Mouctar Bah de RFI répond à Martine Condé : « ceux qui s’agitent aujourd’hui, ils étaient où…? »

Près de deux semaines après la suspension de son accréditation par la HAC, Mouctar Bah, le correspondant de RFI en Guinée, a accordé un entretien à un journaliste de Guineematin.com, hier lundi, 26 novembre 2018. Le journaliste est revenu sur cette décision qu’il juge injuste, mais aussi sur ses relations avec le ministre de la Défense, Dr Mohamed Diané et le Président de la République, Alpha Condé. Il a tenu aussi à répondre aux propos de Martine Condé, la présidente de la Haute Autorité de la Communication, qui l’a taxé de partisan et d’ethno.

Décryptage !

Guineematin.com : cela fait bientôt deux semaines depuis que votre accréditation a été suspendue par la Haute Autorité de la Communication qui a estimé que vous avez commis une faute professionnelle dans un de vos reportages. Dites-nous vous vivez ces moments ?

Mouctar Bah : je me sens bien dans ma peau. Je dors bien de toutes les façons, même s’il m’arrive parfois de penser à ça parce que la sanction est injuste et inopportune. Mais, comme je suis en harmonie avec mon service à Paris, je n’ai aucun problème particulier.

Guineematin.com : cette affaire serait partie d’une plainte déposée par le ministère de la Défense nationale qui vous reproche de n’avoir pas recoupé l’information selon laquelle, ce sont des bérets rouges qui ont tiré sur un des jeunes tués récemment à Wanindara. Est-ce que c’est effectivement cela ?

Mouctar Bah : je ne peux pas le confirmer parce que la plainte n’a pas été adressée à Mouctar Bah, elle n’a pas été adressée à RFI. Elle a été adressée à l’agent judiciaire de l’Etat et à la Haute Autorité de la Communication. Je n’ai pas vu la plainte. A la HAC, on m’a lu le contenu de la plainte ; mais moi, je n’ai pas vu la plainte.

Docteur Diané, si c’est lui effectivement qui est à l’origine de cette plainte, je dirais que le monde est injuste. Si Diané apprenait quelque chose de mauvais, fait par Mouctar Bah, il m’aurait appelé. S’il réfléchit un peu, il m’aurait appelé pour dire : j’ai vu ça et ça, j’ai entendu ça où on m’a dit ça. Parce que Diané et moi, c’est autre chose. On a vécu ensemble des moments dans la misère. Diané et moi, on se connait.

Quand on m’a dit ça, j’ai pensé à sa première femme. Malheureusement, elle n’est plus des nôtres, et Facinet Béavogui (paix à son âme aussi). C’est dommage si c’est lui Diané qui est à l’origine de ça. Sinon, il était en Egypte quand cette plainte est tombée ; mais, on m’a dit que c’est de lui. Mais bon, ça m’est égal. La sanction est tombée, je suis suspendu. Donc, j’attends.

Guineematin.com : vous avez bénéficié de beaucoup de soutiens depuis que cette sanction est tombée. On a entendu même le préfet de Kankan, Aziz Diop, vous apporter publiquement son soutien. Est-ce que finalement cela vous réconforte ?

Mouctar Bah : (Rires). J’ai du soutien que je ne pouvais pas imaginer. On dit souvent que c’est en temps de malheur qu’on voit les amis. J’ai le soutien de plusieurs personnalités guinéennes, je ne vais pas les nommer mais elles sont nombreuses. J’ai aimé les réactions à travers le monde. J’étais réconforté et fier de moi. Vous ne pouvez pas imaginer combien d’appels, combien de messages j’ai reçu, surtout le lendemain de cette suspension. Entre 7 heures 45 minutes et 11 heures, j’ai reçu plus de 150 appels.

Des personnes, des personnalités connues ou anonymes, qui me disent : on est ensemble, on te soutient. J’ai aimé toutes ces réactions de RFI, de RSF, de Human Rights Watch, de la FIDH, et plus particulièrement quelque part où on dit : on veut se débarrasser d’un témoin gênant pour une répression à huis clos. Cela donne à réfléchir. Qu’on veuille se débarrasser de ma personnalité gênante pour une répression à huis clos, ça veut dire ce que ça veut dire.

Vous avez parlé du préfet de Kankan, Aziz Diop. C’est super parce que lui, Aziz Diop, on se connait. Nous avons travaillé ensemble quand il était à la société civile. Tous ceux qui m’ont connu dans les années 1990-2000, ne peuvent pas dire aujourd’hui que je suis contre Alpha Condé. Si c’est Alpha Condé qui le dit, je le regrette, et si c’est une autre personne qui le dit, tant pis.

Guineematin.com : pourquoi si c’est Alpha Condé qui le dit vous le regrettez, est-ce que parce que vous vous connaissez bien et vous avez été des proches à un moment donné ?

Mouctar Bah : (Rires). Je n’ai pas envie de tout dire ici. Ce que les gens ne savent pas, ce que notre histoire (Alpha Condé et moi) ne date pas d’ici en Guinée. Ce que j’ai vu écrit dans des journaux, sur des sites, et que j’ai entendu sur des radios, ça date de Conakry à mon arrivée en 1996. Mais, c’est plus loin que ça. On était ensemble en Côte d’Ivoire. On s’est vu en France brièvement ; mais, c’est surtout en Côte d’Ivoire où nous sommes restés ensemble pendant 7 ans. Chaque semaine on se voyait au moins deux fois. C’est le minimum.

Il était avec le papa de Damantang Albert Camara (ancien ministre de l’enseignement technique et porte-parole du gouvernement : ndlr). Certains pensent ici que le papa d’Albert Damantang, c’est Damantang père qui était avec Sékou Touré et qui a été président de l’Assemblée nationale. Mais, ce n’est pas lui. Le papa d’Albert Damantang s’appelle Koulounbani Damantang Camara. C’était l’ami intime et inséparable d’Alpha Condé. Je le respecte aussi, c’est un grand monsieur. Donc, l’histoire entre Alpha Condé et Mouctar Bah, pour ne pas faire beaucoup de commentaires, il le sait, je le sais et vous tous vous le savez, parce que vous l’avez appris aussi. Je ne veux pas trop parler de ce qui s’est passé.

Guineematin.com : depuis que votre suspension est tombée, est-ce que vous avez échangé avec le Président Alpha Condé ?

Mouctar Bah : non ! On n’a pas échangé.

Guineematin.com : Martine Condé, la présidente de la HAC, vous a taxé de journaliste partisan et d’ethno. C’est vrai que vous êtes ethno ?

Mouctar Bah : cela veut dire quoi ? Le mot ethnocentrisme, est-ce qu’il a sa place dans mon cœur ?

Guineematin.com : mais, c’est elle qui l’a dit ?

Mouctar Bah : mon cœur est tellement petit, qu’il n’y a pas de place pour la haine, ni pour l’ethnocentrisme. Ceux qui me qualifient d’ethno, ceux qui s’agitent aujourd’hui, ils étaient où quand Alpha Condé était en prison ? Moi, je connais les militants du RPG. Quand Alpha est allé en prison, ils n’étaient pas nombreux à assumer : Docteur Diané, Ahmed Tidiane Traoré qui était à un moment ministre des Travaux Publics, Lansana Komara, actuel ministre de l’Enseignement technique, M’Bany Sangaré, Fatou Bangoura.

Donc, les 90% de ceux qui s’agitent aujourd’hui autour d’Alpha Condé sont des nouveaux militants. Je connais ceux qui ont bouffé du gaz lacrymogène ici, ceux qui ont marché jusqu’à la libération d’Alpha Condé. La résidence d’Alpha Condé à Mafanco avait été désertée. Il n’y avait que les gens que je viens de citer. Donc, ceux qui me disent que je suis ethno, je dis bien : ils étaient où quand Alpha Condé a été mis en prison ?

Guineematin.com : votre mot de la fin ?

Mouctar Bah : je souhaite que mon pays, la Guinée, aille mieux. Ça ne sert à rien de gérer ce pays dans la violence, ni par la violence. Saddam Hussein a été très fort, Kadhafi a été très fort, ils ont régné par les armes ; ils ont péri par les armes.

Interview réalisée par Alpha Assia Baldé pour Guineematin.com

Tél : 622 68 00 41

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