Chronique de la Transition : Répétition générale !

Général Umaro El Mokhtar Sissoco Embalo et Colonel Mamadi Doumbouya

Par Me Titi Sidibé et Mory Camara : D’une certaine manière, on peut dire que la transition rentre tout doucement dans une zone de turbulence dont les secousses rappellent la réalité de l’exercice du pouvoir à une junte en quête d’inspiration pour se relancer dans l’opinion.

L’absence du Premier ministre « pour contrôle médical » en Italie semble avoir été intégrée par les guinéens comme étant le signe d’un départ définitif soigneusement négocié entre l’intéressé et le CNRD. Les rumeurs d’un retour imminent du Premier ministre se font pourtant entendre çà et là.

Le sort du Premier ministre, Mohamed Béavogui, ne changera pas grand-chose à la réalité de la transition. Il faut reconnaître qu’il n’a pas marqué les esprits par son indépendance ou encore par sa grande proximité avec le peuple.

Cela dit, l’une des premières secousses de la semaine est apparue avec l’arrestation de Monsieur Abdoulaye Sow, secrétaire général de la FESABAG (principal syndicat du secteur financier guinéen) pour outrage à magistrat. L’arrestation du leader syndicaliste eut pour effet le déclenchement d’une grève générale des banques dès le 14 juillet. Mouvement qui s’est traduit par une contraction de l’activité économique du pays. Finalement, l’incompréhension et l’agacement d’une bonne partie de l’opinion, à la fois face à l’inertie des autorités et au mépris des banques pour leurs clients, ont suffi à un dénouement heureux le 22 juillet avec la libération du Sieur Sow.

L’arrestation d’Abdoulaye Sow avait été justifiée par les propos du syndicaliste consécutifs à la condamnation de deux établissements financiers, Ecobank et Afriland First Bank, dans des litiges les opposant à des hommes d’affaires locaux. Le leader syndicaliste avait estimé que les jugements intervenus étaient le fait de magistrats véreux. Les autorités de la transition semblent néanmoins avoir désamorcé la crise en s’investissant activement pour une solution négociée dont on ignore encore l’issue définitive. Quant à la FESABAG, son image semble avoir pris un coup aux yeux de l’opinion, victime directe de ce débrayage.

Par contre, une information semble avoir été occultée par la proclamation des résultats catastrophiques du Baccalauréat. En effet, le lundi 18 juillet 2022, alors qu’il s’apprêtait à prendre l’avion pour Dakar dans le cadre d’une rencontre sous-régionale des acteurs de la société civile, Foniké Menguè a été empêché par la police de l’Air de prendre son vol.  Cette restriction faite au coordinateur national du Front pour la Défense de la Constitution (FNDC), sans aucune motivation officielle, a fait resurgir le souvenir des pratiques liberticides des années Alpha Condé où le droit de voyager de certains citoyens dépendait de l’humeur du locataire de Sékhoutoureya. Une façon de faire du Alpha Condé sans Alpha Condé en renouant avec des pratiques d’un autre âge dénoncées hier par le Colonel Mamadi Doumbouya lors de son allocution de prise de pouvoir.

 L’épisode de l’interpellation musclée du même Foniké Menguè en compagnie de deux autres de ses camarades, début juillet 2022, lors d’une conférence de presse au siège du mouvement, montre à suffisance qu’un bras de fer est en train de naître entre le CNRD et le FNDC. Visiblement, l’histoire d’amour impossible entre le FNDC et le pouvoir du 5 septembre ne fait que commencer. Les T-shirts rouges étant déterminés à faire plier une junte qui a tout de même échoué à obtenir l’autodissolution de l’encombrant FNDC.

Le mardi 19 juillet 2022, l’ancien président du Benin, Thomas Yayi Boni, émissaire de la CEDEAO et médiateur de la crise guinéenne, arrivait à Conakry dans le cadre de sa mission devant faire aboutir le dialogue inter-guinéen. Même si rien n’a encore filtré des entretiens de Yayi Boni avec les autorités de la transition, on ne peut se faire d’illusion quant à une avancée notable des pourparlers en cours, ce d’autant plus que le médiateur n’a, durant son séjour, nullement rencontré les acteurs politiques et ceux de la société civile.

Si la photo de Yayi Boni avec « Grand P » a fait dire à certains observateurs que les autorités de la transition ont accordé tellement peu d’importance à la médiation de l’émissaire de la CEDEAO, qu’ils se sont faits représenter par la « mascotte du pays ».  L’histoire retiendra que l’accueil réservé à l’ancien président béninois n’a pas été des plus chaleureux.

Le lendemain, le 20 juillet 2022, Monsieur Umaro Sissoco Emballo, président de la Guinée-Bissau et nouveau président de la Conférence des Chefs d’Etat de la CEDEAO, ainsi que Monsieur Omar Aliou Touré, président de la commission de ladite Institution, ont fait le déplacement à Conakry. Contrairement à Thomas Yayi Boni, reçu à son arrivée par des personnalités de second plan, c’est le président de la transition lui-même, accompagné de son Premier ministre par intérim, du ministre secrétaire général à la présidence, du chef d’état-major de la gendarmerie nationale et de celui des armées, qui reçut la délégation à sa descente d’avion.

On notera l’ambiguïté des autorités de la transition à jouer le chaud et le froid dans un processus de transition dont elles estiment encore avoir le contrôle, alors que les sanctions de la CEDEAO sont aux portes de la Guinée.

Les trois émissaires de la CEDEAO dont Yayi Boni, ont néanmoins pu rencontrer les diplomates de quelques grandes chancelleries étrangères pour évoquer les enjeux de la transition guinéenne. Malheureusement, aucune tendance n’a filtré des différents entretiens alors que le délai d’un mois fixé par la CEDEAO à la junte militaire pour créer un cadre de dialogue inter-guinéen et présenter une durée acceptable de la transition, est arrivé à échéance. Bien malin celui qui voit clair dans la stratégie de sortie de crise du CNRD.

Enfin, dernière chose et non des moindres, le FNDC a annoncé en date du 21 juillet 2022, lors d’une conférence de presse à son siège, qu’il organisera une série de « manifestations citoyennes et pacifiques » dans le grand Conakry, les jeudi 28 juillet et 04 août 2022 sur toute l’étendue du territoire national.

Rappelons que le Front avait déjà suspendu un précédent appel à manifester courant juin 2022 afin de donner une chance au cadre de dialogue annoncé par le premier ministre, Mohamed Béavogui. Entretemps, les choses n’ayant pas beaucoup évolué entre la junte militaire et le FNDC, on peut en déduire que le désaccord entre les deux parties semble irrémédiable à en croire les déclarations des uns et l’attitude des autres.

La principale inconnue reste l’attitude du CNRD face aux manifestations annoncées, quand on sait qu’il a interdit les manifestations politiques sur toute l’étendue du territoire. Toujours est-il que les principaux partis politiques, l’UFDG et l’UFR ont demandé à leurs militants de se joindre au FNDC pour manifester contre le manque de cadre de dialogue et la restriction des libertés publiques.

On notera bien évidemment la déclaration du RPG Arc-en-ciel et alliés, de se joindre au mouvement de protestation contre le CNRD, notamment pour obtenir la libération des cadres du partis injustement détenus. Quelle belle alliance de convenance, car par le passé, lorsque le RPG Arc-en-ciel tenait les rênes du pays, il s’évertuait sans cesse à dénier toute légitimité au FNDC pour représenter la société civile. Cruelle ironie de l’histoire !

Toutefois, derrière cette union sacrée, il y a lieu de s’interroger sur l’intérêt des manifestations ponctuées des éternelles et classiques marches. Le Front commet l’erreur de ne pas tenir compte de la lassitude née de ces dernières et prend le risque de se lancer dans une épreuve de force de ce type en pleine saison des pluies. Le risque est d’autant plus grand, que s’il échoue à mobiliser le peuple derrière lui, il entamera sa crédibilité à jamais. Peut-être aurait-il fallu adopter une approche différente face à un adversaire n’hésitant pas à les présenter depuis le début à l’opinion comme étant des fauteurs de troubles.

L’ambiance des prochains jours promet ainsi d’être très animée, même s’il faut espérer que cela ne dégénère pas au point de réveiller les fantômes des manifestations ensanglantées connus jadis. Il faudrait tout de même noter tout le génie du CNRD à favoriser les alliances les plus inédites contre lui à un moment aussi important pour le pays. Les principaux partis du pays et d’autres mécontents comme le parti de Badra Koné (Nouvelle Génération Politique), comptent se joindre au FNDC pour un rappel à l’ordre qu’ils estiment nécessaire.

Les jours à venir seront forcément décisifs pour le CNRD qui devra choisir entre : adoucir ses élans pour plus de cohésion ou de durcir sa position afin d’aggraver une crise qui ne cesse de s’enliser.

Par Me Titi Sidibé et Mory Camara

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