Les mots et les maux du ministre

Habib Yembéring Diallo

Cher ami,

Comme tu le sais, je n’écris pas souvent. Si je l’ai fait cette fois, c’est parce que j’ai besoin de vider mon sac et te demander conseils. Tu as sans doute vu l’image de ce gosse qui a été tué lors de la dernière manifestation de l’opposition. Comme d’habitude, cette opposition a organisé son inhumation. Comme d’habitude, elle a rendu le gouvernement responsable de cette tragique disparition. Une disparition qui a suscité une vive émotion.

Après ce drame, j’ai lu les différentes réactions publiées dans les médias. J’ai appris entre autres que la victime était un jumeau et que son jumeau est toujours inconsolable. Tout comme ses parents. Lesquels ont martelé qu’ils ne pardonneront jamais cet acte. Ni d’ici-bas ni dans l’autre monde. Inutile de te dire que tout cela m’a profondément bouleversé en dépit d’un semblant de sérénité que j’affiche.

Mais, ce qui m’a le plus touché, c’est le commentaire d’un compatriote qui estime que tous les membres du gouvernement sont sans cœur. Il a demandé à chacun de se mettre à la place des parents de la victime, avant de s’interroger : « comment un homme qui fait partie de ce gouvernement peut-il revenir à la maison et caresser ses enfants pendant qu’il se rend coupable de complicité d’assassinat d’un autre enfant » ?

J’ai vécu toutes les crises que notre pays a connues ces dernières années, avec leurs corolaires de victimes. Mais, en tant qu’observateur. Désormais, je suis un acteur dans la mesure où je fais partie du gouvernement. C’est pourquoi, pour la première fois, je suis particulièrement éprouvé par la mort d’un manifestant. D’autant plus que, selon toutes les sources, la victime n’était pas un manifestant. C’est autant dire que ce qui s’est passé est une bavure. Malheureusement, avec la perspective d’une autre manifestation, le risque d’enregistrer d’autres victimes est plus que grand.

Après le dernier drame, l’opposition a fait son décompte macabre. Elle estime que près de 200 jeunes ont été liquidés à bout portant ces dix dernières années à l’occasion des manifestations. Ce chiffre fait froid dans le dos. Comme pour dire que ce qui est possible dans notre pays ne l’est qu’en Corée du Nord ou en Birmanie. Tu conviendras avec moi que même dans les deux grands pays communistes il est inimaginable que des manifestations fassent autant de victimes.

Quelle seraient donc les particularités de notre pays, me diras-tu ? Elles sont à mon avis au nombre de trois principalement. La première est l’impunité accordée aux forces de l’ordre qui ont un droit de vie ou de mort sur nous autres depuis notre indépendance. La deuxième particularité est l’indifférence de la population. Chaque citoyen reste indifférent tant que c’est l’autre qui est victime. Oubliant que dans une telle situation, c’est chacun son tour. Enfin, la troisième particularité est la lâcheté voire la complicité de l’élite que nous sommes. Imagines un seul instant qu’après un drame comme celui de la dernière manifestation, une bonne partie des membres du gouvernement jette l’éponge. Cela changerait quelque chose.

C’est pourquoi, et c’est là que tu trouveras l’objet de ma lettre, à peine nommé, je risque de rendre le tablier. Car, je ne peux pas faire partie d’un gouvernement qui procède comme l’apartheid autrefois. Avec d’un côté des manifestants tués et de l’autre d’autres manifestants caressés dans le sens des poils. D’un côté, des protestataires qui sont dans le meilleur des cas déportés dans un camp militaire et dans le pire inhumés à un cimetière ; et, de l’autre, d’autres protestataires qui sont priés de rentrer à la maison.

Dans la foulée, tu as dû apprendre qu’un ministre a remué terre et ciel pour obtenir la libération de manifestants arrêtés quelque part. Parce qu’il était visiblement plus à l’aise pour plaider pour ceux qui exigent des meilleures conditions de vie que pour ceux qui réclament l’alternance à la tête de l’Etat. Il est plus prompt à solliciter la clémence pour les ressortissants d’une autre région que la sienne. C’est pourquoi, je parle d’apartheid. Ce mot signifiant le développement séparé. C’est à-dire qu’un homme est différent d’un autre.

Au regard de la terrible réalité que nous vivons dans ce pays, il serait plus séant de changer l’appellation de notre ministère de la sécurité. Encore que, paradoxalement, celui-ci se fait aussi appeler la protection civile. Je pense que dans le contexte actuel, ce département devrait être appelé ministère de la loi et de l’ordre. Tu te rappelleras au passage qu’il existait au pays de Mandela un ministre de la loi et de l’ordre pendant la traversée du désert de ce dernier.

Rien de surprenant quand on sait que le chef du gouvernement a martelé qu’il préfère l’ordre à la loi. Alors que les deux sont indissociables. Ce discours est aussi utopique que celui préférait la liberté dans la pauvreté à l’opulence dans l’esclavage. Autant un pauvre ne saurait être libre, autant l’ordre n’aura sa place sans la loi.

Bref, ce qui se passe dans notre pays me donne des maux de tête au jourd’hui plus qu’hier. Parce qu’hier, j’observais tout cela de loin. Tandis qu’aujourd’hui, j’ai une responsabilité, sinon directe, tout au moins indirecte dans ce qui se passe.

Et, c’est la raison pour laquelle si jamais cette situation continue, je vais tirer toutes les conséquences en quittant le navire. Je sollicite donc ton avis pour l’attitude à adopter face aux prochains développements de l’actualité dans notre pays. Avec en toile de fond la prochaine manifestation de l’opposition qui pourrait allonger la liste peu honorable de notre pays. Sans compter que, cette semaine, l’histoire pourrait se répéter. Celui qui avait dénoncé sous tous les toits une candidature en 2003 et une autre en 2009, pourrait tout simplement emboîter le pas à ceux qu’il a vilipendés autrefois.

Devant la perspective de tous ces évènements aux conséquences angoissantes et dramatiques, inutile de te dire que j’attends avec impatience ta réponse. Laquelle pourrait orienter ma décision dans un sens ou dans un autre.

Ton ami, le ministre très anxieux, Habib Yembering Diallo

Téléphone : 664 27 27 47

Toute ressemblance entre cette histoire et une autre n’est que pure coïncidence.

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