Mme Saran Cissé sur les crimes du 28 septembre en 2009 : « les 2 policiers m’ont fait ce qu’ils voulaient »

C’est un récit glaçant que cette autre victime des événements du 28 septembre 2009 a relaté au tribunal de première instance de Dixinn (délocalisé à Kaloum) ce lundi, 23 octobre 2023. Par deux fois, cette enseignante de 47 ans a subi des violences par des agents des forces de sécurité, selon elle.

Membre des forces vives qui avaient appelé à manifester pour protester contre une éventuelle candidature de Moussa Dadis Camara, elle s’est rendue au stade du 28 septembre. Chassée plusieurs fois avec d’autres groupes, elle accédera finalement au stade où les leaders étaient installés.

« Au moment où je voulais m’asseoir j’ai entendu des tirs. J’ai vu des gens tomber, j’ai crié. C’était la panique ! J’ai essayé de sortir par la grande porte, malheureusement je n’ai pas pu. Je suis retournée dans l’enceinte du stade pour aller à côté des leaders mais j’ai vu que là aussi ça n’allait pas. On m’a dit qu’il y a une petite porte vers l’université Gamal Abdel Nasser. Là j’ai trouvé des fils de courant par terre, quiconque y allait tombait par terre. Je suis encore retournée dans l’enceinte du stade. J’ai trouvé un journaliste qui aidait les dames à grimper sur le mur. Il y a une dame très grosse qui était arrêtée, elle a dit qu’elle ne pouvait pas monter mais si vous pouvez grimper sur moi, ça me fera plaisir. Deux jeunes m’ont aidé à monter, en haut j’ai regardé en bas, mais je ne pouvais pas descendre. Ils ont tiré sur le front du jeune qui me tenait, il est tombé. Je suis tombé de l’autre côté sur des briques. J’ai commencé à saigner de l’oreille droite. Je suis restée couchée là », a raconté Saran Cissé.

Mais c’est là que son véritable drame va commencer. Deux policiers vont abuser d’elle sur place.

« Quelques minutes après j’ai vu deux policiers venir vers moi. J’ai dit au premier, tu peux me tirer mais ne me fais pas de mal. Tu peux me tuer, mais il m’a dit « je ne vais pas te tuer mais je vais te donner un cadeau que tu ne vas jamais oublier ». J’ai dit si le bon Dieu accepte. J’ai dit mais n’oublie pas que je suis en jeûne (les 6 jours après le mois de ramadan). Je lui ai dit si tu me fais du mal Dieu va te payer. L’autre est venu me gifler, je suis tombée. Ils m’ont violenté, ils m’ont fait ce qu’ils voulaient. Ils m’ont laissé là-bas, j’y suis restée couchée jusqu’à 17 heures. J’ai voulu sortir puisque la croix rouge venait ramasser les corps. Je me suis dis que je pouvais peut-être m’en sortir. À la sortie, j’ai trouvé 2 pick-up garés : si c’est un jeune qui arrive, on lui dit d’enlever ses habits et de grimper avec les genoux. Une femme policière a pris son caoutchouc et a commencé à me frapper. Il y a un autre policier (Kapi) qui a dit laissez la dame, elle est complètement épuisée. Elle m’a fait monter dans le pick-up, il m’a fait descendre. Après il m’a pris avec une autre femme et un jeune, ils nous a envoyé chez lui à Landréah. Il m’a demandé là où j’habite, j’ai dit Dixinn parce que j’avais peur de dire que je suis de Gbessia. On est restés là-bas jusqu’à 18h30, ses amis nous cherchaient dans la concession de sa maman. Il a eu peur, il m’a demandé d’essayer de rentrer chez moi parce que sa maman est vieille et que s’il nous gardait jusqu’à la nuit, ses amis allaient casser la maison pour venir nous prendre. Il m’a accompagné jusqu’au Belvédère, il m’a demandé si je pouvais retrouver chez moi, j’ai dit oui. Il m’a laissé là avec la petite », a-t-elle ajouté.

Alors qu’elle croyait être sortie d’affaire, Saran Cissé sera à nouveau violentée, selon elle, par des hommes venus dans un pick-up.

« Quelques minutes après d’autres pick-up sont venus, j’ai eu peur je suis rentré dans une concession où j’ai trouvé un vieux en train de prier. Je suis allé dans son salon, quand il a fini sa prière, il est venu me trouver au salon, il ne m’a pas salué et ne m’a rien demandé. Je me suis dis s’il m’avait salué, j’allais peut-être rester chez lui mais comme il ne m’a rien dit j’ai eu peur et j’ai quitté la maison. Je suis allé au niveau des rails pour aller chez mon grand frère à la casse. Arrivée au parc à bétail en allant vers Madina, d’autres m’ont trouvé. Là aussi j’ai subi toutes sortes de violence. Ils m’ont jeté aux abords des rails. Je suis restée là-bas. Des jeunes sortis du quartier cherchant à rentrer chez eux sont venus me trouver, certains disaient « elle est morte », d’autres « non, elle est vivante ». Ils sont venus me prendre mais ils ont aussitôt vu des phares de véhicule, ils m’ont laissé là-bas. C’est là que la croix rouge est venue me prendre », a-t-elle notifié.

Elle sera admise à Donka, ensuite dans une clinique avant d’aller au Sénégal. À son retour en Guinée 3 mois plus tard, elle va suivre une thérapie et sera finalement prise en charge par l’AVIPA (Association des victimes, parents et amis du 28 septembre 2009).

Mamadou Yahya Petel Diallo et Thierno Hamidou Barry pour Guineematin.com 

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