Dette impayée ? Le ministre Mory Condé et le citoyen Souleymane Bah, à couteaux tirés

Rien ne va plus entre Mory Condé, actuel ministre de l’Administration du territoire et de la décentralisation, et Souleymane Bah, ingénieur mécanicien et patron d’une unité industrielle située à Cosa, en banlieue de Conakry. Le premier accuse le second de lui devoir un montant de plus de treize milliards de francs guinéens, tandis que le débiteur assure avoir remboursé l’intégralité du montant qu’il devait à son créancier. A son tour, il accuse le ministre Mory Condé d’user de sa position pour fermer son usine, a appris Guineematin.com à travers un de ses journalistes.

Selon Souleymane Bah, cette affaire remonte à 2016. A l’époque agent de développement local, Mory Condé accorde une dette de deux milliards (2 000 000 000) de francs guinéens à l’ingénieur mécanicien pour lui permettre de faire des travaux d’extension de son unité industrielle, implantée à Cosa, dans la commune de Ratoma. Selon le débiteur, ils ont signé une convention qui prévoyait le remboursement de ce montant dans un délai de six avec un bonus de huit-cents millions (800 000 000) de francs guinéens.

Elhadj Souleymane Bah, propriétaire de l’unité industrielle

« C’est ce qui est dans le contrat initial. Et je l’ai remboursé intégralement. Évidemment, je ne l’ai pas remboursé d’un seul coup parce que l’entreprise étant dans d’énormes difficultés, mais au final, il a récupéré le principal et les intérêts », a expliqué Souleymane Bah, ajoutant qu’il a été surpris que le Mory Condé le rappelle en 2021 pour lui dire qu’il n’a pas fini de rembourser sa dette. Suite à cela, il a dit avoir reçu, en mars 2021, un document qui lui a été transmis par un huissier de justice, l’informant que la justice va saisir ses biens pour non-paiement de la dette.

« J’ai dit non, ce n’est pas normal, parce que je ne dois pas à M. Mory Condé. Ils sont entrés dans mon usine pour prendre tout un tas de trucs. J’ai pris le document immédiatement pour le déposer à mon avocat, qui est parti intenter un procès et revendiquer. Dans ce document, le contrat initial était de deux milliards plus le bonus de huit-cents millions. Ce qui fait un total de deux milliards huit-cents millions de francs guinéens. Mais il a envoyé ce document chez un notaire, qui falsifie le document pour dire que je dois à M. Mory Condé 5 535 715 000 francs guinéens », soutient M. Bah.

C’est ainsi que le 20 janvier 2022, alors que le dossier était pendant devant la Cour d’appel de Conakry, des policiers ont effectué une descente musclée dans son usine. « Plus 49 policiers sont venus vider tout le personnel de l’atelier, ils sont restés seuls dans l’atelier. Ils ont démonté le matériel de production des brouettes qu’on avait commencé à fabriquer. Voici ces brouettes, on n’a pas pu les terminer puisque le matériel avait déjà été enlevé illégalement. Ils ont pris aussi 14 postes à soudeur, 2 tronçonneuses, 3 meules, 152 brouettes finies et un camion où ils ont chargé ces équipements.

En plus, ils ont pris le dernier véhicule de transport du personnel. Ayant déjà les autres camions, ils ont pris le dernier qu’on avait pour faire le mouvement entre ici et Kagbélen. Et puis, les policiers ont battu mon enfant, ils l’ont arrêté pour l’emmener au commissariat central. Ils ont retiré ses téléphones, ceux de ma fille et de la caissière qui est là. Ces téléphones sont encore avec eux là-bas. Ils ont menacé de m’arrêter. J’ai dit au personnel : nous respectons les tenues qu’ils portent, restez dans la salle d’attente ici, laissez-les faire ce qu’ils veulent dans l’atelier », a dit le propriétaire de l’usine.

Maître Ibrahima Barry, avocat de la partie civile

De son côté, l’avocat de Souleymane Bah se dit étonné par les démarches du ministre Mory Condé, qui ont conduit à la saisie des biens de son client. Il dénonce un véritable braquage. « Nous étions très étonnés de voir un huissier à l’usine pour aller saisir les biens de la société. Je rappelle que le contrat de vente existe entre M. Souleymane Bah en tant que personne physique et M. Mory Condé. Ce jour-là, M. Bah a été très surpris de voir à son unité des huissiers qui sont venus avec un acte notarié, qui daterait du 13 mars 2016, passé devant un notaire. Il a été étonné parce que le 13 mars, il n’a jamais signé un acte notarié avec M. Mory Condé au cabinet d’un notaire, ça n’existe pas.

Et le second problème est qu’on a constaté que l’acte notarié qui a été joint au procès-verbal de saisi, était un faux en réalité. A date, tous les véhicules qui le servaient à transporter sa production sont enlevés, on les voit circuler en ville, chargés. Donc c’est un véritable braquage, ce n’est plus de la justice », a dénoncé Me Ibrahima Barry, ajoutant qu’il a initié des procédures judiciaires contre cette situation.

« Par exemple, pour cette ordonnance, on s’est pourvu en cassation, on a fait une demande de sursis, on a signifié ça à l’huissier. Donc logiquement, tout devait être suspendu, le temps que la Cour suprême se prononce, mais les gens s’en fichent. Je vous dis que ce n’est plus le droit, c’est l’abus d’autorité. On est fort, on a le pouvoir maintenant, alors on fait ce qu’on veut, c’est tout. Sinon, je ne vois pas pourquoi on peut venir ramasser des biens, casser même les disjoncteurs, histoire de vous dire que ce n’est plus un problème de droit, c’est juste qu’on veut déposséder le monsieur de son unité sur la base d’un faux acte », a déploré l’avocat, Ibrahima Barry.

Maître Massabory Camara, avocat du ministre Mory Condé

Également interrogé sur cette affaire, Massabory Camara, l’avocat du ministre Mory Condé, a balayé d’un revers de la main la version du camp Souleymane Bah. Selon lui, ce dernier doit aujourd’hui un montant de plus de 13 milliards de francs guinéens à son client. « Il s’agit d’un prêt de deux milliards (2 000 000 000) de francs guinéens que M. Mory Condé a consenti à M. Souleymane Bah. Montant remboursable dans six mois avec le versement de 160 000 000 de francs guinéens par mois à titre d’intérêts générés par le montant principal. Donc, ce n’est pas un montant de 800 000 000 de francs guinéens, comme on vous l’a dit.

Pour un début, M. Souleymane Bah s’est acquitté convenablement pour une durée n’excédant pas trois mois de paiement. Pendant ce temps, l’entreprise fonctionnait, elle générait des intérêts et M. Souleymane Bah a fait comme si de rien n’était. Et heureusement, cette dette, c’est une sorte de convention scellée devant notaire. Donc, vu qu’il ne s’exécutait plus et que les faits remontent à 2016, les différents intérêts que le créancier en la personne de M. Mory Condé devrait recevoir, il y a eu cumul d’impayé. C’est ce qui a élevé le montant jusqu’à la hauteur de 5 535 715 000 francs guinéens. Mais vous savez, en droit,  il y a ce qu’on appelle les intérêts légaux moratoires (IML). Leur taux est déterminé par la banque centrale.

Souvent, c’est une sanction que le législateur inflige au débiteur de mauvaise foi. Donc, ce sont les intérêts légaux moratoires, plus les frais de recouvrement des dossiers qui sont allés à hauteur de 13 milliards et quelques (…) Jusqu’à preuve du contraire nous réclamons 5 535 715 000 de francs guinéens et les intérêts légaux moratoires plus les frais de recouvrement de l’huissier (12%). C’est ce qui élève le montant à 13 950 307 800 francs guinéens. Ce qui est marrant, c’est que M. Souleymane Bah n’éprouve aucun sentiment de regret. Il ne se reconnaît pas débiteur de M. Mory Condé. Devant une telle situation, seule la justice peut nous départager. Et je crois que c’est cette voie que nous sommes en train de suivre », a dit l’avocat.

Saïdou Hady Diallo et Mamadou Yaya Diallo pour Guineematin.com

 Tel : 620 589 527/664 413 227

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