Le RGPH et le RAVEC, tactiques dilatoires du CNRD pour une transition à durée indéterminée ?

Nadia Nahman, Cheffe de cabinet du président de l'UFDG

Nadia Nahman Barry : le Chef de la junte militaire en Guinée, Mamadi Doumbouya, fait de moins en moins mystère de l’inconfort que lui procure soudainement le port de la tenue militaire pour se complaire dans l’opulence des boubous qu’il arbore fièrement à la moindre occasion comme un sondage à destination des Guinéens.

Ce qui pourrait sembler de prime abord anecdotique trahit au fond des ambitions qui dépassent de loin le cadre spatio-temporel qui délimite traditionnellement toute transition.

La junte militaire guinéenne, passée maitresse dans l’art du dilatoire, nous le confirme en inscrivant de manière concomitante, au cœur du retour à l’ordre constitutionnel, le recensement général de la population et de l’habitat (RGPH) et le recensement administratif à vocation d’état civil (RAVEC). Deux opérations chronophages et dispendieuses qui n’ont aucun lien structurel avec le processus électoral et qui poursuivent le sombre dessein de maintien au pouvoir du CNRD aussi longtemps que possible.

Il ressort en effet du compromis dynamique obtenu en octobre 2022 avec la CEDEAO, un chronogramme de transition étalé sur 24 mois à partir du 1er janvier 2023 et couvrant 10 points avec en tête le RGPH et le RAVEC. S’il importe de rappeler que ces deux opérations ont été imposées sans discussions préalables, il importe encore plus d’indiquer que les aspects administratifs et techniques de même que la mobilisation financière qu’elles impliquent, rendent impossible leur réalisation avant janvier 2025.

Mieux, depuis la signature de l’accord avec la CEDEAO, le CNRD est encore à l’étape préparatoire de son chronogramme. Aucune phase n’a été pleinement exécutée. La junte feignant de ne s’affairer qu’à la veille des sommets de la CEDEAO comme pour anticiper toute critique sur la stagnation du processus du retour à l’ordre constitutionnel dont elle impute désormais l’entière responsabilité à l’Organisation sous-régionale.

Pour rappel, le recensement général de la population et de l’habitat (RGPH) est une opération statistique menée par un gouvernement pour collecter des informations démographiques, sociales et économiques sur l’ensemble de sa population résidente. Cette opération a pour objectif principal de fournir des données précises et à jour sur la composition de la population, les caractéristiques de l’habitat, les niveaux d’éducation, l’emploi, la santé, la migration, et d’autres indicateurs socio-économiques importants.

La population cible est toute la population résidente quels que soient l’âge et la nationalité des personnes alors que pour le recensement électoral, la finalité est l’établissement de la liste des personnes (électeurs) pouvant participer à des élections. N’est concernée par ce recensement électoral que la population âgée de 18 ans et plus, de nationalité guinéenne seulement, vivant en Guinée ou à l’étranger.

Si la finalité du RGPH est donc d’aider à la prise de décisions pour l’élaboration, le suivi et l’évaluation des politiques/programmes de développement, sa présence comme première étape d’un chronogramme censé conduire à un retour à l’ordre constitutionnel, est totalement infondée.

Quant au recensement administratif à vocation d’état civil (RAVEC), il s’agit d’une opération menée par l’administration d’un pays dans le but de recueillir, de mettre à jour et de centraliser les informations relatives à l’état civil des individus résidant sur son territoire. L’état civil désigne l’ensemble des événements importants de la vie d’une personne, tels que la naissance, le mariage, le divorce et le décès.

L’objectif principal du RAVEC est de constituer et de maintenir un registre de l’état civil qui permettra de fournir des preuves légales et officielles concernant l’identité des individus, leurs liens familiaux, leur statut marital et d’autres informations importantes tout au long de leur vie.

Le RAVEC est essentiel pour assurer la gouvernance, la planification et la mise en œuvre de politiques publiques efficaces dans divers domaines, notamment la santé, l’éducation, la sécurité sociale et le développement socio-économique. En outre, il joue un rôle fondamental dans la prévention de l’apatridie (personnes sans nationalité) et de la fraude identitaire, ainsi que dans la protection des droits de l’homme, en particulier le droit à l’identité.

Dans ces conditions, il est également illusoire de prétendre obtenir du RAVEC un fichier d’état civil couvrant l’étendue du territoire national et duquel pourrait être extrait un fichier électoral pour les élections à venir. Le décret du 05 novembre 2022 mettant en place le PNRAVEC, avec l’objectif d’en tirer le fichier électoral, est une autre manœuvre dilatoire pour faire durer la transition. Il ne permettra en aucun cas d’obtenir un fichier électoral fiable et exhaustif pendant la transition.

Le principe de réalité impose de la lucidité à la junte guinéenne : initier à la fois un recensement général de la population et de l’habitat (RGPH) ainsi qu’un recensement administratif à vocation d’état civil (RAVEC), deux opérations longues et coûteuses, pour en extraire un fichier électoral en lieu et place d’une révision classique du fichier existant, débouchera inéluctablement sur un glissement de calendrier, à moins que ce ne soit l’objectif recherché.

S’il y a assurément des mérites à attribuer au RGPH et au RAVEC, comme présenté plus haut, celui d’obtenir une liste électorale fiable et exhaustive, dans le contexte qui est le nôtre, est loin d’être le plus manifeste. Par conséquent, ces deux opérations doivent être purement et simplement supprimées du chronogramme électoral.

Plutôt que d’attendre naïvement l’expiration du délai de 24 mois convenu avec la CEDEAO, il devient urgent de travailler dans la direction de l’établissement d’un chronogramme plus réaliste, consensuel et allégé qui ne retiendra que les actions indispensables à l’organisation d’élections crédibles et inclusives dont les résultats seront acceptés par tous. D’autant que les partenaires techniques et financiers ne semblent montrer que peu d’empressement à financer le budget prohibitif de 600 millions de dollars présenté par le CNRD pour le retour à l’ordre constitutionnel.

Selon Saleh Kebzabo, « l’expérience nous apprend que plus une transition est courte, meilleure elle est, et plus elle est longue, plus s’installeront des appétits voraces ».

Ces propos résonnent malheureusement peu en écho aux préoccupations d’une junte plus occupée à lancer et inaugurer des chantiers imaginaires, prétextes à un enrichissement effréné, et à sévir contre les acteurs socio- politiques qui dénoncent ses dérives plutôt qu’à préparer les élections.

Par Nadia Nahman Barry

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