Amadou Diallo, ancien correspondant de la BBC, sur un militaire au procès du 28 septembre 2009 : « je pensais qu’il allait nous exécuter »

Amadou Diallo, ancien correspondant de la BBC au procès du 28 septembre 2009

C’est finalement ce mardi, 17 octobre 2023, que le journaliste a pu faire sa déposition devant le tribunal criminel de Dixinn (délocalisé à Kaloum). Et comme attendu, Amadou Diallo, né en 1958 est revenu sur ce qu’il a vécu au stade du 28 septembre en 2009. Dans cette enceinte sportive où au moins 157 personnes ont été tuées, 109 femmes violées et plus d’un millier de blessés, lui et son confrère Mouctar Bah (correspondant de RFI) sont mis en joue par un militaire « déchaîné ». Après le stade, il a été blessé à la main par un gendarme également « déchaîné », a appris Guineematin.com à travers son équipe de reportage.

Amadou Diallo dit être arrivé aux alentours du stade très tôt le matin. Il dit également y avoir vu Colonel Tiegboro Camara qui a fait un geste de la tête après quoi un groupe de manifestants a été dispersé. Au niveau du deuxième portail de l’université Gamal Abdel Nasser, il dit aussi avoir entendu le colonel proférer des menaces après qu’il ait tenté sans succès de dissuader les leaders des forces vives d’alors de ne pas manifester, en ces termes : « Euh euh celui qui parle encore je lui rentre dedans. Moi je parle aux leaders ».

Finalement comme beaucoup de personnes, il est entré dans le stade où les leaders politiques étaient déjà installés à la tribune. Selon lui, c’est à 12h20 minutes que les tirs ont commencé à retentir.

« C’est à partir de 12h20 que j’ai commencé à entendre les tirs mais ça devait être des gaz lacrymogènes. Lorsque ça a commencé à tirer, j’ai entendu les jeunes crier mais ils ne criaient pas parce qu’ils avaient peur en ce moment précis, certains d’entre eux disaient « non, ça c’est de la musique, on est habitué ». Mais progressivement les tirs se sont intensifiés. Et lorsque les militaires de la garde présidentielle ont fait irruption dans le stade, évidemment que les choses ont changé, c’est en ce moment que la débandade s’est installée puisque ça tirait dans tous les sens. Et j’ai vu maintenant des gens courir, ça courait dans tous les sens, ça sortait n’importe comment du stade. Il y avait une bousculade folle. Moi je n’ai pas bougé de là où j’étais, j’étais arrêté sous le cocotier (où il devait recevoir l’appel de la BBC). Et dans cette ambiance de folie, où tout le monde a peur, où tout le monde se cherche, c’était comme une battue dans un village, j’ai vu mon ami Mouctar Bah de RFI à distance, il courait aussi. Je l’ai interpellé, il m’a entendu et il est venu me trouver, j’ai dit nous on ne court pas, nous restons-là, nous sommes des journalistes, nous ne sommes pas des manifestants. Lorsque les militaires vont venir le pire qui peut nous arriver, c’est l’arrestation. Honnêtement, c’est ce que j’imaginais. J’ai dit nous avons nos badges, on va les exhiber quand les militaires vont arriver », a-t-il dit à notre confrère.

Mais rien ne se passe comme il l’imaginait car ils seront mis en joue, agenouillés par un militaire très menaçant, qui les accuse de vendre une mauvaise image de la Guinée à l’étranger.

‘Entre-temps, il y a un jeune soldat qui arrive avec son fusil. Il était très menaçant. Il nous demande qu’est-ce qu’on fait là-bas, nous lui disons que nous sommes des journalistes, correspondants de BBC et de RFI. Il n’en fallait pas plus pour qu’il se déchaîne sur nous et qu’il crie « c’est vous qui vendez la Guinée à l’étranger, c’est vous qui parlez mal de la Guinée à l’étranger ». Je vous le jure, il a braqué alternativement son fusil sur moi et sur Mouctar. Il nous a agenouillés Mouctar et moi au même moment, parce qu’il était très menaçant, la violence était terrible, indescriptible, je n’ai jamais vu pareil (…). Lorsqu’un civile qui n’a que son micro et son Bic est face à un militaire déchaîné, armée, il ne peut pas résister. Nous n’avons pas résisté! Je crois qu’on nous a même demandé de mettre les mains au dos, et c’est en ce moment que j’ai eu peur. Parce qu’à cet instant précis j’ai pensé qu’il voulait nous exécuter », a poursuivi Amadou Diallo.

Lui et son confrère seront sauvés des griffes de ce militaire par un officier plus gradé que lui. Mais en sortant du stade, l’ancien correspondant de la BBC dit avoir vu des corps sans vie, des personnes blessées qui appelaient à l’aide.

« C’est entre-temps qu’un militaire plus gardé que ce soldat est arrivé, il est arrivé au bon moment parce que je vous dis franchement c’était chaud pour nous, Mouctar et moi on suait à grosses-gouttes. On était à terre, agenoués, personne d’entre nous ne pouvait résister (…). Lorsque ce militaire, plus gradé que le soldat qui nous avait agenouillés Mouctar et moi est arrivé…il a dit au soldat « laisses-les, ce sont des journalistes, je les connais, ce sont des journalistes, nous étions ensemble à Labé ». Heureusement que nous étions allés à Labé, je me suis dis que si je n’avais pas été à Labé, la mort serait venue à moi. Et donc le jeune soldat nous a laissés, et je dis à l’officier pourtant nous lui avions dit que nous étions des journalistes. Et l’officier réplique pour dire « vous savez, comprenez-le, c’est des choses qui peuvent arriver ». Et l’officier en question a commis un policier, qui portait la tenue de la police routière, je me suis demandé qu’est-ce lui aussi faisait là-bas dans ce capharnaüm. Mais même le militaire qui nous a sauvé, il était en train de tabasser, de violenter, de se jeter sur de pauvres jeunes manifestants. Alors qu’il savait qu’on était journalistes, c’est lui-même qui l’a dit. Ils nous a sauvé mais il violentait aussi. Le policier qu’il a commis à la tâche de nous escorter avait une branche en main, puisque les militaires étaient déployés sur tout le parcours qui menait au grand portail, le policier avait peur. C’est ce que j’ai compris, évidemment en pareille situation tout le monde a peur. Il avait peur, il disait « journalistes », à chaque mètre ‘journalistes ». Il ne disait pas ça à nous, mais aux militaires. Lorsqu’il nous conduisait, en sortant j’ai vu des corps allongés. J’ai vu des personnes tuées, des corps inertes, les yeux hagards, tournés vers le soleil. J’ai vu des personnes blessées qui criaient à l’aide, je ne pouvais pas les appuyer, je ne pouvais pas les assister. Je ne pouvais même pas dénombrer le nombre de victimes que je voyais, parce que la violence se pouvait sans relâche, sans répit. Alors que je disais à mon ami, regarde, regarde, il me disait « je ne regarde pas, je ne regarde pas ». On continuait la marche, c’était effrayant. Arrivé au niveau du portail le policier qui avait peur comme nous et je le comprends, soulève les deux bras en l’air il dit « ma mission s’arrête ici ». Il s’est retourné à l’intérieur du stade avec sa branche », raconte-t-il.

Après leur sortie du stade, ils se dirigent vers Landreah croyant avoir fini avec leur calvaire. Mais ils rencontrent un groupe de gendarmes qui s’en prennent à eux.

« Mais entre le grand portail et la route pour arriver au quartier Landreah, c’est une distance de moins de 100 mètres, pour transvaser cette distance pour arriver de l’autre côté de la route vraiment c’était une éternité. Je suis allé vers une militaire, grande de taille que je remercie. Quand je lui ai dit que nous sommes des journalistes, aidez-nous à traverser, elle nous a aidé sans dire d’accord je vais vous aider, peut-être qu’en le disant elle pouvait avoir des problèmes avec d’autres militaires, mais c’est qu’elle a fait c’est de prendre son fusil à l’horizontale pour dire « dégagez, dégagez. Donc elle nous a dégagez comme ça jusqu’à ce qu’on traverse la route. C’est comme ça qu’elle nous a aidé après, elle s’est retournée (…). C’est là où nous tombons sur un groupe de gendarmes habillés en t-shirts noirs. Nous disons aux gendarmes que nous sommes des journalistes de BBC et RFI. Le même déchaînement que celui du jeune militaire à l’intérieur du stade: ils se déchaînent aussi, ils disent la même chose « c’est vous qui vendez la Guinée à l’étranger, on va vous faire la fête. Vous allez voir ce qu’on va faire avec vous ». Ils se sont jetés sur nous, ils ont pris nos téléphones, ils ont pris l’argent qui était dans nos poches, comme toujours Dieu arrive au bon moment, entre-temps, il y a un gendarme qui se retire du groupe, qui me prend la main droite gentiment, il sort un poignard de sa poche, il le tient par la lame et il m’assomme ici avec le manche du couteau un coup vraiment violent, immédiatement la main s’est enflée. Et il voulait prendre mon sac pour voir ce qu’il y avait dedans, j’avais peur parce qu’il y avait mon matériel et je ne voulais pas que ce matériel soit touché parce que j’avais enregistré des sons (…). C’est au moment où il était en train d’ouvrir le sac que le jeune Kati (protocole du capitaine Dadis) a surgi, il a sorti son badge CNDD, il a dit « laissez-les, c’est des journalistes que je connais ». Il a parlé avec beaucoup d’autorité, le gendarme et les autres nous ont laissés. Mais j’ai dit à Kati, il a pris mon téléphone, j’ai indexé le gendarme. Il a interpellé le gendarme, il est revenu et il a sorti de sa poche plusieurs téléphones qu’il avait brigandés. J’ai reconnu mon téléphone, je l’ai pris et j’ai dit à mon ami Mouctar viens prendre ton téléphone, il a préféré continuer », a ajouté M. Diallo.

Avec d’autres confrères, ils vont se réfugier au quartier Landreah, commune de Dixinn, dans le domicile de Me Amara Bangoura. Domicile qu’ils ont « transformé » en salle de rédaction. Ils vont le quitter aux environs de 20 heures pour rentrer chez eux.

Au lendemain du massacre du 28 septembre 2009 après la diffusion de son reportage sur la BBC, il reçoit des appels de 3 personnes qui lui demandent de quitter son domicile car il était recherché par les militaires. Finalement, il va le quitter avec sa famille pour aller au Sénégal où il a vécu une dizaine d’années en exil.

Amadou Diallo dit avoir obtenu de sources hospitalières le bilan de 87 morts à l’époque. Par ailleurs, il explique avoir reçu des informations indiquant que certains étaient emmenés derrière l’aéroport (au quartier Faban).

De Kaloum, Mamadou Yahya Petel Diallo et Thierno Hamidou Barry pour Guineematin.com

Facebook Comments Box