Me Halimatou Camara aux femmes : « on ne demande pas gentiment une place, on se l’octroie par le travail »

Me Halimatou Camara, avocate et activiste des droits de l'homme

« Il faut se battre pour exister et imprimer aussi une certaine identité de soi. En tant que femme, des fois on se sent plus ou moins stigmatisée. Quand on vient dans un tribunal par exemple et que les magistrats ont du mal à t’appeler maître comme tes confrères hommes. et tout de suite on te dit madame, mais je ne comprends pas. Pourquoi vous m’appelez madame pendant que je porte la robe d’avocat. Il a fallu remonter les bretelles à certains parmi eux pour se faire sa place. Une place, on ne la demande pas gentiment, on se l’octroie par le travail, par le mérite, par sa compétence… », a notamment indiqué Me Halimatou Camara, avocate au barreau de Guinée et activiste des droits humains.

Adoptée par l’Organisation des Nations Unies (ONU) en 1977, la journée internationale des femmes est l’occasion de faire le constat sur la vie des femmes, leurs difficultés et faire des plaidoyers sur le respect de leurs droits et leur intégration dans les instances de prise de décisions.

Cette année, ce mois des femmes intervient à un moment où les violences basées sur le genre, notamment le viol, font légion dans notre pays. Mais, ce mois intervient aussi à un moment où la femme guinéenne peine à obtenir son autonomie financière, en dépit de son courage et de ses efforts de tous les jours. Mais, pour Me Halimatou Camara, avocate au barreau de Guinée, il faut encore de la persévérance. Cette professionnelle de Droit prévient qu’on ne demande pas gentiment une place, mais on se l’octroie par le travail. Et, elle invite les femmes au travail pour se défaire du carcan réducteur de ‘’femme au foyer’’ où elles sont emprisonnées depuis des lustres. Elle est consciente des difficultés à surmonter, d’autant plus qu’elle évolue dans un milieu largement dominé par les hommes. Mais, elle appelle les femmes à se battre pour mériter leur place et défendre leurs valeurs, leurs convictions dans la société.

« La liberté ça ne se donne pas, elle s’arrache », affirme-t-elle.

Décryptage !

Guineematin.com : Pourquoi vous avez opté pour le Droit parmi tant de filières à l’université ?

Maître Halimatou Camara, juriste et activiste des droits de l’homme

Me Halimatou Camara : « J’ai voulu faire le Droit parce que j’avais envie de devenir avocate. C’était ma petite vision. Je me disais qu’en faisant le Droit, j’aurais un impact sur la société. Mon histoire familiale est assez particulière. Mon grand-père maternel a été l’une des victimes du camp Boiro. Et, cette histoire m’a profondément marquée depuis mon enfance. Ça m’a fait prendre conscience que je devrais être une actrice pour la lutte pour l’État de droit, la lutte pour les personnes vulnérables. Donc, ça a eu un impact sur ma vie, sur la vision de ma vie. Je me suis dit que je pourrai apporter quelque chose en devenant avocate ».

Guineematin.com : Comment a été votre envole, votre début de carrière, dans ce métier à dominance masculin en Guinée ?

Me Halimatou Camara : « Les choses n’ont pas été du tout roses. Par contre, le contexte était hyper difficile. Quand on termine les études de Droit et qu’on a la tête pleine de rêves et qu’on espère changer le monde, qu’on se retrouve dans les juridictions guinéennes où les infrastructures sont quasi inexistantes, où la formation de toute la chaîne pénale (les OPJ, les magistrats…) est pratiquement au rabais, on prend du claque à la vie. Il faut donc se battre pour exister et imprimer aussi une certaine identité de soi. En tant que femme, des fois on se sent plus ou moins stigmatisée. Quand on vient dans un tribunal par exemple et que les magistrats ont du mal à t’appeler maître comme tes confrères hommes. et tout de suite on te dit madame, mais je ne comprends pas. Pourquoi vous m’appelez madame pendant que je porte la robe d’avocat. Il a fallu remonter les bretelles à certains parmi eux pour se faire sa place. Une place, on ne la demande pas gentiment, on se l’octroie par le travail, par le mérite, par sa compétence ».

Guineematin.com : après avoir surmonté toutes ces difficultés, dites nous aujourd’hui comment vous vous sentez dans cette profession libérale ?

Me Halimatou Camara « Je me sens à ma place. J’ai mes valeurs, j’ai mes convictions. Je suis quelqu’un d’extrêmement libre et libérée du moment où la profession d’avocat est une profession de liberté. On dit le plus souvent que l’avocat est la sentinelle de la liberté. Donc, je me sens bien dans cette profession aujourd’hui. Parce que c’est l’occasion pour moi de manifester un certain nombre de valeurs que j’ai toujours eues ».

Guineematin.com : Aujourd’hui, vous avez 9 ans de carrière en tant qu’avocate. Vous avez réussi à surmonter assez d’obstacles et à trouver votre chemin dans ce métier. Mais, quelles sont les difficultés auxquelles vous faites face actuellement dans ce domaine de la justice ?

Me Halimatou Camara « Les premières difficultés, c’est l’absence de moyens alloués à la justice, le problème de ressources humaines. Les femmes qui se retrouvent dans ce métier rencontrent le problème de la corruption. On peut être confronté à des situations auxquelles nos confrères hommes sont confrontés. On n’a pas peut-être la même façon de raisonner devant une situation, mais aujourd’hui je pense que le boulevard est ouvert pour les femmes d’accéder à cette profession et de l’exercer. Peut-être que nous rencontrons les problèmes spécifiques, tels que la discrimination. Mais, tout ça dépend de notre force de caractère et de notre envie de nous battre. La liberté, ça ne se donne pas, elle s’arrache ».

Guineematin.com : Les femmes ont toujours été qualifiées, à tort ou à raison, de « personnes vulnérables ». Mais, à votre avis, quelle place doit avoir la femme dans notre société ?

Me Halimatou Camara : « Je pense que les femmes ont toujours travaillé. C’est d’ailleurs par le travail des femmes qu’on existe tous. Donc, c’est peut-être revaloriser ces femmes qui ne sont pas allées à l’école. Je pense qu’elles font le travail le plus complet qui soit, celui de nourrir, éduquer les enfants… ça, pour moi, c’est ce qui fait tenir la société. Au-delà, aujourd’hui, les femmes ont un autre combat à mener qui est celui de se retrouver dans les instances de prise de décision. Ça, il faut soigner l’éducation que nous donnons à nos enfants (filles) et ça, les femmes ont une certaine responsabilité dedans parce que c’est elles qui éduquent les enfants. Il faut donner les mêmes chances aux filles et aux garçons, faire en sorte que l’éducation puisse changer la vie des milliers de femmes et d’enfants. Moi je ne peux pas me mettre devant vous aujourd’hui pour être avocat de premier rang si je n’avais pas une bonne éducation. Je pense que tout part de l’éducation et de la vision. Au lieu qu’on fasse exploser ce plafond de verre sur la tête des femmes en les faisant croire que certains métiers ne sont pas forcément fait pour elles, alors qu’elles ont énormément de choses à apporter dans tous les secteurs de la vie. Dans tous les milieux professionnels, les femmes peuvent apporter quelque chose à l’édification d’une société développée. Aujourd’hui, il n’est plus à prouver que les femmes ont leur mot à dire, qu’elles peuvent avoir une vision plus saine du développement. Sur 6 pauvres dans le monde, 4 sont des femmes. Donc, les femmes sont confrontées à un certain nombre de problèmes qui sont spécifiques au genre féminin. Il faut passer par la mise en valeur, comme le font aujourd’hui de certaines qui sortent du lot, tout en n’oubliant pas que le vrai combat c’est la femme rurale qui le mène. C’est elle qui accomplit les tâches les plus difficiles, c’est elle qui a besoin de l’accès à l’éducation pour son enfant. Les vraies héroïnes, ce sont ces femmes qui portent leurs familles, qui portent leurs communautés toute entière ».

Guinéematin.com: En tant que professionnelle de Droit et activiste des droits de l’Homme, que pensez vous de la situation des femmes dans notre pays et quel appel avez-vous à l’endroit des autorités pour le respect des droits de la femme ?

Me Halimatou Camara : « il y a énormément de violences basées sur le genre. Les femmes qui subissent parfois dans leurs foyers ou en dehors de leurs foyers des coups et blessures. Il y a également le problème de protection de la loi pour ces femmes-là. Vous n’êtes pas sans savoir que je porte le dossier de feu M’mah Sylla. Cette affaire est en cours et nous espérons que cette affaire soit l’occasion également de faire un diagnostic sur pas mal de choses, notamment : l’accès des femmes aux services sociaux de base, aux soins et la déontologie médicale. Tout cela a un sens parce que les femmes sont toujours confrontées à des situations difficiles. Donc, aujourd’hui, je souhaite que la protection juridique des femmes en République de Guinée devienne une réalité. Et, il n’y a que comme ça qu’on pourra amorcer un développement pour notre pays ».

Guineematin.com : Merci de nous avoir accordé cet entretien.

Me Halimatou Camara : Merci !

Malick Diakite pour Guineematin.com

Tel : 626-66-29-27

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