Séisme médiatique en Guinée : vous préférez l’argent ou la liberté ?

Décidément, Djoma Média n’a pas fini de secouer le cocotier. Le dernier né des radios et télévisions guinéennes continue de débaucher dans les autres radios et télévisions. Ce que certains qualifient de transhumance médiatique guinéen est loin de connaître son épilogue. Il ne se passe plus de semaine sans un nouveau départ. Les rédactions sont sevrées les unes après les autres de leurs talents. Visiblement, Djoma est décidé de choper tous les talents. Au grand dam de toutes les stations qui assistent impuissantes au départ en cascade de leurs journalistes et animateurs préférés par les auditeurs et les téléspectateurs.

Ce n’est pas la première fois que nous assistons à une rude concurrence entre employeurs. La pratique est récurrente dans les banques ou chez les opérateurs de la téléphonie mobile. Mais, jusqu’ici, les médias étaient relativement épargnés par le phénomène. C’est en effet la toute première fois qu’un nouvel arrivant ratisse aussi large. Touchant tout le monde. Et, c’est le côté intriguant de la chose. Suscitant beaucoup d’interrogations. Parmi elles, il y a bien évidemment celle de savoir quel est le véritable objectif de ce média ? S’agit-il de corriger une injustice et de payer les hommes de médias comme tous les autres salariés ? Ou faut-il voir un objectif inavoué dans ce projet ? Notamment celui d’affaiblir voire d’anéantir certains médias gênants ?

De prime à bord, tout journaliste doit saluer l’amélioration des conditions de vie d’autres journalistes dont certains auraient obtenu le quintuple de leur ancien salaire. Mais, en même temps, il faut s’interroger sur la capacité de leur nouvel employeur à pérenniser un tel traitement dans un pays où les salaires restent parmi les plus bas de la sous-région. Particulièrement dans cette corporation qui demeure le parent pauvre de tous les salariés. Mais, encore une fois, les journalistes ne doivent pas être les parias de la société. Il convient toutefois de dire « pourvu que ça dure »…

La plupart des radios et des télévisions sont concernées par le départ de leurs talents. Dans pareil cas, celui qui débauche mise très haut. Il procède à un tri minutieux. La quasi-totalité des radios et télévisions de la capitale ont été brusquement sevrées de leurs responsables, journalistes, animateurs ou chroniqueurs sportifs. Parmi elles, on pourrait citer, entre autres, Djigui FM, Lynx FM, Fotten Gellen, Continental FM, Evasion Tv, Chérie Fm/TaTv et bien d’autres. Mais, la principale victime de cette situation sans précédent est sans doute le groupe Hadafo Médias. Pour annoncer les couleurs, Djoma Média a commencé par recruter l’ancien Directeur Général de ce groupe (entre 2013 et 2019). Kalil Oularé pouvait ainsi se charger du reste. Le partant connaissant parfaitement le point faible de son ancien employeur, il ne rate que rarement ces cibles.

Confronté à une crise qui était la moins attendue du monde, le patron du Groupe Hadafo médias a révélé, selon certaines informations, que le pouvoir en place a tenté de racheter son groupe. Le montant mentionné dans l’article est aussi vertigineux qu’exorbitant. D’où certaines spéculations selon lesquelles, c’est après ce refus de Lamine Guirassy que le pouvoir aurait décidé de mettre les bouchées doubles pour lancer la chaîne qui donne aujourd’hui de l’insomnie à beaucoup de patrons de presse.

Djoma aurait donc pour objectif de contrer l’influence de certaines radios et de télévisions. En ligne de mire Espace FM et TV avec sa célèbre émission « les Grandes Gueules » du reste très prisées par les auditeurs dans les quatre régions de la Guinée et même au-delà des frontières nationales. De par sa liberté de ton, cette émission est à la fois inimitable et inégalable. Parce qu’elle se permet de ce que beaucoup d’autres n’oseraient faire. Raccourci facile, diront certains ; mais, il est inutile de dire que les autorités s’accommodent difficilement de cette émission.

Or, même suspendre une telle émission n’est pas une simple promenade de santé, à plus forte raison l’interdire. D’où l’hypothèse qu’il y aurait un projet de disloquer voire de dépecer en morceaux cette station non pas par des moyens coercitifs mais par un concurrent qui ne fait aucun cadeau à l’adversaire. Cette hypothèse est d’autant plus plausible que le promoteur du nouveau média fait partie du personnel du palais Sékoutouréyah. C’est en l’occurrence l’intendant du président Alpha Condé. C’est tout dire ! Ce qui constitue paradoxalement et potentiellement un souci pour les confrères qui souhaiteraient concilier bien-être et indépendance professionnelle. Un vieil adage de chez nous dit qu’il y a trois choses qui sont très éphémères : la bonne santé d’un vieillard, le temps ensoleillé en plein mois d’août et le présent offert par un enfant. A cette trilogie, on pourrait contextualiser et ajouter l’indépendance d’un média appartenant à un dignitaire d’un régime en place.

Tout en souhaitant d’avoir tort et que les confrères qui n’ont désormais rien à envier à un salarié d’une multinationale puissent concilier l’inconciliable, il convient de noter que l’affaiblissement voire la disparition d’un média par un autre ne devrait réjouir aucun homme de médias. C’est pourquoi, il faut aider, assister et consoler les stations qui sont amputées de leurs membres. En particulier Hadafo Média.

Ce groupe est à l’audiovisuel guinéen ce que le groupe Le Lynx/La Lance est à la presse privée guinéenne. Lamine Guirassy est un pionnier. Un précurseur. Et même une icône dans le paysage médiatique de la Guinée. Il faut donc le sauver. Dans cet objectif, le principal concerné a un rôle primordial à jouer. Il devra montrer sa capacité de gestionnaire hors pair des ressources humaines pour remplacer les partants. Sachant que les cimetières sont remplis de ceux qu’on qualifiait hier d’irremplaçables, la réponse de Guirassy devra être à la dimension du défi.

Habib Yembering Diallo pour Guineematin.com

Téléphone : 664 27 27 47

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