Crise au Niger : Dr Abdoulaye Sylla, spécialiste du Droit international, livre son analyse

Dr Abdoulaye Sylla, spéciale du Droit international public et des questions de relations internationales

Depuis le putsch du 26 juillet dernier contre le régime du président Mohamed Bazoum au Niger, la junte militaire du CNSP est à couteaux tirés avec la CEDEAO soutenue par la France. L’organisation sous-régionale a imposé un embargo financier et économique au Niger et elle menace les putschistes d’une intervention militaire pour les chasser du pouvoir à Niamey. Le dialogues peine à démarrer entre les deux camps. Alors qu’au Niger, la junte du Général Abdourahamane Tchiani assoit son pouvoir à coût de décrets et de nomination.

La France a déjà évacué du Niger ses ressortissants, mais les autorités militaires au pouvoir à Niamey souhaitent rompre les relations diplomatiques avec Paris. Les militaires exigent même de la France le retrait de son ambassadeur basé à Niamey. Mais, les autorités françaises refusent de se plier à cette décision. Les tensions sont actuellement vives entre les deux camps.

Dans un entretien accordé à Guineematin.com ce mardi, 29 août 2023, Dr Abdoulaye Sylla, spécialiste en Droit international en même temps enseignant chercheur à l’Université Général Lansana Conté de Sonfonia, a laissé entendre que la solution à crise nigérienne doit passer par la mise en place d’un président et d’un gouvernement civil pour conduire la transition devant aboutir au retour à l’ordre constitutionnel au Niger. Et, cette option implique que les putschistes acceptent de quitter le pouvoir et que le président Mohamed Bazoum renonce aussi pouvoir.

Décryptage !

Guineematin.com : quelle analyse faites-vous de la crise au Niger après le coup d’Etat contre le président Bazoum ?

Dr Abdoulaye Sylla : Vous savez, la crise nigérienne fait l’actualité africaine. Ça préoccupe non seulement les Etats de la CEDEAO, mais encore l’Union Africaine et d’autres qui interviennent dans la résolution de cette crise. La crise nigérienne est très complexe, compliquée et demande beaucoup de réflexions. Cette crise à mon sens mérite d’être dépassionnée pour trouver des éléments de solution, des éléments concrets en vue de sortir de la crise. Pour ma part, il y a un ensemble de facteurs. D’abord, il y a une thèse qui s’est posée. Cette thèse-là, c’est que les militaires ne veulent plus du président Bazoum. C’est la raison pour laquelle ils l’ont renversé. Et, apparemment, ils ne veulent pas coopérer pour un retour du président Bazoum au pouvoir. Ça, c’est la thèse. L’antithèse, c’est que les organisations internationales, telles la CEDEAO, l’Union Africaine et même au-delà, l’ONU pour principe de condamner de manière énergétique les coups d’Etat qui sont contraires à la légalité. Cette antithèse aussi, c’est que les partisans de celle-ci tiennent à ce que les militaires rendent le pouvoir. Les militaires ne sont pas sur la même longueur d’onde. Pour ma part, la solution se trouve dans la synthèse. Et, cette synthèse consistera à faire quoi ? Elle consistera à demander à ces militaires-là de mettre un gouvernement civil qui va laisser travailler. Et ce gouvernement doit avoir les mains libres, comme ce fut le cas à un moment donné au Mali. Donc, un gouvernement complètement civil. Comme ça les militaires vont comprendre que prendre le pouvoir par la force, ce n’est pas dans leur intérêt. Et, de l’autre côté, la CEDEAO obtiendra gain de cause parce qu’elle obtiendra le départ de ces militaires-là qui vont transférer le pouvoir à un gouvernement civil. Pour ma part, je ne prétends pas avoir le monopole de la lucidité, mais je pense que cette obligation pourrait être envisageable pour éviter des cotisations catastrophiques, dramatiques, parce qu’une intervention militaire aura forcément des effets collatéraux sur la population civile, sur les Etats, les institutions.

Guineematin.com : à présent, que faut-il faire pour normaliser les relations entre la France et le Niger dans l’intérêt des peuples français et nigérien ?

Dr Abdoulaye Sylla : Les militaires ont engagé très tôt un bras de fer avec la France. Vous savez, quand le coup d’Etat est intervenu, la France a condamné avec la dernière énergie. Vous avez suivi peut-être le discours du président français, Emanuel Macron, qui a fait un discours sur la prise du pouvoir anticonstitutionnelle au Niger. Et ça, ça a généré une autre conséquence. Ça signifie que pour la France, elle ne reconnaît pas le gouvernement actuel du Niger, c’est-à-dire le régime militaire. Or, en droit international et relations internationales, il y a deux types de reconnaissances : la reconnaissance de l’Etat quand l’Etat recouvre son indépendance, on peut ne pas reconnaître le nouvel Etat et quand un gouvernement aussi est constitué, on peut ne pas reconnaître ce gouvernement. Mais, tout ça là, ça a des implications. La première implication, c’est que quand vous reconnaissez un Etat, cela suppose que vous pourriez éventuellement entretenir des relations diplomatiques avec cet Etat. Mais, si vous ne reconnaissez un Etat, vous n’allez entretenir des relations étatiques avec cet État, parce que vous ne reconnaissez pas ce dernier comme étant un État. La reconnaissance d’un gouvernement a ses implications. Mais, si vous ne reconnaissez pas un gouvernement, ça veut dire juridiquement que vous ne pouvez pas entreprendre des relations avec lui. Maintenant, à contrario, est-ce que ce gouvernement peut accomplir des actes qui vous lient ? Juridiquement, non ! Comme la conception des choses, il y a la conception réaliste de la chose. Je vais vous donner un exemple, vous connaissez le bras entre le Mali et la France. Mais, à un moment donné, la junte militaire malienne avait déclaré l’ambassadrice de la France persona non grata. Finalement, elle a fini par partir. Mais, je pense que la même chose va se dessiner au Niger. Normalement, les autorités ne doivent pas imposer quelque chose à la France, parce que juridiquement elle ne les reconnaît pas. Mais en réalité, la France se retrouve devant un fait accompli.

Guineematin.com : si les relations entre la France et le Niger arrivaient à se durcir davantage, à quoi peut s’attendre ?

Dr Abdoulaye Sylla : Vous savez, le putsch est intervenu au moment où les institutions fonctionnaient normalement. Le président Bazoum était en bons termes avec la France apparemment et avec beaucoup d’autres Etats. Cela explique d’ailleurs la présence des ambassadeurs de ces Etats au Niger. Le coup d’Etat est intervenu de manière brutale, de manière inattendue et de manière inopinée. Et, ces États ne diront pas : vu que le coup d’Etat est intervenu, il faut partir. Vous savez, les négociations commencent d’abord par les ambassadeurs qui sont sur place. Donc, ils ne vont pas créer le vide toute suite sur place. C’est que les militaires qui sont là au pouvoir ne se montrent pas coopérants et après on trouve que le coup d’Etat est fait à dessein. C’est là qu’on va plier ses valises pour partir. Sinon, ce n’est pas parce que les gens ont pris le pouvoir par la force qu’il faut tout de suite fermer les portes de l’ambassade et partir.

Guineematin.com : la France dit ne pas reconnaître le régime militaire nigérien, mais en même elle dit ne pas vouloir faire quitter son ambassade. N’y a-t-il pas un paradoxe de la part de la France à votre avis ?

Dr Abdoulaye Sylla : il y a un paradoxe. Mais, vous savez, les États n’ont pas d’amis. Ils n’ont que des intérêts. Le premier paradoxe se trouve au niveau de la France elle-même. Tantôt elle reconnaît de manière expresse ou tacite certains gouvernements de facto, je veux parler du cas du Tchad. Appartement la France est en bons termes avec la junte militaire au Tchad et en Guinée aussi. Par contre, la France n’est pas en bons termes avec les juntes militaires du Mali, du Burkina et du Niger. Pourquoi tantôt avec les uns ça se passe bien, avec les autres ça ne se passe pas bien, alors que tous ces gouvernements-là sont des gouvernements d’exception qui ont mis un terme à un régime normal, démocratique, à un régime où le président est élu ? Ça, c’est un premier paradoxe. Le deuxième qu’on peut qualifier de paradoxe, je ne trouve pas ça comme un paradoxe. C’est que la France s’est retrouvée devant un fait accompli. Doit-elle quitter parce que le coup est survenu ou bien faut-il attendre qu’on lui demande de partir pour qu’elle s’en aille ? Ce n’est pas parce que les militaires ont pris le pouvoir que vous devez tout de suite créer le vide après. Vous cherchez à négocier avec la junte en place pour voir si elle accepte de coopérer soit pour le retour au pouvoir du président Bazoum, soit l’option qui consiste à demander aux militaires de passer le pouvoir à un gouvernement civil qui va organiser la transition pour un retour rapide à l’ordre constitutionnel. C’est ma position.

Guineematin.com : si les deux camps, c’est-à-dire la France et le Niger, se maintiennent sur leurs positions, quelles conséquences peuvent-elles en découler sur la communauté française au Niger et la communauté nigérienne en France ?

Dr Abdoulaye Sylla : cette affaire, c’est une affaire purement politique entre une junte qui n’est pas reconnue par un Etat et un État qui a des intérêts dans un pays dont il ne reconnaît pas l’Etat. Donc, cette situation, si elle s’aggrave, pourrait avoir des conséquences vraiment larges qui pourraient affecter des pauvres civils qui se trouvent entre ces deux Etats. En France, il y a une bonne partie de la communauté nigérienne, et vice-versa. Donc, ces citoyens-là, au moment où je vous parle, peut-être sont dans des difficultés. Ils ne souhaitent pas que ces Etats en arrivent là. Mais, comme je vous l’ai dit, le fait est intervenu, ça c’est une réalité, elle est là. La France s’est retrouvée devant ce fait accompli. Je pense qu’aujourd’hui la question principale à se poser est de savoir quelle attitude adopter par rapport à cette junte militaire. Ça, c’est un. Deuxièmement, si la CEDEAO arrivait à abandonner l’intervention militaire, ça signifie que c’est l’option diplomatique qui va prédominer, et la France pourrait fléchir sa position pour aller dans ce sens-là et éviter que la situation au Niger qui est déjà grave ne s’aggrave davantage. Parce que vous n’êtes pas sans savoir qu’il y a le terrorisme, la pauvreté, la misère, le pays économiquement ça ne va pas. Déjà, ça c’est un problème. Maintenant la crise politique vient s’ajouter à ça, c’est que la situation empire. Et si l’intervention militaire arrivait à s’ajouter à ça, ça devient compliqué.

Interview réalisée par Mamadou Laafa Sow pour Guineematin.com

Tél : 622919225

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