Pasteur Simon Pierre LAMAH : « l’excision fait partie des pratiques que la Bible interdit aux chrétiens »

L’excision est cette forme de mutilation qui consiste à une ablation rituelle du clitoris et parfois des petites lèvres chez les jeunes filles. En Guinée, malgré son interdiction, cette pratique persiste au sein des communautés. Pendant les grandes vacances, la recherche des filles ayant l’âge d’être excisée se fait dans toutes les préfectures de la Guinée et même au-delà des frontières. Des délégations sont envoyées dans tous les coins et recoins et même dans les pays environnants de la Guinée tel que la Côte d’Ivoire, le Sénégal et le Mali pour récupérer ces filles en vue de leur excision, rapporte la rédaction régionale de Guineematin.com à N’zérékoré.

Très souvent, les familles se servent des vacances pour envoyer en masse des jeunes filles dans des forêts d’initiation pour procéder à cette pratique ayant des conséquences néfastes sur la vie de la femme. Au-delà des conséquences sanitaires que l’excision peut avoir sur la santé des victimes, la pratique suscite d’autres problèmes dans des communautés, notamment sur le plan économique, psycho-sociale, moral et spirituel. Il s’agit entre autres de la pauvreté, de la division des familles, mais également de la fuite de certaines jeunes filles de leurs localités vers d’autres régions, et parfois vers d’autres pays.

« Ma fille a pris sa jeune sœur et sa propre fille, les trois se sont cachées de moi pour rallier le champ d’initiation. Depuis qu’elles sont parties, bien que je ne fusse pas informée, toutes les charges me sont revenues. Je suis veuve et je n’ai même pas quoi manger. Mais, je suis obligée de les prendre en charge jusqu’à leur sortie de l’initiation. Le manger, la charge des vieilles dames qui s’occupent d’elles, tout reposait sur nous. J’ai été obligée de prendre de grosses dettes pour faire face à leurs besoins », se lamente la veuve Martine.

Dans certaines localités par exemple, des parents montent des complots et envoient des filles contre leur gré dans ces champs d’initiation, parfois contre l’avis de leur père ou mère. Une chose qui provoque de la division dans certaines familles et des fois l’éloignement des filles de leur famille pour échapper à la pratique. C’est une des causes réelles de déchirement des familles.

« Il y a des filles que les parents obligent à partir à l’initiation, puisque c’est une coutume. Certaines refusent de venir au village à cause de cela. Parce que les grands parents veulent coûte que coûte qu’elles passent par là. Donc, ces filles ou femmes sont obligées de rester loin de la famille ou de s’enfuir jusqu’à un bon moment. Ça crée la division dans certaines familles. Si un côté est chrétien, l’autre ne l’est pas, cela devient de plus compliqué. Puisqu’un côté va vouloir envoyer la fille de force à l’excision et l’autre va s’opposer. Et le plus souvent, ils prennent la personne contre son gré, conduisant dans le champ d’initiation. Moi par exemple, ma belle-famille a caché ma petite fille pour l’envoyer sans qu’on ne soit au courant. C’est une pratique qui existe encore et qui peine à prendre fin. Parfois ce sont des filles qui se moquent de leurs camarades qui n’y ont pas été. Tout ceci est un véritable problème encore », confie Dame Kouloubo KALIVOGUI.

Issu d’une famille Zowo (prêtre de la forêt sacrée), ce jeune cadre guinéen originaire de N’Zérékoré et vivant à Dakar (au Sénégal), subi une pression terrible de la part de sa famille.

« Mes parents (Ma mère et mon père) sont des patriarches qui pratiquent les coutumes ancestrales. Il semblerait que c’est ma mère qui est la responsable des exciseuses dans notre village. Nous avions constamment une pression terrible d’emmener nos filles pour les faire exciser. Plusieurs tentatives d’enlèvement de nos filles pour les faire exciser ont été déjouées non seulement en Guinée, mais aussi à Dakar. Ces menaces m’ont poussé à les envoyer loin de moi pour connaître une vie paisible, malgré le grand vide que cela laisse dans mon cœur. Mais, j’ai fait le choix de les tenir hors d’atteinte de cette pratique », a-t-il témoigné sous anonymat.

Qu’est-ce que la Bible dit de l’excision ?

Le Pasteur Simon Pierre Lamah de l’Eglise Protestante évangélique de Guinée, chargé du département de l’évangélisation des enfants, confie que l’excision fait partie des pratiques que la Bible interdit.

« Le mot excision n’est pas mentionné dans la Bible. Mais, elle fait partie des pratiques que la Bible interdit aux chrétiens. C’est Dieu qui a créé l’être humain et lui-même a apprécié ce qu’il a fait. Il a vu que tout ce qu’il a placé en l’homme et en la femme sont vraiment parfaits. Si par décision humaine certains pensent se faire exciser, alors la Bible ne l’apprécie pas. Parce que le corps de la femme et de l’homme est le temple de Dieu. Rien ne doit être fait sur ce corps et qui n’est pas recommandé par Dieu à travers sa parole. La Bible défend aux chrétiens et au peuple de Dieu d’exercer cette pratique qui est néfaste », martèle l’homme de Dieu.

Selon lui, l’excision a plusieurs conséquences spirituelles sur la vie des femmes. Ça empêche le mariage chez certaines et provoque le divorce chez d’autres femmes.

« Quand nous regardons dans le livre de Lévitique chapitre 19, verset 28, la Bible défend aux peuples de Dieu de faire des incisions sur leurs corps à cause des personnes qui sont déjà mortes. Et, il a été découvert que cette pratique se fait sur recommandation des ancêtres déjà décédés. Alors, tous ceux qui pratiquent le font en établissant un lien avec des personnes physiquement présentes dans cette vie et des personnes qui sont décédées. Donc, la pratique de l’excision met en relation l’esprit des personnes qui sont mortes et celles qui vivent encore aujourd’hui. Ça met les excisées sous des influences spirituelles. Des esprits qui entrent dans la vie des personnes excisées qui prennent les contrôles négatifs. A travers l’excision, certains portent l’esprit de mort. D’autres par les esprits qui causent la stérilité ou des malédictions. D’après des informations reçues, souvent les camps d’excision sont organisés autour d’un fétiche central, et le plus souvent le sang des sujets est souvent recueilli par des exciseuses qu’elles mettent sur ce fétiche. Pour mettre des personnes excisées en contact avec ce fétiche habité de démons. Une fois que le sang des sujets est mis sur le fétiche, alors ces gens rentrent sous l’influence de ces fétiches. C’est pourquoi dans la plupart des cas, il y a des filles ou femmes qui, après leur excision, vivent sous l’influence d’éléments incontrôlés. Elles ne se marient pas, elles ont des faiblesses dans la foi, elles sont des chrétiennes, mais elles n’ont plus la force de continuer dans leur relation avec Dieu, parce que l’excision leur a mis en contact avec des démons qui ont des contrôles négatifs sur leur vie… En tant que pasteur, dans nos entretiens, nous gérons beaucoup de conflit de couples dont la causes est liée à l’excision. Une femme excisée, la partie sensible qui pourrait l’aider à bien habiter sexuellement avec son époux, c’est ce qui est enlevée. Et une fois que tel est le cas, la femme développe des insensibilités dans ses relations intimes. Elle n’a plus le goût, elle n’aime plus aller au lit de son époux. Une fois que cela ne passe pas bien dans le couple, certains maris choisissent de sortir, chercher une autre femme qui n’a pas été excisée qui répond à leur goût. Cela engendre des conflits, de l’opposition, parfois ça aboutit à des divorces. C’est pour éviter tous ces risques que la Bible conseille au peuple de Dieu de ne pas exciser leurs filles, car la sexualité est une bénédiction dont le couple doit bénéficier », soutient Pasteur Simon Pierre LAMAH.

Que dit le code pénal de l’excision ?

Récemment (le 10 août 2023), 11 personnes issues des sous-préfectures de Gouécké, Bounouma et du district Banzou-nord ont été condamnées à des peines allant jusqu’à 12 mois de prison assortie de sursis. Au cours du procès, certaines des vieilles qui pratiquent ces mutilations sont allées jusqu’à mentionner que c’est de cette activité qu’elles tirent leurs pains quotidiens.

Sur le plan législatif, l’article 259 du code pénal dispose que : « quiconque par des méthodes traditionnelles, ou moderne pratique ou favorise les MSF ou y participe, se rend coupable de violence volontaire sur la personne de l’exciser, les ascendants de l’enfant ou ayant la garde qui ont autorisé ou favorisé la MSF sont punies des mêmes peines que l’auteur ». C’est ce qui a conduit le procureur près le tribunal de première instance de N’zérékoré à demander une forte sensibilisation pour l’abandon de cette pratique.

Mais, il est clairement évident que cette loi est lacunaire et sa mise en œuvre inefficace. Voilà pourquoi, on ne cesse de compter celles qui, seules ou en famille, fuient leurs localités ou leur pays pour éviter d’être victimes d’une pratique que ni les autorités, ni les lois ne parviennent à éradiquer.

L’on a peu relevé, par ailleurs, et avec vifs émois, que certaines victimes des noyades dans la mer Méditerranée dans leur tentative de rallier l’Europe sont bien celles qui fuyaient la fureur de leurs parents pour leur opposition à l’excision.

« Il faut continuer à sensibiliser la population sur les méfaits multidimensionnels de cette pratique. Des conséquences énormes au niveau de la stérilité, même au niveau de l’accouchement. En plus de cela, il y a des maladies contagieuses telles que le VIH Sida, ces maladies commencent à prendre de l’ampleur. Parce qu’on utilise le même couteau pour 5, voire 10 personnes. Une quinzaine de personnes utilisent le même couteau. Il n’y a pas de suivi médical. Le traitement n’est pas scientifique, c’est purement traditionnel. On ne sait pas quel produit utiliser pour traiter la plaie. Donc, il faut lutter contre cette pratique tout en faisant des campagnes de sensibilisation à tous les niveaux », a dit Abdoulaye Komah, procureur de la République près le tribunal de première instance de Nzérékoré.

De N’Zérékoré, Foromo Gbouo LAMAH pour Guineematin.com

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