Guinée : l’éducation nationale fustigée par l’écrivain Aly Ben Camara, ‘’ABC’’

Aly Ben CAMARA ‘’ABC’’, auteur et ancien Proviseur

Libre Opinion : À en croire, le Ministère de l’enseignement pré-universitaire et de l’alphabétisation (MEPU-A), ou plutôt le Ministère de l’Éducation nationale et de l’Alphabétisation, ou encore Ministère de l’enseignement et que sais-je, puisqu’il s’agit en réalité d’un département qui change de substantif et de Ministre comme de chemise, n’a quasiment pas changé son fusil d’épaule et continue assurément sa traditionnelle descente aux enfers depuis des décennies.

« MEPU-A » ou « Ministère des examens nationaux » ? 

C’est l’un de nos maux avares. Comme l’on se délecte à nous jeter des perles devant les pourceaux, sans doute il s’agit-là du « Ministère des examens nationaux ». Cette période et la gestion des examens nationaux en Guinée qui sont une vache laitière, font trop de bruit pour toujours un aboutissement en dessous des attentes de la population, à tel enseigne qu’on a l’impression que l’enseignement/apprentissage et toutes ses valeurs cognitives de notre pays se résument là.

Mais qu’en est-il des classes intermédiaires encore appelées classes de passage ? Bien que plus cruciales que les classes d’examen normalement, elles sont cependant réduites à leurs plus petites expressions et considérées comme la cinquième roue du carrosse. Ce déséquilibre injuste et indu fait que depuis toujours les classes d’examen ont plongé les classes intermédiaires dans un coma que nous croyons incurable à force de prétendre s’y éterniser. Ipso-facto, inéluctable devient ce boomerang : le coma des classes intermédiaires engendre pour sa part et de façon vindicative, la catastrophe perpétuelle des résultats des examens nationaux. Très peu d’écoles à défaut de dire aucune, accorde du sérieux aux évaluations semestrielles et finales dans les classes de passage. N’eût-on peut-être pas pris cette dénomination au mot, « classes de passage », c’est-à-dire des classes où il n’y a pas d’échec ? Des classes où tout le monde vient et passe sans arrêt comme le nom l’indique bien « classes de passage ». Il faut être l’ultime des maudits pour échouer dans lesdites classes car toutes les portes et fenêtres sont tenues ouvertes pour offrir un maximum d’options confortables au démérite. C’est un mouvement d’ensemble dans ces classes, à l’image d’un essaim ou d’une colonie de criquets pèlerins. Pas de redoublants ici ! Tout le monde est intelligent jusqu’à l’arrivée dans les classes d’examen où miraculeusement les candidats s’obligent à confier la fraicheur de leur intelligence mémorielle aux parents à domicile avant de rejoindre les centres d’examen où ils tenteront même le diable, dans leur étrange incapacité à se tirer d’affaire devant le plus amoindri sujet à aborder. C’est autant dire que tant que les classes de passage brulent, les classes d’examen seront réduites en cendres.

L’implémentation des caméras de surveillance mises à contribution n’est pas mauvaise en soi. L’idée est bonne mais pas le moment, loin d’être opportun, c’est aller vite en besogne.

Les priorités du MEPU-A devraient plutôt être de :

  • S’investir dans l’amélioration des conditions de vie et de travail des enseignants qui peinent jusqu’ici à concrétiser le moindre de leurs rêves, sans occulter le cas spécial des enseignants communautaires contractuels ;
  • Procéder à la construction moderne d’infrastructures scolaires publiques tant en zone urbaine qu’en zone rurale afin de minimiser le taux d’analphabétisme qui tient toujours tête parmi les plus vertigineux en Afrique, s’investir dans la pierre privée en l’étatisant pour soulager l’écrasant coup financier qui pèse mortellement sur les épaules des parents d’élèves via les frais de scolarité dans les écoles privées. Mais, n’eut-été l’existence de ces écoles privées malheureusement trop chères aujourd’hui, on ne saurait parler d’enseignement en Guinée, contrairement aux années antérieures à celle de 2000 où nous avions assisté à une importante émergence d’institutions scolaires privées.
  • Combler cet éternel manque d’enseignants surtout dans les classes de passage, auxquelles on ne s’intéresse presque pas, vu que ce ne sont pas de royales classes d’examen où tout est concentré ;
  • Mettre terme à la rareté de la formation des formateurs et la formation des formateurs des formateurs, au manque de suivi et d’évaluation surtout, ainsi qu’à la discontinuité de la formation des formateurs car par an, l’on peut initier une seule formation et qui n’est pas à la portée de tous, parfois annuellement, aucune ne voit le jour.
  • Rendre effective l’implication efficiente des autorités dans la tenue des évaluations semestrielles et finales dans les classes de passage aussi bien dans le secteur public que privé ;
  • Rendre indépendantes et compétentes les missions d’inspection scolaires et de délégués aux examens nationaux qui sont souvent kitsches et du tape-à-l’œil.
  • Juguler l’attribution fantaisiste des notes aux élèves, fondée sur une corruption polymorphe via l’intimité des liens sociaux, le paiement de rançon financière, le plaisir de faire une partie de jambes dans l’air ;
  • Construire et équiper une bibliothèque ou un point de lecture pour chaque école ;
  • Construire et équiper un laboratoire moderne pour chaque école ;
  • Réactualiser les programmes d’enseignement devenus trop obsolètes ;
  • Doter en outils informatiques l’administration de chaque école afin de digitaliser le processus de gestion des documents administratifs et des notes d’évaluation ;
  • Confectionner des tables-bancs modernes pour remplacer ces autres vampires et squelettiques renouvelables chaque cinq ans du moins alors qu’on peut en faire pour plus d’une décennie ;
  • Attribuer un numéro officiellement permanent à chaque élève et exiger cette mesure strictement aux nouvelles recrues pour pouvoir définir exactement le taux d’alphabétisme et rompre avec cette série de renouvellement des PV à chaque examen annuel.
  • Rebaptiser certaines écoles par les noms de grands auteurs ou de dignes personnalités publiques.
  • Supprimer l’examen du CEE après que toute cette scène précédente soit concrétisée.
  • Penser maintenant à l’implémentation des caméras de surveillance lors des examens serait la bienvenue.

Ainsi, l’on se souviendra des anciens Ministres de l’éducation : K2 laissant un héritage monumental devant les médias en ces termes « Est-ce que ton caméra-là est bon ? », Professeur Bano Barry avec les détecteurs de métaux, le savant Guillaume Hawing avec des caméras de surveillance, et je ne sais qui le prochain pour envoyer des robots ou des drones de surveillance aux examens nationaux.

Toucher du doigt la plaie béante de l’éducation nationale en république de Guinée, précisément de l’enseignement pré-universitaire et de l’alphabétisation, c’est attester du patriotisme, et exprimer toute sa profonde préoccupation pour l’avenir dubitatif de nombreuses générations d’apprenants appelés à prendre en main la relève, donc l’avenir de la nation car « tant vaut l’école, tant vaut la nation ».

Cet adage ne résume-t-il le misérable sort que s’est réservé notre pays depuis belle lurette malgré toutes nos richesses naturelles ? Car me semble-t-il que nous continuons à ignorer que l’enseignement demeure l’industrie de fabrique des ressources humaines, socle de tout développement harmonieusement durable.

Aly Ben CAMARA ‘’ABC’’, auteur et ancien Proviseur

Tél. : +224624724148

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