. On a entendu des coups de feu. Tout le monde s’est levé, mais on était dans l’ambiance. Moi, là où j’étais dans les tribunes, à côté des leaders, quelque chose est venu pénétrer mes lunettes ici et aller au front et m’a blessée. Jusqu’à présent, cette choses-là se trouve dans ma tête, et ça me fait mal. J’ai été victime de bastonnades.

En descendant des lieux, je me suis rencontrée avec Jean Marie Doré à l’escalier, on le torturait. Ils ont enlevé sa cravate et l’attacher avec ça. Il y avait le sang dans sa bouche. Ceux qui le bastonnaient, je ne pouvais pas les reconnaître parce j’avais déjà mes lunettes cassées, le sang coulait sur la figure, je ne voyais pas bien. Je me suis rencontrée avec d’autres qui m’ont bastonnée, ils ont déchiré mes habits. Je voulais escalader les murs. J’ai vu que si je saute là-bas, soit je meurs, ou je me brise. J’ai accepté les bastonnades jusqu’à terre. Quand je suis arrivée à terre, j’ai vu que ça tirait, il y avait des bérets rouges et des bérets verts. Les agents de la CMIS (Compagnie mobile d’intervention et de sécurité) étaient là-bas. Je ne pouvais pas reconnaître quelqu’un parce que je ne connais pas les militaires. Par terre, j’ai commencé à divaguer sur les dalettes. Je me suis rencontrée avec un petit qui est dans mon quartier, c’est un mécanicien. Il me dit, tu es venu chercher quoi ici ? J’ai dit ce n’est pas moi, c’est Dieu. On est venu danser ici, c’est ce qui nous est arrivé. Il me dit, tantie viens je ne peux pas te laisser ici. Il me dit, mais tu as tous tes habits déchirés. Il a enlevé sa chemise et il m’a donné. Mais son habit était petit pour moi parce que je suis plus grosse que lui. J’ai fait monter la chemise comme une jupe. Partout où il m’a envoyé pour me faire escalader les murs, il ne pouvait pas.

Nous sommes partis vers la porte. Nous sommes venus, on a trouvé les fils coupés, ils ont dit qu’il y a le courant sur les portes, de ne pas les toucher. Sous les bastonnades là, j’avais perdu mon téléphone. J’ai dit, comment je vais appeler mon mari, je suis dans la souffrance, je n’ai pas de téléphone. Le jeune m’a fait promener pour me faire sortir de la cour, mais il n’a pas pu. Pendant tout ce temps, on courrait. En courant, je heurtais les cadavres, je tombais et je me relevais. Si vous me demandez moi, le nombre de corps qui était là-bas ce jour-là c’était plus de 150.  

Dans ça, je suis sortie du stade dans l’après-midi parce que je ne regardais pas l’heure. Avant que je ne sorte du stade, je me suis rencontrée avec un jeune à côté de la salle de basket-ball. L’un me tirait à gauche et l’autre me tirait à droite. Lui, il voulait me faire rentrer dans la salle de basket-ball. J’ai entendu les cris. Moi, je peux dire que toutes les femmes ont été violées dans cette salle. Les enfants se sont battus jusqu’à ce qu’ils ont poussé la porte pour faire sortir Jean Marie Doré. C’est en ce moment qu’on m’a fait sortir. Avant de me faire sortir, je me suis rencontrée avec Sorel, l’ex Gouverneur, on l’avait bastonné, le sang coulait au niveau de ses oreilles. Je ne le connais pas, il ne me connaît pas. Il m’a dit, Madame, acceptes que je te donne ma chemise pour que tu ne sortes pas nue. Le petit dit non, je l’amène là-bas. Le petit s’est débattu. Il m’a tiré vers Dixinn Foula, mais avant d’arriver là, j’avais subi beaucoup de bastonnades.

Quand nous sommes arrivés, le jeune m’a dit, comment va-t-on s’embarquer maintenant alors qu’il n’y a pas de véhicules ? J’ai dit, envoies-moi quelque part parce que j’avais les pieds nus, j’avais reçu des coups, il y avait quelque-chose dans ma tête, sur les fesses, j’étais blessée. Donc, il m’a envoyé chez Monsieur Kaba. Gandhi Tounkara, paix à son âme, m’a vue. Il dit Madame Diallo est gravement blessé. Il dit, je peux t’envoyer à l’hôpital ? J’ai dit tu ne peux pas m’envoyer à l’hôpital envoie moi à la maison. Nous sommes restés là-bas jusqu’à 17h. On pensait que la route était libre maintenant. J’étais avec Gandhi,    avec madame Laouratou Bah dans la voiture. Nous sommes partis jusqu’à Belle Vue. Là aussi, on jetait des pierres, là aussi la pare-brise était cassée. On tirait partout. Mais, il s’est battu jusqu’à ce que je suis arrivé à la maison. Quand je suis arrivée à la maison, j’ai trouvé que toute la famille pleurait. Les enfants pleuraient, pensant que j’étais déjà morte. À la maison, mon mari m’a demandé, tu connais ceux qui t’ont battu, j’ai dit non. Il dit si je connaissais ceux qui t’ont bastonné, je n’allais pas pardonner ça. Il a chauffé l’eau et il a massé mon corps. Dans la soirée, la tête était enflée par suite des bastonnades. Le lendemain, Lounceny Fall est venu me dire d’aller à l’hôpital. Il a dit à Monsieur Gandhi de m’envoyer à l’hôpital et de lui faire le compte rendu.

Nous sommes venus à Donka. Ce que j’ai vu là-bas, j’ai dit à Monsieur Gandhi, je ne peux rester ici. J’ai dit, ce sont les bérets rouges qui sont arrêtés là-bas avec le ministre de la santé (Colonel Abdoulaye Chérif Diaby, accusé dans cette affaire, ndlr). J’ai dit que je ne rentre pas. Gandhi a appelé Fall pour dire que Madame Diallo n’a pas accepté, mais elle a raison aussi. Fall dit de m’envoyer à l’infirmerie de l’ambassade de France à son nom. Après la radiographie, le diagnostic a révélé qu’il y a quelque chose dans ma tête. Il a traité les plaies. Il dit chaque matin il faut que Gandhi m’amène à l’hôpital. Après, nous sommes rentrés à la maison. Je suis restée chez moi. Le deuxième jour, les militaires sont venus chez moi. Je ne sais pas si c’est parce qu’ils ont vu Fall rentrer chez moi ou s’ils sont venus pour autre chose, je ne savais pas. Devant la Cour là-bas, ils ont commencé à tirer. Il y a les traces jusqu’à présent sur notre cour là-bas. Directement, j’ai appelé Monsieur Gandhi pour lui faire le compte rendu. Parce que Fall n’était pas tranquille, il avait la main fracturée.

Nous sommes restés dans ça, j’ai reçu des appels venant de la ville pour me dire de quitter chez moi. Fall même m’a dit de quitter. Mon mari m’a fait quitter la maison. Il m’a envoyée quelque part à Démoudoula. Je suis restée pendant deux semaines. Pendant les deux semaines, Gandhi venait me chercher pour m’envoyer à l’hôpital pour me ramener à la maison. J’ai quitté chez moi pour ne pas que d’autres personnes meurent à cause de moi. Une seule fois on m’a appelé dans une agence en ville, on m’a demandé, c’est toi Madame Fatou Yayé Barry, j’ai dit oui. Ils ont dit qu’il faut venir à l’agence, ils ont envoyé un billet pour toi. Je ne sais pas si c’est Fall qui a acheté le billet ou si c’est l’Union européenne. Je suis partie prendre le billet, ils m’ont programmé pour le voyage. Je suis venue à l’aéroport, ma tête était bandée. À l’aéroport, j’ai vu Tiégboro et Moussa Keïta. J’ai dit, les gens-là sont venus pour m’arrêter. Mon mari a insisté, disant qu’ils ne vont rien faire. Mais, je n’ai pas écouté. J’ai dit qu’il y a assez de bérets rouges et que je ne pouvais pas prendre le risque d’aller là-bas. J’ai déplacé un taxi en laissant mon mari et Gandhi là-bas.

Le matin je suis partie à l’agence de voyage, j’ai dit que je ne vais plus voyager parce qu’il y avait Tiégboro et Moussa Keïta à l’aéroport. L’agence m’a dit d’aller, nous on va prolonger ton billet parce que ce qui est dans ta tête, il faut qu’on l’opère. Le lendemain, je suis venue à l’aéroport, je me suis embarquée et je suis partie à Dakar.

Tous ceux qui ont humilié les femmes ici, je jure que Dieu ne va pas les laisser comme ça. C’est à cause de ma maladie que ma maman a piqué une crise et elle est morte. C’est mon opération et mon évacuation qui ont abrégé la vie de ma mère…

Propos recueillis par Mohamed Guéasso DORÉ pour Guineematin.com

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