Éducation, Formation Professionnelle et Enseignement Supérieur en Guinée : un Regard Lucide sur les Réformes Annoncées (2ᵉ partie)

Gayo Diallo, Enseignant-chercheur

Dans une première partie de cette série d’analyses critiques sur l’éducation, la formation professionnelle et l’enseignement supérieur en Guinée, je suis revenu largement sur la faiblesse des réformes engagées dans l’enseignement pré-universitaire [1]. Dans cette partie, après avoir pointé rapidement quelques incohérences et manque d’ambition dans l’enseignement technique, je reviens largement sur les nombreuses “avancées” régulièrement rappelées par le MESRI.

Réformes annoncées : entre communication et réalité

Le ministère de l’Enseignement Technique, de la Formation Professionnelle et de l’Emploi (METFPE) en Guinée a récemment lancé plusieurs réformes visant à améliorer le système éducatif et à répondre aux besoins du marché du travail. Cependant, l’examen attentif de ces réformes révèle certaines lacunes et incohérences, mettant en lumière les défis persistants auxquels est confronté le secteur de l’enseignement professionnel dans le pays. Dans cette analyse, nous examinerons de près trois points clés annoncés par le METFPE, en mettant en évidence leurs implications et leurs limitations.

Une cité du numérique : accentuation des inégalités et absence de vision prospective

Le METFPE a fait l’annonce en Mai 2023 de la construction de la première cité numérique de Guinée dans la capitale du pays. Cette initiative suscite des préoccupations quant à son impact sur les inégalités régionales et la fracture numérique. Plutôt que de favoriser un développement équilibré en investissant dans des infrastructures similaires dans les régions intérieures, cette décision risque d’accentuer les disparités entre la capitale et les zones rurales. Cela souligne le manque de coordination entre les ministères et l’absence d’une vision prospective intégrant les dimensions territoriales et numériques.

Apprentissage informel : potentiel inexploité et absence de politique adéquate.

L’apprentissage informel représente une ressource souvent négligée dans le secteur de la formation professionnelle en Guinée. Malgré sa prévalence, de nombreux travailleurs du secteur informel n’ont pas accès à des programmes de formation conventionnels et acquièrent leurs compétences de manière autodidacte ou par la pratique. Selon l’enquête nationale sur l’emploi et le secteur informel en Guinée (ENESIG-2018/2019), ils sont la grande majorité des travailleurs informels (65,8%). Toutefois, l’absence de certification officielle de ces compétences limite leur intégration dans le marché du travail formel. Contrairement à d’autres pays, la Guinée n’a pas encore élaboré de politique adéquate pour tirer parti de ce potentiel inexploité. Les reformes actuelles de l’enseignement professionnel n’ont pas encore adressé de manière adéquate cette question prioritaire dans le cadre de ses réformes du secteur de la formation professionnelle.

Confusion entre Information et Communication des ministères

Le mardi 23 août 2022, devant un parterre de journalistes, a eu lieu la signature d’une convention entre le MESRI et le METFPE Cette convention portait sur la mise en place de passerelles entre les institutions de formation des deux ministères[2]. Le 25 Août, soit deux jours après, rebelote avec les journalistes. Cette fois, c’est pour la signature d’une convention entre le METFPE et l’Institut supérieur des Sciences de l’Éducation de Guinée (ISSEG) portant sur le renforcement de capacités des formateurs et cadres du METFPE [3]. La multiplication des événements de communication entre ministères, tels que les conventions signées devant les journalistes, soulève des questions quant à leur pertinence et leur efficacité. Il semble y avoir une confusion entre l’information et la communication, avec une tendance à privilégier les annonces publiques plutôt que les actions concrètes. Cette approche risque de détourner l’attention des véritables enjeux du secteur de l’enseignement professionnel. Des communiqués de presse, relayés sur les sites web desdits départements, n’auraient pas suffi ?

Enseignement supérieur : Des mesures superficielles et des contradictions

 

Dans un contexte où l’enseignement supérieur en Guinée cherche à se moderniser et à répondre aux besoins de la société, plusieurs mesures ont été annoncées par le ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique (MESRI). Cependant, malgré ces annonces, des lacunes importantes persistent, révélant des contradictions et des défis majeurs. Cette analyse se penche sur ces mesures et leurs implications, mettant en lumière les problèmes fondamentaux qui persistent dans le système éducatif supérieur du pays.

Confusion entre Communication et Information: Portail institutionnel défaillant

Pour ce département également, il est important de noter la confusion entre communication et information. Le portail institutionnel du MESRI présente des lacunes évidentes, avec plusieurs liens cassés, ce qui compromet sa fiabilité en tant que source d’information pour les usagers. Cette défaillance souligne la nécessité d’améliorer la communication institutionnelle pour garantir une transparence et une accessibilité accrues. À la date de rédaction de cette section, à titre d’illustration, seul le lien du portail Guipol est valide sur les 3 projets prioritaires affichés.

A présent, attachons-nous à analyser quelques réformes annoncées de manière tonitruantes par le MESRI. Afin de rester strictement sur le factuel, rappelons ce que déclarait la ministre en charge de ce département lors d’un déjeuner de presse en novembre 2022 : « Nous avons engagés des réformes majeures et extrêmement ambitieuses qui sont entre autres : la réforme des programmes de l’enseignement supérieur pour une meilleure adéquation avec le marché du travail, la digitalisation du système par la mise en place d’espace numérique de travail dans les institutions d’enseignement supérieur de notre pays, le développement et la mise en place d’un programme pilote d’étudiants entrepreneurs, de politiques d’alternance et de stage, la relance et la valorisation de la recherche et de l’innovation par l’élaboration d’une politique nationale de la recherche et de l’innovation »[4]

Orientation des bacheliers : Système hasardeux et peu transparent

En théorie, il existe au sein du MEPUA une direction de l’orientation scolaire. En pratique, ses démembrements sont peu ou pas fonctionnels. Résultat : le système d’orientation qui doit commencer relativement tôt afin de faire découvrir les filières possibles et les métiers se résume au renseignement d’un formulaire d’orientation. Cette dernière est par la suite traitée par un algorithme (non rendu public) au sein d’une plateforme en ligne Guipol, gérée par le MESRI. Le manque de places d’accueil dans le supérieur public accentue ces problèmes, mettant en évidence la nécessité d’une réforme profonde de l’orientation scolaire. Ainsi, il n’est pas rare par exemple de constater que des élèves qui n’ont pas obtenu la moyenne dans une matière fondamentale d’une filière, se voient proposer l’orientation dans cette même filière : l’exemple typique est l’élève qui a 7/20 de moyenne en physique au Bac, orienté en Sciences Physiques à l’université.

Même si un salon de l’orientation a vu le jour récemment, les filières dans le supérieur doivent être dépoussiérés et clarifiées avant toute activité de leur promotion.

Revalorisation des primes et bus universitaires : Rattrapage du pouvoir d’achat et non une réelle autonomie.

Il convient tout d’abord d’insister sur une confusion volontairement entretenue entre les notions de droit et de faveur, tout comme il est de bon ton de rappeler que l’État est là au service du soutien. La Guinée existera demain parce qu’on aura investi aujourd’hui sur sa jeunesse. Ce préalable étant posé, revenons sur une des réformes phares dont se targuent respectivement le METFPE et le MESRI depuis l’avènement du CNRD. Il s’agit de la revalorisation des primes aux étudiants postbac aussi bien inscrits dans les institutions guinéennes que les boursiers à l’étranger. L’excès de communication autour de ce sujet a délibérément occulté une réalité financière bien étayée qui nuance fortement la portée de cette mesure. Rappelons-le, cette dernière a été validée à la veille d’une grève nationale annoncée par le collectif des étudiants de Guinée. Insistons ici que le fait qu’il est évident que l’éducation et l’enseignement supérieur sont un des moyens de redistribution de la richesse nationale, dans un pays qui porte dans sa Devise le concept de Solidarité. Dès lors, quoi de plus normal que d’octroyer les moyens d’une autonomie à cette qui rappelons le, représente seulement moins de 2% de la population.

Pour atténuer la portée de la revalorisation brandit partout, convoquons l’implacable réalité factuelle qu’apportent les données et appuyons-nous sur l’évolution du taux d’inflation en Guinée de 2012 à 2022[5]. En observant l’évolution de cette ’inflation, on note une augmentation des prix en 10 années de 172.19% correspondant à une chute de valeur en 10 années de 67.33%. Ainsi donc, pour 100.000 GNF en 2012, le pouvoir d’achat corrigé de l’inflation au début de 2022 s’établit à 326.705,8 GNF. Autrement dit, si un article coûtait 100.000 GNF en 2012, il coûterait autour de 280.000 GNF au début de l’année 2022 en raison de l’inflation. Dès lors, la multiplication par 3 des primes estudiantines constitue seulement un rattrapage sur le pouvoir d’achat des étudiants. Pire, cette prime se voit ponctionner des couts liés au retrait au sein de la plateforme de paiement choisi par l’État. Pourquoi ces frais ne sont pas supportés par la puissance publique ?

Il parait utile de rappeler également que le Master (public) le moins cher en Guinée coûte 8 à 10 millions GNF par an comme frais d’études. A cela, il faut ajouter des frais de soutenance qui avoisinent les 10 millions sans compter les frais d’inscription et autres frais annexes. Ainsi donc, il faut débourser 20 millions au moins pour des études de Master, quand les pécules annuels sont au plus de 5 millions de GNF. Je cherche toujours où est la recherche de l’autonomie des jeunes tant vantée recherchée par les mesures annoncées.

De même, le président de la transition a officiellement remis vingt-cinq bus aux étudiants guinéens le 7 mars 2022, en présence de la ministre de l’enseignement supérieur. Cette action fait suite à des semaines de manifestations estudiantines réclamant des bus et une amélioration des conditions d’études, dans un contexte avec lequel le gouvernement redoutait une agitation sociale liée à une éventuelle augmentation du prix du carburant à la pompe[6].

Pour ma part, et à la place des étudiants, la vraie réforme que j’exigerais est celle de la démocratisation des études de Master, dans la continuité de la réforme ” LMD à la guinéenne” car la licence, non professionnelle, n’est pas un diplôme terminal.

Espaces Numériques de Travail (ENT) : Projet non effectif et manque de concertation.

Parmi les 6 axes prioritaires pour la digitalisation de la République de Guinée à l’horizon 2026 de l’Agence Nationale de Digitalisation de l’État (ANDE), figure en bonne place (axe 2) “Capital humain et compétences numériques développés et valorisés”.

Ainsi au titre des services aux étudiants, l’autre reforme tant vantée sans qu’elle n’ait réellement vu le jour, consiste en la mise en place des Espace Numérique de Travail (ENT). Ce projet est sensé s’implémenter dans les dix-sept institutions d’enseignement supérieur public. Un appel à manifestation d’intérêt a été publié en Juin 2022 (No002/MESRSI/CAB/DGI/CPMP/2022). Rappelons, que pour la rentrée 2023, environ 3 000 étudiants ont été orientés à l’ISFAG, l’institution dédiée à la formation à distance (en ligne) des étudiants du supérieur.  Dans un contexte de transformation numérique et un LMD à la guinéenne qui a réduit le temps de présence de l’enseignant face à l’étudiant, on ne peut que saluer une telle intention. Toutefois, là également, entre l’intention, les annonces prématurées, et la mise en œuvre, il y a à boire et à manger. En effet, parmi les points de revendication du collectif national des étudiants de Guinée, dont une partie a récemment manifesté pacifiquement devant les locaux du MESRI, figure en bonne place la mise en place des ENT. Étonnant tout de même, quand ce projet figure dans le bilan du ministère.

Outre le fait de la non-effectivité du projet, mené et imposé de manière quasi unilatérale par le ministère, sans une vraie concertation avec les principaux acteurs concernés et les défis liés à l’accessibilité à Internet, il y a lieu de s’inquiéter sur les modalités de sa mise en œuvre. L’ENT est censé s’accompagner de la mise en place d’un Intranet dans les établissements. Qui dit Intranet, dit forcément accès en ligne, et donc une connexion Internet. Quand l’usager n’est pas présent sur le site physique de l’établissement, ce qui est souvent le cas en Guinée, du fait de l’absence de dortoirs dans les campus (exceptés par exemple à l’université de Labé), ce dernier doit faire recours à une connexion payante. La Guinée a vécu trois mois sans Internet entre fin 2023 et début 2024, en pleine année universitaire (avec 3 000 étudiants orientés à l’ISFAG avec un enseignement exclusivement à distance). Le MESRI ne s’est jamais exprimé et protesté contre cette restriction d’internet alors qu’il est censé déployer un ENT dont Internet est le canal unique ! Que de contradictions.

Recherche et Innovation: un secteur en panne: une absence persistante de politique nationale cohérente et ambitieuse

Il convient de rappeler que dès 1998, comme l’affirme le SG actuel de l’ANAQ, le MESRI s’est doté d’un plan stratégique pour la période 2000 –2010. Les orientations qui ont été définies dans ce document ont déterminé la forme et la taille du réseau des institutions d’enseignement supérieur actuelles et de recherche scientifique ainsi que l’architecture des formations. Il est donc exagérer de clamer que la Guinée vient de se doter pour la première fois d’une politique pour le secteur.

De plus, la récente tendance à décerner des diplômes honorifiques de doctorat, sans réelle contribution à la recherche, contraste avec des succès observés chez les voisins, comme l’université de Ziguinchor au Sénégal. L’éducation, l’enseignement supérieur, et surtout le monde de la recherche sont suffisamment sérieux pour ne pas être un cirque permanent. Cette université de Ziguinchor, créée en 2000, à la même année que certaines universités guinéennes de l’intérieur, a pu délivrer son 1ᵉʳ diplôme de Docteur en Informatique en décembre 2020 à un candidat qui a réalisé sa scolarité entière au Sénégal.

Pour la recherche et innovation, le MESRI après avoir bénéficié de l’accompagnement du dispositif recherche et innovation de l’Organisation des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (OAECP), à travers le service MSP (Mécanisme de soutien aux politiques) a lancé en 2022 à l’élaboration d’une politique nationale de recherche et d’innovation (PNRI) en Guinée. Parmi les objectifs de ce projet, figuraient en bonne place l’établissement des ponts entre la recherche, l’enseignement supérieur et les secteurs pouvant bénéficier des résultats de la recherche (industrie, santé, secteur socioculturel, etc.). Le MESRI a rendu public fin 2023 sa PNRI sur la base du rapport des experts OAECP. Alors même qu’établir les ponts entre recherche et enseignement supérieur était une des priorités, il est remarquable de noter l’absence de mesures circonstanciées autour de la formation initiale à travers des Masters suivis de Doctorats en lien avec les ambitions (non suffisamment identifiées) du pays. De même, les préconisations en termes de gouvernance vont dans le sens toujours d’une centralisation de la gestion du secteur qui entrave également le développement d’une recherche plus dynamique et orientée vers les besoins nationaux. La décentralisation de la gestion de l’éducation est impérative, en dotant les établissements et leur gouvernance locale de réel pouvoir de décisions, sans avoir peur de l’épée de Damoclès et du chantage du ministère de tutelle.

La Guinée de l’enseignement supérieur et recherche quasi absente des Appels à projets internationaux

Récemment, les autorités ont organisé un atelier visant à familiariser les établissements guinéens avec le programme international européen Erasmus. Cette initiative est louable, car la Guinée est malheureusement absente de la grande majorité des appels d’offres internationaux compétitifs. Mis à part les recherches dans le domaine des sciences de la santé, telles que celles menées dans le cadre du CERFIG ou sur les plantes médicinales, peu d’activités de recherche guinéennes s’intègrent dans les réseaux scientifiques internationaux de renom.

L’Agence Universitaire de la Francophonie (AUF) en collaboration avec le Réseau de recherche francophone sur l’intelligence artificielle (RéFIA), ont lancé en mai 2023 l’appel à candidatures pour la 3ᵉ édition du Programme de Mobilités Sud-Sud pour les chercheurs francophones sur la thématique de l’intelligence artificielle. Alors qu’on évoque partout innovation et digitalisation actuellement en Guinée, aucune candidature guinéenne n’a été observée. De même, plusieurs autres appels sont régulièrement publiés par des acteurs comme l’OIF, l’ADEFSA, Fondation Bill & Melinda Gates, le NIH américain. Il est rare de noter des réussites guinéennes. Autre illustration, anecdotique, le Secrétaire Générale de l’ONU a mis en place un comité d’experts internationaux sur l’IA. C’est un enseignant chercheur du Sénégal qui représente la zone Afrique de l’Ouest francophone. Ce n’est pas un hasard.

Sur le plan de la valorisation scientifique, selon l’indice SJR de SCIMAGJR[7], la Guinée est classée seulement 38ème en Afrique, juste devant le Lesotho et Libéria pour la période de référence 1996-2022 en ce qui concerne le nombre de publications scientifiques citables. Pour ce résultat minime, il convient de saluer les efforts des chercheurs guinéens dans le secteur biomédical, qui ont contribué significativement malgré les difficultés rencontrées. Ce sont les rares, avec quelques participations très marginales, voire inexistantes, des autres disciplines, qui émargent au CAMES.

Malheureusement, les initiatives actuelles telles que le programme de 5000 Masters, 1000 PhD, sont mises en œuvre de manière désorganisée et chaotique, ce qui ne change pas la donne. Les fonds publics sont distribués sans un suivi rigoureux de leur impact réel, compromettant ainsi l’efficacité de ces programmes.

Une refonte des programmes de formation et des filières annoncées mais mal engagée

La refonte des programmes de formation annoncée par le MESRI depuis 2022 pour les adapter au marché de l’emploi et aux besoins des industries guinéennes suscite des interrogations.

Selon les statistiques rendues publiques par les structures de monitoring de l’usage d’internet, les termes les plus recherchés en 2022 en Guinée sont respectivement : Guinée Games (paris et jeux), Live Score (résultats et score de matchs de football), Real (équipe de football), PMU (paris sportifs). Quand on sait que nous étions en pleine période de Covid-19 et les cours étaient censés se dérouler en ligne, il y a de quoi fortement s’inquiéter.

Depuis 2022 le MESRI communique dans son bilan sur la “refonte des programmes” pour les « adapter au marché de l’emploi et le besoin des industries guinéennes ». Étant acteur de l’enseignement supérieur qui collabore avec des établissements en Guinée, cette annonce fait non seulement sourire, mais également révolte. Comment peut-on se glorifier d’une réforme des filières et programmes alors qu’aucune feuille de route pour les établissements n’était disponible et qu’aucun résultat n’est constaté ? Il y a quelques semaines, a été mis à disposition le document intitulé “Rapport Général de l’Autoévaluation des Programmes de Licence et Master”[8] produit par six experts recrutés par le MESRI pour l’étape d’élaboration de l’état des lieux des programmes suite aux préoccupations relatives à l’employabilité des diplômés exprimés en Janvier 2022 lors des journées de concertation sur l’enseignement supérieur. Il serait inquiétant au mieux, dramatique au pire que le MESRI base sa politique de réformes sur ce rapport qui se borne à un catalogue d’observations superficielles sans prise de recul aucune. Il serait utile que les journalistes, professionnels de l’enseignement et le grand public puisse prendre connaissance de ce rapport pour se rendre compte de l’ampleur du problème et les questions que la qualité des expertises censées éclairées les décisions publiques dans le secteur éducatif pose.

L’employabilité et l’insertion professionnelle des étudiants : des défis majeurs non adressés

En 2021, près de 22 000 étudiants guinéens ont obtenu leur diplôme universitaire, dont 6 000 filles. Mais combien ont réellement accédé à un emploi correspondant à leurs études ? Combien ont été contraints de rejoindre les rangs des jeunes clandestins tentant leur chance en Europe ? Faute d’études sérieuses, ces questions restent sans réponse, compromettant ainsi l’élaboration d’une politique efficace en la matière.

Il est essentiel de différencier les jeunes en général des étudiants en particulier lorsqu’on aborde les questions d’employabilité et d’insertion professionnelle. Les politiques actuelles ne répondent qu’à une minorité des jeunes guinéens. La réforme présentée par les autorités de l’enseignement supérieur met l’accent sur deux aspects clés : les stages et l’entrepreneuriat.

Avant l’entrée en vigueur de la nouvelle charte sur les stages proposée par le MESRI, il convient de rappeler l’existence de deux types de stages en Guinée : le stage en alternance et le stage opérationnel. Le stage opérationnel est indépendant de toute formation et est destiné à impliquer le stagiaire dans la vie de l’entreprise qui l’accueille à travers ses activités, par des missions qui lui sont confiées. Ce dernier, souvent abusé par les employeurs, conduit parfois à des situations où des stagiaires accumulent plusieurs années d’expérience dans les entreprises sans rémunération adéquate.

En ce qui concerne l’insertion par l’entrepreneuriat, il est nécessaire de dénoncer les illusions qui entourent souvent ce domaine. Si le programme d’entrepreneuriat étudiant, initié par l’AUF, a bénéficié à la Guinée, les questions concernant le financement propre du MESRI pour ce programme restent sans réponse. L’AUF a initié un programme dans 8 pays initialement, avant le rattrapage de la Guinée qui devient le 9 pays bénéficiaire de l’initiative dotée au global de 2.6 millions d’euros. Ce dispositif inclut la mise en place de centres d’employabilité au sein d’établissements des pays concernés ainsi que la création et le soutien de club entrepreneurs étudiants. Quel est le budget propre en dehors de l’aide de l’AUF que le MESRI a mis à disposition de ce programme ? L’un des gros freins à l’entrepreneuriat localement est le manque d’appuis financiers. Quel est le fond qui a été sanctuarisé par l’État pour accompagner les idées traduites en projets ? Quel est le taux de survie de jeunes entreprises guinéennes ?

Le manque de soutien financier et la faible survie des jeunes entreprises guinéennes soulèvent des doutes quant à la faisabilité réelle de l’entrepreneuriat pour tous les étudiants. En réalité, de nombreux jeunes se tournent vers l’auto-emploi par défaut, faute de débouchés viables. La communication autour de ce projet laisse l’impression que tout étudiant peut entreprendre et réussir. C’est un mensonge, même si en Guinée de nombreux étudiants se sont lancés dans de l’auto-emploi (taxis motos, “tabliers” au grand marché Madina dans Conakry ou des kiosques dans les quartiers, etc.).

Une Loi sur le statut particulier de l’enseignement supérieur qui renforce la centralisation

 

L’enseignement supérieur guinéen est façonné par une législation récente, notamment une loi sur le statut particulier de l’enseignement supérieur qui accentue la centralisation et soulève des préoccupations majeures quant à son application.

Le secteur public de l’enseignement supérieur en Guinée présente de nombreux défis en matière de Ressources Humaines. Il compte moins de 3 100 enseignants chercheurs, dont la plupart détiennent une licence ou un Master, mais peu de doctorat. Cette réalité pose un défi majeur en matière de politique de ressources humaines et de besoin urgent de recrutement massif et d’accompagnement de carrière. La Guinée comptait 3 050 enseignants dans le public, contre 3 450 dans le privé, pour un total d’environ 80 milles étudiants. Parmi ces 6 500 enseignants, seulement 423 sont des femmes, soit uniquement 6% de l’effectif.

Sous l’égide du CNRD, le MESRI a entrepris une refonte des textes réglementaires du secteur, aboutissant à une loi sur le statut particulier de l’enseignement supérieur en juillet 2023. Cette loi, saluée par le syndicat national autonome de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique (SNAESURS), suscite cependant des inquiétudes quant à ses implications.

La loi maintient le contrôle direct des institutions d’enseignement supérieur par le ministère de tutelle, avec la nomination des recteurs ou directeurs généraux par la tutelle ministérielle, restreignant ainsi leur marge de manœuvre. De plus, les présidents des conseils d’administration sont désignés par le gouvernement, ce qui soulève des interrogations sur l’autonomie réelle des établissements.

Cette loi a été complétée par un décret en janvier 2024 sur la rémunération des fonctionnaires titulaires de l’enseignement et de la recherche. Bien que la valorisation des primes ait été entérinée, les salaires restent relativement bas par rapport aux standards internationaux, ce qui risque d’aggraver la crise dans le secteur. Le décret conforte un arrêté pris par le ministre Yéro Baldé en 2017 et qui institua pour les professeurs d’université une prime de dix millions au lieu de 50 milles GNF ; huit millions pour les maitres de conférences au lieu de 40 milles GNF ; six millions pour les maitres-assistants au lieu de 30 milles GNF[9]. La Loi de juillet 2023, a entériné la valorisation des primes, sans pour autant toucher substantiellement aux salaires. Il convient de mentionner à titre de comparaison que l’enseignant chercheur touche à minima 1 900 euros à son recrutement au Sénégal avec les réformes engagées au temps du président Wade. Aussi, face à un contexte accru de compétitions régionales, restreindre le recrutement d’enseignants chercheurs aux nationaux semble être une aberration.

Dans le contexte actuel guinéen où l’enseignement supérieur public fait recours à une majorité d’assistants, sans doctorat, cette nouvelle Loi présentée comme une avancée, va créer de nombreux dégâts et risque de paralyser le secteur. Ajoutons à cela, la mise en œuvre actuelle d’une autre initiative de la période 2017-2018, consistant à renforcer la capacité des enseignants chercheurs : le programme 1000 PhD, 5000 Masters. Avec le CNRD, le MESRI a repris cette initiative en l’implémentant de manière désordonnée. Les bénéficiaires rencontrent des obstacles dans l’obtention de leurs bourses, illustrant les lacunes dans la gestion de ces initiatives. À titre d’exemple, en Mars 2024, il y aurait toujours, selon les témoignages recueillis, des bénéficiaires, et qui n’ont pas eu encore accès à leur bourse, soit quatre mois avant la fin de l’année universitaire.

Étant à sa 5ème édition, l’évaluation sérieuse de l’impact ni un suivi structuré du parcours des bénéficiaires ne semblent disponibles.

La faiblesse de l’évaluation des établissements du supérieur et des programmes de formation

L’Agence Nationale d’Assurance Qualité (ANAQ) joue un rôle déterminant dans l’enseignement supérieur en Guinée, mais des lacunes importantes dans son fonctionnement compromettent son efficacité et sa crédibilité.

L’ANAQ est le fruit du projet BOCEJ et est un établissement public administratif bénéficiant d’une autonomie financière et organisationnelle. Son indépendance dans ses jugements et décisions est cruciale pour son rôle de garant de la qualité de l’enseignement supérieur.

Cependant, de nombreuses critiques émergent quant à son fonctionnement et à la mise en œuvre de ses objectifs. Les responsables d’établissements publics et privés expriment leur mécontentement quant à la qualité jugée peu professionnelle des rapports produits par l’ANAQ.

Une des principales lacunes réside dans le recrutement d’experts pour l’évaluation des établissements, des programmes et des filières. Les critères de sélection semblent flous, et certains membres de l’ANAQ ne présentent pas une expertise avérée dans le domaine de l’enseignement supérieur.

De plus, le manque de transparence dans la communication des critères et des résultats des évaluations pose problème. Les informations sur la composition des organes de l’agence ne sont pas accessibles au public, ce qui soulève des préoccupations quant aux éventuels conflits d’intérêts entre les évaluateurs et les établissements évalués.

Des critiques ont été formulées récemment concernant le classement annuel de la performance des institutions d’enseignement supérieur établi par l’ANAQ. Le manque de transparence sur les critères utilisés pour ce classement, ainsi que sur la méthodologie employée, remet en question la fiabilité de ces évaluations[10]. Ce classement, établi semble-t-il, sur la base de quatre critères incluant la Gouvernance, Enseignement Supérieur, Infrastructure. Le détail de ces critères n’est pas rendu public et fait étonnant, l’évaluation relègue une des institutions qui comprend le plus de publiants du pays dans un rang peu honorable.

Il est impératif de réformer l’ANAQ pour garantir des pratiques plus professionnelles et transparentes. Cela nécessite une révision approfondie des processus de recrutement des experts, une plus grande transparence dans les évaluations et la communication des résultats, ainsi qu’une révision des critères utilisés pour les classements. Ces réformes sont essentielles pour renforcer la confiance dans le système d’assurance qualité de l’enseignement supérieur en Guinée. J’y reviendrai dans les solutions proposées.

Conclusion

On l’a vu, l’enseignement technique, supérieur et la recherche en Guinée souffrent de nombreux maux : manque de cohérence des réformes, faiblesse de la recherche, inadéquation entre les formations et les besoins du marché, etc. Les menaces de grèves des enseignants ou les manifestations récentes des étudiants montrent à suffisance que de nombreux problèmes subsistent et de nombreuses vraies questions n’ont pas été abordées[11].

En conclusion, les réformes annoncées par le METFPE en Guinée Conakry soulèvent des questions importantes quant à leur cohérence, leur pertinence et leur mise en œuvre effective. Pour véritablement transformer le système éducatif et répondre aux besoins du marché du travail, il est essentiel d’adopter une approche plus stratégique et intégrée, en tenant compte des spécificités régionales et des réalités du secteur informel. De plus, il est nécessaire de clarifier la distinction entre l’information et la communication, en mettant l’accent sur des actions tangibles et des résultats mesurables plutôt que sur des annonces médiatiques.

De même, les annonces de réformes du MESRI semblent refléter des efforts pour moderniser le système éducatif supérieur et améliorer les conditions d’études des étudiants. Cependant, ces mesures sont confrontées à des défis importants, notamment en ce qui concerne la transparence, l’efficacité et l’impact réel sur le terrain. Pour véritablement transformer l’enseignement supérieur en Guinée, il est nécessaire d’adopter une approche plus stratégique, intégrée et inclusive, en tenant compte des besoins et des aspirations de toutes les parties prenantes impliquées dans le processus éducatif.

Ainsi donc, des réformes profondes et ambitieuses sont nécessaires pour améliorer la qualité de l’enseignement, favoriser l’insertion professionnelle des diplômés et développer la recherche scientifique. La troisième partie de cette série d’analyse va s’attacher à proposer des solutions qui contribueront à aller dans la bonne direction.

Le 17 Mars 2024

Gayo DIALLO, Enseignant Chercheur

[1] https://tinyurl.com/educationgn1

[2]https://224infos.org/education/15197/mesrsi-metfp-signature-de-l-arrete-conjoint-entre-le-ministre-de-l-enseignement-technique-alpha-bacar-barry-et-son-homologue-de-l-enseignement-superieur-de-la-recherche-scientifique-et-de-l-innovation-dre-diaka-sidibe.html

[3]https://guineematin.com/2022/08/26/le-ministere-de-lenseignement-technique-et-de-la-formation-professionnelle-signe-une-convention-de-partenariat-avec-lisseg/

[4]https://guineematin.com/2022/11/12/enseignement-superieur-nous-avons-engages-des-reformes-majeures-rassure-dre-diaka-sidibe/

[5]https://www.donneesmondiales.com/afrique/guinee/inflation.php

[6]https://guinee114.com/des-bus-aux-etudiants-dans-un-contexte-dune-possible-hausse-du-prix-du-carburant/

[7]https://tinyurl.com/scimagojrgn

[8]      Richard, M. Diallo, S. Camara, A. Napon, M. Ndiaye, F. Doucouré: Rapport général de l’autoévaluation des programmes de Licence et Master. Projet de reformes des programmes des IES de Guinée, Novembre 2023

[9]https://justinmorel.info/2017/08/05/universite-sonfonia-le-ministre-yero-balde-et-les-primes-des-professeurs-du-superieur/

[10]https://tinyurl.com/anaq2223

[11]https://guineematin.com/2024/03/16/institut-de-dalaba-les-enseignants-chercheurs-menacent-de-ne-plus-sieger-dans-un-jury/#google_vignette

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