Conakry : un imam fait condamner son fils pour menaces au tribunal de Mafanco

Tribunal de Mafanco

Elhadj Ibrahima Baldé, imam de son état, poursuit son fils Mamadou Bachir pour injures et menaces. A la barre du tribunal de première instance de Mafanco, le prévenu a reconnu les faits mis à sa charge. Il a été reconnu coupable et condamné à deux ans de prison assortis de sursis, a appris sur place Guineematin.com à travers un de ses reporters.

Le prévenu Mamadou Bachir Baldé est sous mandat de dépôt depuis le 28 juin 2024. Appelé à la barre, le jeune homme, maigrichon, a reconnu les faits. « Je reconnais les faits. C’est à cause du prix d’une paire de chaussures. La paire de chaussures coûte 20 000 GNF. Je ne l’ai pas menacé pour lui faire du mal. C’est mon père biologique. Nous logeons ensemble », a expliqué le prévenu.

La juge M’Balou Traoré va poser des questions de compréhension au prévenu :

– Pourquoi avez-vous menacé votre père ? « A cause de la paire de chaussures… »

– Comment l’avez-vous menacé ? « C’est en demandant de m’aider à avoir le prix de chaussures. Je n’avais rien même pour manger »

– Pourquoi l’avoir menacé ? « Ça s’est passé comme ça. Je ne vais plus le refaire… »

Pour éclairer la religion du tribunal, la juge appelle Elhadj Ibrahima Baldé. La partie civile dans cette affaire, père du prévenu et de surcroît un imam, va s’expliquer : « il était déjà venu ici en 2022 pour les mêmes causes. Il avait fait une année de prison à la maison centrale. C’est moi qui ai porté plainte pour menaces et injures… »

La juge relance la partie civile avec des questions :

– Quels sont les faits menaçants de sa part : « il a dit qu’il allait me tuer. Il a pris le couteau, qu’il allait me tuer ».

– Quels sont les faits d’injures : « à son retour de la prison, un jour, il a dit qu’il va se venger en me tuant avec sa maman. Il est à la maison avec nous. Il mange et ne fait rien. Si j’achète quelque chose pour lui, il prend et ensuite il revend. En 2022, j’avais porté plainte pour les mêmes causes. Je demande au tribunal de l’enfermer pour l’éduquer… »

La juge rétorque que : « le tribunal n’est pas un endroit pour éduquer les enfants. C’est au père de le faire… »

Le procureur vient à la charge pour questionner la partie civile :

– Vous êtes imam, et quel est le rôle d’un imam ? « C’est pour faire prier et conseiller les gens ».

– Vous donnez des conseils ? C’est qui le prévenu pour vous ? « C’est mon enfant »

– Quelle est sa profession ? « Aucune. Je l’avais fait entrer à l’école, mais il a abandonné ».

– Est-ce qu’il a des frères et sœurs ? « Oui »

– Vous êtes chez vous ? « Oui »

– Pourquoi Mamadou Bachir passe-t-il la nuit au salon ? « Les autres chambres sont occupées ».

– Par qui ? « Moi, mes enfants et mes femmes. »

– Pourquoi d’autres enfants ne dorment pas au salon ? Qu’est-ce qui a manqué dans l’éducation de votre fils ? « J’ai tout fait pour l’éduquer, mais ça n’a pas marché avec lui. Mon fils n’a pas accepté mes conseils. »

– Vous pensez que c’est en le gardant en prison qu’il sera éduqué comme vous le souhaitez ? Vous l’avez négligé. Les autres enfants sont dans les chambres et lui au salon…  « C’est lui qui a fait qu’on ne se comprend pas », a rétorqué l’imam.

Afin de mieux cerner cette affaire familiale, le ministère public va demander au tribunal de faire appel au grand-frère du prévenu présent dans la salle d’audience. Chose demandée, chose faite.

Venu à la barre, Mamadou Aliou Baldé, dit être l’aîné de la famille. C’est un instituteur. Le procureur va lui demander ce qu’il en pense de cette affaire : « À un moment donné, il s’était battu à la maison. C’est mon père qui m’a éduqué. Mon père, une fois, quand je suis allé à la maison, il m’a dit que c’est à moi d’éduquer mon petit-frère, comme je suis l’aîné.

– Vous pensez que votre frère est normal ? « Il me donne l’impression des fois qu’il est dérangé. Des fois, il parle seul, sans s’adresser à quelqu’un. »

– Vous avez une solution pour votre petit-frère ? Nous ne sommes pas là pour condamner seulement. « Je n’ai pas de solution. C’est au tribunal de le faire ».

– Votre père doit-il prendre ses responsabilités de père ? « Oui, c’est ça ».

Le ministère public va par la suite faire ses réquisitions. « Je commence avec ma voie basse. Nous sommes en présence d’un père et d’un fils. Il y a des infractions qui sont visées. En ayant écouté le père, ce sont plus des menaces et non des injures. C’est désolant de constater qu’un père sollicite à son fils de rester à la maison centrale. Le fils a dit qu’il a menacé son père. Constatez le physique du prévenu. Est-ce qu’il mange à sa faim ? Est-ce qu’il est sain ? J’en appelle à la responsabilité des pères de famille que nous sommes. L’enfant prend la paire de chaussures. Il la revend. Il va manger. Le père est imam, celui vers qui les fidèles musulmans bénéficient de conseils. Nous devons revoir nos façons d’éduquer nos enfants. Le père n’a pas réussi à l’éducation de son enfant. En fonction de ce qu’il a fait, je vais proposer une peine. Ce n’est pas à la maison centrale d’éduquer votre enfant. Revoyez la manière dont vous éduquez votre enfant. Personne ne souhaite mettre au monde un enfant et de l’envoyer en prison. Madame la présidente, l’infraction de menace est constituée. Veuillez le retenir dans les liens des faits de menace. Quelle que soit la peine que vous allez prendre, qu’elle soit assortie de sursis », a déclaré le représentant du ministère public.

Recevant l’autorisation de plaider sa défense, Mamadou Bachir Baldé va demander pardon. « Je vous demande pardon. Je ne vais plus refaire. Depuis hier, je n’ai pas mangé… »

En rendant sa décision sur siège, le tribunal va déclarer Mamadou Bachir Baldé à 2 ans prison assortis de sursis. Il rentre finalement chez lui, après plus de 20 jours en détention à la maison centrale.

Boubacar Diallo pour Guineematin.com

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